Un nouveau projet de loi sur la presse a été adopté récemment en commission et devrait être voté prochainement par l’Assemblée nationale ivoirienne. Ce projet de loi qui prévoit qu’« est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans (…) quiconque par voie de presse incite à la xénophobie, à la rébellion ou porte atteinte à l’intégrité du territoire national », est critiqué par des organisations professionnelles, le lundi 8 mai 2017. Afrikipresse a tendu son micro au journaliste-blogueur, André Sylver Konan, qui donne son opinion sur ce projet.
Il y a un projet de loi qui a été récemment adopté à l’Assemblée nationale, concernant la presse. Qu’elle est votre jugement ?
C’est un projet de loi qui est passé en commission. Il n’a pas encore valeur de loi. Pour qu’il ait valeur de loi, il faudra qu’il passe en plénière. Mais le fait qu’il ait été adopté à l’unanimité en commission est quand même assez grave. D’autant plus que les principaux partis politiques qui forment cette commission, dirigée par le PDCI, n’ont pas pu bien lire ou saisir la portée historique de cette loi. On ne change pas une loi qui existe juste pour la renforcer dans le mauvais sens. On aurait pu faire autrement pour la loi de 2004 dont la base était assez bonne, quoiqu’il y eût des choses à régler et à amender. Il faut bien que les dirigeants comprennent que la meilleure façon de montrer qu’ils gouvernent, ce n’est pas de changer ou d’envoyer de lois. La nouvelle loi n’est pas bonne, en ce sens qu’elle constitue un recul vis-à-vis de ce qui était. Certes il est dit dans le code pénal qu’il ne faut pas revenir sur des faits qui ont été jugés ou amnistiés, c’est normal, les journalistes l’ont toujours fait. Mais dire par exemple qu’en 2002, il y a eu une rébellion, relève de l’histoire quoique des faits de cette rébellion aient été amnistiés. Les crimes ne sont pas prescriptibles.
Qu’est ce qui pose problème ?
Ce qui pose problème est le fait qu’on veuille jouer sur la sensibilité des Ivoiriens qui demeurent analphabètes. Dès que vous direz qu’il y a eu une rébellion en 2002, tous ceux qui vont abusivement interpréter cette loi, diront que c’est une loi, un fait qui a été amnistié donc vous n’avez pas le droit d’en parler. Deuxième chose, c’est le délit par voie de presse qui ne met en sécurité personne. Il faut bien comprendre que le délit par voie de presse est différent des délits de presse. Les gens de la société civile et les politiques qui s’en orgueillent aujourd’hui, pensant que cela va servir à punir que les journalistes, se trompent. Il est écrit NOIR sur BLANC que quiconque serait donc responsable de délits par voie de presse pourrait arriver en prison. Ce qui est assez grave ! Dans la forme, on ne vote pas une loi avec des imprécisions. Quiconque ne veut absolument rien dire. Vous prendriez une disposition dans la loi où on légifère par la voie négative. Mais c’est ahurissant. C’est une hérésie de droit. Les gens insistent sur le fait qu’on a copié cela sur la France. Ça encore c’est une demi-vérité. C’est un mensonge. D’autant plus que depuis 1998, la peine d’emprisonnement pour les Journalistes n’existe dans aucun cas possible, je dis bien aucun cas possible en France. On ne peut donc pas faire de petits arrangements avec la vérité, la démocratie en espérant que tout le monde va se taire. En 2020, je le dis et le répète, le RDR ne sera plus au pouvoir en tout cas pas à l’exécutif. Je fais de l’analyse prospective, dans tous les schémas possibles, le RDR ne conservera pas l’exécutif. Et il va se retrouver dans la position de certaines personnes qu’il vise aujourd’hui. Et cette loi va se retourner contre lui. On fait une loi impersonnelle générale pour l’histoire. On ne fait pas une loi pour régler des problèmes à l’individu.
Le RDR ne sera plus au pouvoir en 2020, avez-vous dit. Vous avez aussi récemment dit sur votre blog que la loi « Anti-casse de 1993 » avait rattrapé ses instigateurs en 1999. C’est le même scénario ?
C’est une évidence. En 1993, face au trublion Laurent Gbagbo et son FPI, le PDCI, alors que le premier ministre était Alassane Ouattara, aujourd’hui président de la République, a cru bon de voter une loi « anti-casse » pour viser Laurent Gbagbo. Il faut bien que les dirigeants africains comprennent qu’on ne vote pas des lois contre des individus. Une loi est faite de charité, c’est le volet spirituel de cette affaire qui me pose un problème au niveau de la gouvernance des africains. Une loi c’est la Charité. On gouverne pour son peuple, on ne le fait pas contre son peuple. Les lois doivent donc être empruntes de charités. En 1993, on a fait une loi contre Laurent Gbagbo et le FPI. En 1999, c’est cette loi justement qui a amené les dirigeants du RDR en prison.
En 2003, lorsque Laurent Gbagbo validait l’idée de la reconnaissance de la compétence de la CPI, il visait Guillaume Soro. En 2011, c’est lui qui s’est retrouvé à la Cours pénale internationale. L’histoire est un recommencement. Aujourd’hui, c’est vrai qu’on est dans une disposition favorable, mais demain ne sera pas le cas. Parce que le pouvoir n’est pas éternel.
Il est pourtant dit que ce projet de loi est meilleur que la loi de 2004…
C’est très simple ! Qu’on nous dise quelle disposition est meilleure. Si la Côte d’Ivoire conserve encore ce rang qui n’est pas du tout honorable dans le classement mondial de la liberté de la presse et qu’on considère qu’en corsant la loi, elle va gagner des points, tant mieux. Mais qu’on me dise quelle est la disposition favorable.
Vous dénoncez ce projet de loi. Il paraît pourtant qu’il y ait eu des journalistes qui ont participé à son élaboration ?
Non ! il faut que les gens arrêtent la polémique. Il y’a eu un séminaire, il y’a eu des conclusions, depuis 2015. Les gens sont allés dans leurs bureaux et ils ont écrit la loi. Il ne faudrait pas essayer de culpabiliser les journalistes. Cette loi n’est pas de la responsabilité des journalistes. Ils essaient de ruser avec la vérité en essayant d’utiliser les journalistes. C’est le gouvernement qui a présenté cette loi et s’il estime que c’est une loi qui est favorable aux journalistes, il ne devrait même pas tenir ce langage. C’est parce qu’il sait qu’il y a des dispositions dedans qui ne constituent pas une avancée. C’est pourquoi, il développe cet élément de langage. Non ! Qu’on arrête d’accuser des journalistes, c’est le gouvernement qui l’a présentée.
Dans ce combat, est ce qu’ils sont solidaires, les journalistes ?
J’ai vu toutes les organisations professionnelles du secteur réagir ; pas une seule n’a eu une voix discordante contre l’avènement de cette loi.
Si cette loi passe, que vont faire les journalistes par la suite ?
Elle va s’appliquer. C’est un non-sens démocratique. Pourquoi ? Parce que quand bien même que cette loi passerait, [ et elle va passer parce qu’il y a des gens qui ont des esprits obscurantistes, au niveau de certains partis politiques. Ceux qui ont une vision un peu plus évolutive de la démocratie sont en minorité. Et donc cette loi passera avec peut-être même toutes les dispositions conflictuelles, confligènes et liberticides] , il faut que les choses soient claires. Depuis 2004 aucun pouvoir en Côte d’Ivoire n’a réussi à garder un journaliste en prison. Et que cette loi passe ou non, aucun pouvoir ne réussira à mettre un journaliste en prison. Alors à quoi cela servira sinon à ridiculiser les dirigeants. Je suis contre la loi parce qu’elle ne promeut pas la liberté, la charité, la démocratie.
Réalisé par HILAIRE GUEBY
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