Pour Antoine Glaser, qui retarde d’une guerre ou d’un monde, la France aurait perdu l’Afrique par arrogance. Il ajoute même que la France croyait que l’Afrique lui appartenait. L’ancien directeur de la Lettre du Continent, qui regarde toujours les relations entre la France et l’Afrique à travers le prisme étroit de la colonisation et de la FrançAfrique, croit que la France ne comprend rien à l’Afrique et qu’elle a perdu sa place par arrogance, car « elle pensait que tout y était encore sous son contrôle et que sa « science africaine » était infaillible. »
De quelle Afrique parle Antoine Glaser ? De l’Afrique francophone, c’est-à-dire l’ancien empire colonial avec lequel la France a continué d’entretenir des relations privilégiées au lendemain des indépendances ? De cette Afrique francophone, longtemps instable, à l’intérieur de laquelle se sont multipliés les coups d’État ? En 30 ans, entre 1983 et 2013, trente-sept coups d’État ont été recensés en Afrique. 12 dans des pays anglophones, 25 dans des pays francophones ou partiellement francophones. Au nom de quoi la France aurait-elle pu maintenir en Afrique la même présence qu’autrefois, y jouer le même rôle géopolitique, géostratégique et géoéconomique ? La France n’a pas perdu l’Afrique par arrogance. Si elle n’a plus la place qui était la sienne du temps des colonies, c’est parce que le monde a changé, de nouvelles puissances économiques sont apparues et ont, naturellement, conquis des parts de marché, attiré les nouvelles générations africaines.
Dans la présentation de son livre, Antoine Glaser, n’arrivant pas à sortir du prisme étroit de la vieille FrançAfrique, considère que, parlant de la France, « les destinées politiques, religieuses, sociales et économiques de ce continent lui ont complètement échappé. » Il ajoute : « Par arrogance, les dirigeants français ne se sont jamais véritablement intéressés à la complexité de l’Afrique. » L’analyse est simpliste. Ce qui s’est passé en Afrique depuis la chute du Mur de Berlin et la fin de la « Guerre froide », ce n’est rien d’autre que les effets de la mondialisation. Beaucoup plus intéressante est la manière dont Jean-Michel Severino et Olivier Ray parlent de l’Afrique nouvelle dans un livre remarquable, Le Temps de l’Afrique (2010, Ed. Odile Jacob). Ce n’est pas la France qui a quitté l’Afrique, c’est désormais le monde qui arrive sur le continent.
On peut reprocher à la France et à l’Europe de n’avoir pas compris que l’Afrique allait connaître une profonde métamorphose, jusqu’à devenir l’un des moteurs de la croissance mondiale et un enjeu géoéconomique, géopolitique et géostratégique désormais incontournable. Aujourd’hui, la France est en concurrence avec les nouveaux amis de l’Afrique : la Chine, les États-Unis, la Turquie, le Maroc, le Japon, l’Inde, etc. En 2007, dans le fameux Discours de Dakar, pourtant plein de bonnes intentions, Nicolas Sarkozy, qui, il est vrai, ignorait tout de l’Afrique, avait prononcé cette phrase malheureuse selon laquelle l’Afrique n’était pas assez entrée dans l’Histoire. François Hollande, au début de son quinquennat, s’intéressait peu à l’Afrique. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy tient un autre discours. François Hollande n’a pas hésité à engager les troupes françaises au Mali, en Centrafrique.
L’autre thèse que défend Antoine Glaser est la suivante : « les plus grands groupes industriels français perdent des contrats qu’ils pensaient leur être dus et des parts de marché face à leurs concurrents chinois. » Quel est le groupe français qui croit que des parts de marché lui sont dus en Afrique ? Aucun. Les Africains font jouer la concurrence. Les Chinois viennent avec des financements. Pékin a séduit de nombreux États africains en leur proposant une offre globale : les services de ses entreprises et son aide financière. Une faible partie des financements publics chinois répondent aux critères internationaux du comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques. La Chine impose une aide liée : les financements chinois servent à acheter des biens ou des services chinois. La France n’a pas la puissance financière de la Chine, les entreprises françaises n’ont pas les pratiques non régulées des entreprises chinoises. Et l’Afrique n’est pas assez forte pour résister à la Chine. La relation entre la Chine et l’Afrique est fortement déséquilibrée, comme elle l’était autrefois entre la France, puissance coloniale, et l’Afrique colonisée.
Le livre d’Antoine Glaser se nourrit des lieux communs d’un monde ancien qui n’existe plus. Exemple frappant, lorsqu’il affirme que les congrégations catholiques françaises sont vivement concurrencées par les Églises de réveil (évangéliques, pentecôtistes, charismatiques…), sans parler de l’expansion de l’islamisme radical. En refusant de sortir du prisme étroit de la colonisation et des années 1960, Antoine Glaser ne comprend pas que le monde a changé, que l’Afrique s’est métamorphosée. On assiste simplement aujourd’hui à la naissance d’un monde nouveau, qui se caractérise par sa complexité et, dans tous les domaines, une offre mondialisée concurrentielle, y compris dans les domaines de la culture et de la religion.
La méconnaissance de ce monde nouveau conduit Antoine Glaser à des analyses anachroniques. En France, personne ne sous-estime la richesse et les potentialités de l’Afrique. Mais, l’Afrique n’est pas l’Eldorado que l’on croit, tout y est encore difficile pour les raisons que tout le monde connaît.
J’en veux pour preuve un seul exemple : l’échec d’une entreprise française, la SAUR International, filiale de Bouygues, dans le domaine de l’eau, au Mali. Cet échec de la SAUR est aussi un cuisant échec pour le FMI et la Banque mondiale. Dans le domaine de la télévision, le groupe chinois StarTimes, soutenu par Bank of China, China Eximbank, China-Africa Development Fund, rafle tous les grands marchés du passage au numérique. Grâce à sa puissance financière, StarTimes accorde aux États africains des prêts qui échappent au contrôle du FMI et de la Banque mondiale. Les Africains découvrent, un peu tard, que les conditions imposées par Star Times leur font perdre leur souveraineté sur un secteur hautement stratégique, la télévision.
Les analyses d’Antoine Glaser, dans son dernier livre, font référence à un monde ancien qui constitue le fonds de commerce de l’ancien directeur de la Lettre du Continent. Éternel donneur de leçons, Antoine Glaser publie un livre inutile, car il nous parle d’un monde qui n’existe plus. Quel serait un livre utile ? Sûrement : « Comment l’Afrique peut-elle se préserver de ses nouveaux amis ? ».
L’Afrique a subi les effets tragiques de la colonisation et de la « Guerre froide ». Peut-elle éviter les effets tragiques d’une mondialisation qui se caractérise par des guerres économiques et des guerres culturelles d’une violence inouïe ? Les nouvelles générations qui, heureusement, font leurs études partout dans le monde, sauront-elles préserver l’Afrique des nouveaux prédateurs qui la menacent ? Pourquoi Antoine Glaser n’a-t-il pas écrit : « Arrogant comme un Chinois en Afrique » ? C’est ce qui, aujourd’hui, correspond à la réalité, même si les Chinois essaient de corriger leurs erreurs en jouant la carte de la diplomatie culturelle, mais toujours à leur avantage (on ne compte plus les « Centres Confucius » qui s’ouvrent partout en Afrique). D’ailleurs, on parle toujours des relations Chine-Afrique, mais jamais des relations Afrique-Chine. L’arrogance supposée de la France vis-à-vis de l’Afrique ? Le vieux « marronnier » des «vieux» journalisteset le fonds de commerce des militants de la repentance.
Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul
Directeur de la rédaction du magazine Afrikipresse
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