Reléguée dans les sphères de l’exotisme, du sauvage et de l’artisanat, la culture africaine a longtemps été niée. Un exemple : contrairement à Lysippe de Sicyone, un sculpteur et bronzier grec (390 av. JC) ou Auguste Rodin, un des plus importants sculpteurs français (1840-1917), les sculpteurs africains n’étaient pas considérés comme des artistes, mais comme des artisans.
Dans la représentation occidentale, l’Africain, qui travaille le bois ou le fer et façonne un objet, est considéré comme un homme de métier, dépositaire d’un savoir-faire technique et uniquement préoccupé par la fonctionnalité de ce qu’il fabrique ; le créateur occidental, lui, est perçu comme un artiste, c’est-à-dire quelqu’un capable de s’affranchir de la technique afin de créer. L’Africain resterait un artisan soumis aux savoir-faire d’un métier, l’homme occidental s’adonnerait à une création pure. L’Africain serait du côté de la technique, l’homme occidental du côté de l’art.
Une remarquable exposition qui s’est tenue du 14 avril au 26 juillet 2015, au musée du Quai Branly, à Paris, Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire, a permis de comprendre que les sculpteurs africains sont de véritables artistes. En réunissant près de deux cents œuvres historiques et contemporaines, cette exposition a mis à l’honneur les grands sculpteurs et les écoles de sculpture de Côte d’Ivoire et des pays limitrophes. Les visiteurs ont ainsi découvert qu’il existe un art africain avec son histoire et ses créateurs. Considéré à tort, en Occident, comme une activité artisanale uniquement impliquée dans des activités rituelles, l’art africain, comme l’art occidental, produit des œuvres qui sont le résultat d’une démarche personnelle chez des créateurs au talent artistique exceptionnel. Dans de nombreux articles, le professeur guinéen Ibrahima Baba KAKE a montré que « la culture africaine est plus ancienne que la culture occidentale. » Il y aurait, selon le professeur KAKE, un « miracle grec » qui donnerait naissance à l’art occidental. Or, toujours selon KAKE, il existe un « miracle nègre », historiquement localisé dans l’Egypte nègre, antérieur au « miracle grec ». Toujours selon KAKE, « les empires du Ghana et du Mali ont été installés à une époque où l’Europe ne pouvait rien proposer de comparable. » Vient la colonisation, qui, pour imposer la domination culturelle de l’Occident, à côté de la domination économique, méprise la culture noire en la détruisant, puis en la reléguant dans la sphère du sauvage et du primitif. Ce vide culturel va perdurer, même s’il se forge, à partir du concept de « négritude », un courant de pensée politique et culturel. Pour Senghor, la négritude est « l’ensemble des valeurs culturelles de l’Afrique noire » ou encore : « La négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie. »
Mon propos n’est pas de refaire l’Histoire, ni de militer pour un appel à la repentance des anciennes puissances coloniales. Je souhaite interroger le concept de « diplomatie culturelle » à partir du rôle que peut jouer la culture dans le rayonnement de l’Afrique, que ce soit la culture traditionnelle ou la culture contemporaine. Le professeur KAKE dénonce les artistes africains contemporains qui se contentent de « restituer à un certain public occidental l’image que celui-ci se faisait de leurs peuples et assouvir son besoin d’évasion. Utilisant les grands moyens modernes de diffusion, cette culture marginale et exotique, artificielle, urbaine et artistique risque ainsi d’étouffer le patrimoine culturel authentique du peuple et de se substituer à lui. » Il existe, dans l’art africain contemporain, une représentation caricaturale de l’Afrique, dont les supports sont souvent la danse et l’érotisme.
La mondialisation et l’uniformisation culturelle qu’elle entraîne est en train de détruire l’identité culturelle de l’Afrique, comme elle détruit l’égalité entre toutes les cultures. Dans l’Afrique francophone se pose la question de l’utilisation du français comme langue de travail et de création. Comment « défranciser » le français dans le roman, la poésie et le théâtre africain ? Comment « défranciser » le geste du sculpteur, du peintre, du danseur ? Ces questions n’ont qu’un intérêt relatif, car, aujourd’hui plus que jamais, la culture africaine est menacée. La Chine, le Japon, l’Inde refusent cette annexion culturelle que propose l’Occident. Pourquoi l’Afrique renoncerait-elle à son identité culturelle ? Or, dans cette Afrique nouvelle en train de naître, on parle plus souvent d’économie et de finances ? A côte des classements qui dressent la liste des acteurs économiques qui font l’Afrique, des Africains les plus riches, des femmes de pouvoir, pourquoi n’existe-t-il pas le classement des 100 plus grands créateurs africains contemporains ?
J’écoutais le discours prononcé par Madame OUATTARA, lors de l’inauguration, à Paris, de l’exposition Les Maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire. Elle parlait bien de diplomatie culturelle au service du rayonnement de l’Afrique. C’est ce combat que nous devons mener, et que je compte mener en tant qu’écrivain. Mon dernier roman, Championne l’Enjailleuse, est écrit en français. Mais, j’ai voulu « déblanchir » la langue française. Mon ambition n’est pas d’être un écrivain français, ou francophone, mon ambition est d’être un écrivain africain, même si j’écris en français. Senghor écrivait en français, mais toute sa poésie respire l’Afrique. Nous devons être les représentants d’une identité culturelle qui permet, dans ses liens avec la tradition et les valeurs africaines, de renforcer les jeunes Etats-nations.
Wakili Alafé
_______________________ Wakili Alafé : Directeur du quotidien L’INTELLIGENT D’ABIDJAN et du magazine AFRIKIPRESSE, journaliste, Wakili Alafé est aussi un écrivain et un essayiste. Son dernier roman, « Championne l’Enjailleuse », rencontre un vif succès. La langue est celle du français d’Abidjan et la société qu’il décrit est cette société abidjanaise dans laquelle domine l’esprit de l’enjaillement.
La rédaction