De passage à Abidjan dans le cadre de la campagne du second tour des législatives françaises dans la 9e circonscription comprenant l’Afrique de l’Ouest et Maghreb, Elisabeth Moreno, candidate de la majorité présidentielle dans ladite circonscription, assure connaître les problèmes que vivent les Français et les Françaises au quotidien en Afrique.
Dans un entretien accordé à l’Intelligent d’Abidjan et Afrikipresse à l’issue d’un meeting avec des membres de la communauté française en Côte d’Ivoire, l’ancienne ministre française chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances, a exposé entre autres, ses ambitions pour ses compatriotes vivant dans cette partie du continent africain.
Vous êtes en campagne pour le second tour des législatives françaises 2022, dans la 9e circonscription. Comment les choses se passent sur le terrain ?
Elisabeth Moreno : Je trouve que c’est extrêmement intéressant d’aller à la rencontre des français dans les 16 pays de cette circonscription. Même si les pays sont différents, que ce soit le Maroc, l’Algérie, la Côte d’Ivoire ou le Sénégal, le fond des problèmes que les gens rencontrent reste les mêmes. À savoir l’éducation, la santé, la qualité des services consulaires, l’entreprenariat, les questions de sécurité, les questions de leurs liens avec la France.
Même s’ils sont loin, ils veulent quand-même être considérés comme des citoyens à part entière. En plus, on sort d’une crise sanitaire, on a la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Il y a beaucoup d’anxiété, beaucoup d’inquiétudes et de préoccupations chez les français qui vivent à l’étranger ; et je crois que c’était un bon moment pour prendre la température de comment ils se sentent. Je suis venue m’imprégner de ce qui les préoccupe au quotidien et leur dire qu’ils ne sont pas seuls. Leur dire que la France ne les oublie pas. Ce n’est pas parce qu’ils sont loin des yeux qu’ils sont loin du cœur.
Sentez-vous que votre message passe ?
Elisabeth Moreno : Qu’est-ce que vous en avez pensé (rire). Je trouve que c’est bien. Cependant je ne vote pas (rire). Je pose la question parce que dans vos échanges avec les électeurs, on a souvent l’impression que le ton n’est pas loin de monter à un moment donné. Est-ce que vous pensez que vous arrivez à les convaincre ?
Je ne pense pas que le ton ait augmenté. La seule personne avec laquelle le ton a augmenté, c’était l’électeur de Jean-Luc Mélenchon. Il me dit que Jean-Luc Mélenchon ne veut pas faire la double imposition. Pardon, mais moi, je n’invente rien. Je prends les choses factuellement.
Alors, si Jean-Luc Mélenchon a changé d’avis entre le mois d’Avril (pendant la campagne de la Présidentielle. Ndlr) et maintenant, alors qu’il a mis cela dans son programme, moi je suis obligée de lui répondre. Pour le reste, je pense que le message passe. Pourquoi ? Parce que je suis une française de l’étranger ? Je suis née sur ce continent, j’ai été expatriée à deux reprises (du Cap-Vert au Portugal, du Portugal à la France. Ndlr).
J’ai travaillé pendant 15 ans avec l’Afrique et j’ai toujours été entre le France et les pays d’Afrique. Et donc, les problèmes qu’ils rencontrent au quotidien en Afrique, je les connais par cœur, parce que je les ai vécus personnellement. Je sais ce dont ils souffrent. Je sais les difficultés auxquelles ils sont confrontés, et je peux en parler avec eux en connaissance de cause. Je peux mettre en place les politiques, faire voter les lois qui vont les aider à résoudre ces problèmes.
Quand je leur parlais des problèmes bancaires, comment c’est possible d’être français et de ne pas pouvoir ouvrir un compte en banque en France et ne pas demander un crédit en France ? C’est absurde ! Ça, c’est un sujet que je connais par cœur parce que j’y ai été confrontée. Et ça m’a permis de pouvoir trouver les solutions adaptées pour pouvoir y répondre. Pour répondre à votre question, oui je pense que le message passe !
Les français de l’étranger, notamment dans notre zone ici ont-ils aussi envie de bénéficier de l’école gratuite pour leurs enfants dans les établissements français ?
Elisabeth Moreno : Les français de notre zone ne demandent pas l’école gratuite.
Ah bon ?
Elisabeth Moreno : Non du tout ! Il y a un candidat qui dit : ‘’Si je suis élu, je vais faire l’école gratuite’’. Mais monsieur, rien n’est gratuit dans ce monde !
Tout doit être payé. Si quelqu’un doit payer, c’est qui ? Ce sont nos concitoyens ? On va augmenter les impôts et on va dire : “Il faut payer l’école pour que les enfants des français à l’étranger puissent y avoir accès ? ”.
Moi, je sais comment l’éducation est importante. Je sais comment donner accès à nos enfants, à une éducation de qualité et qui soit accessible à tous les parents français qui ont envie de mettre leurs enfants à l’école française. C’est fondamental, parce que c’est ce qui prépare nos enfants à leur avenir.
Je sais que l’État ne pourra pas tout payer et rendre l’école gratuite. Ce n’est pas que l’État ne veut pas. Mais c’est que ça a un coût colossal. En France, ce sont les communes, les départements, les régions qui paient une partie de la scolarité. Ici, il n’y a pas cela parce que ces français ne vivent pas là-bas en métropole. Il faut trouver d’autres moyens de financement.
[“Ce qui a joué en ma défaveur au premier tour (…), je reste humble”]
Que proposez-vous donc ?
Elisabeth Moreno : Je propose d’aller travailler avec des fondations, d’aller faire des partenariats public-privé pour arriver à financer une partie de cette scolarité pour que les parents qui sont défavorisés, qui sont en situation de pauvreté, puissent quand même mettre leurs enfants à l’école. Parce que l’école doit être accessible à tous les enfants. Pour moi, c’est plus qu’important.
On a vu les résultats du premier tour. Votre adversaire Karim Ben Cheikh est en tête avec 40% des voix et vous venez après lui avec 29%. On sait aussi qu’il y a eu un taux d’abstention très élevé. Ce taux d’abstention a-t-il joué contre vous ?
Elisabeth Moreno : Ce qui a joué en ma défaveur, c’est que je me suis déclarée tardivement. Karim Ben Cheikh fait campagne depuis plus d’un an. Moi, j’ai été investie il y a 3 semaines et donc, je suis partie plus tardivement. Je crois surtout que ce qui est extrêmement important aujourd’hui, d’abord je remercie les gens qui m’ont fait confiance et qui ont permis de me qualifier au second tour.
Il y a 2 personnes au second tour et moi j’y suis, c’est déjà une première étape de franchie. Maintenant, je reste humble. Vous savez, ce n’est pas une compétition personnelle et individuelle. Les questions que les français et les françaises qui vivent en Côte d’Ivoire doivent se poser, c’est qu’ils ont envie de se voir représenter à l’Assemblée Nationale.
Est-ce que c’est une personne qui a été choisie par le président de la République et qui a l’oreille du Président de la République, qui a travaillé avec Elisabeth Borne, actuelle Première ministre de France (Ndlr) qui connaît tous les membres du gouvernement ? Est-ce qu’ils veulent quelqu’un qui sait les fonctionnements des institutions et qui peut faire avancer les droits et les intérêts des français qui vivent en Côte d’Ivoire ?
Si c’est cela, je suis la bonne personne. Moi, je sens que je suis capable de faire le pont entre nos deux pays. Je sens que je peux créer des liens entre nos 2 pays. Je veux porter des questions qui nous permettent d’avancer, que ce soit des questions sur les sujets économiques, culturels, sociaux, je me sens capable de porter cela parce que c’est de là que je viens. Je crois que la grande gagnante de ces élections, c’est l’abstention. Nos démocraties sont en crise parce que les gens ne croient plus aux politiques.
Il y a un désamour qui est en train de s’établir et c’est pour cela que nous avons une responsabilité importante sur ce sujet, c’est pour cela que le président Emmanuel Macron a dit qu’il voulait redynamiser la vie politique française. Il ne faut pas se désintéresser pendant 5 ans et revenir au moment des prochaines élections.
Il faut dynamiser cette vie démocratique, faire davantage participer nos concitoyens à tous les champs de décisions, aller chercher les bonnes idées là où elles se trouvent pour leur donner le sentiment que leurs voix ne comptent pas qu’au moment où ils déposent leurs bulletins dans l’urne. S’ils ont des idées, des recommandations, des sujets qu’ils voudraient que nous portions, qu’ils puissent l’exprimer tout au long du processus.
Moi, parce que je viens de la société civile, je sais qu’il y’a de merveilleuses idées sur lesquelles nous pouvons capitaliser et sur lesquelles nous n’avons pas suffisamment travaillé. Aujourd’hui que ce soit dans l’entrepreneuriat, dans l’éducation, la santé, la culture, il y a plein de choses à faire ensemble.
Le 19 juin 2022, le dernier jour du vote, n’est plus loin. Comment comptez- vous faire refaire votre retard au tableau d’affichage ?
Elisabeth Moreno : La meilleure manière de faire, c’est d’aller à la rencontre des gens. J’ai rencontré des milliers de français ces dernières semaines. J’ai fait tous les pays les plus grands de cette circonscription parce que je crois que la meilleure manière de trouver des solutions aux problèmes des gens, c’est d’écouter les problèmes qu’ils rencontrent, c’est voir les solutions qu’ils proposent et c’est construire pour avoir un programme qui soit réaliste et qui soit réalisable.
Je vais continuer de faire cela jusqu’au dernier jour. Quand vous allez à Abidjan, vous entendez un problème que vous n’avez pas entendu à Bassam, que vous n’avez pas entendu à Dakar, chaque famille est spécifique, chaque pays est spécifique et la meilleure manière de répondre aux attentes de nos concitoyens qui vivent ici, c’est de les écouter.
Vous êtes Abidjan aujourd’hui, quelles sont les autres localités que vous avez eu à visiter ?
Elisabeth Moreno : Je suis allé au Maroc, en Tunisie, au Sénégal, c’est la 2e fois que je viens en Côte d’Ivoire, je vais aller en Algérie. J’ai fait des visioconférences avec les autres pays parce que je ne peux malheureusement pas me déplacer dans tous les pays. J’essaie d’être le plus connectée possible. L’un des pays qui a le moins de français, c’est le pays où moi je suis née, c’est le Cap-Vert, il y a 283 français. Même là, je veux leur parler, parce que quand vous êtes français, où que vous soyez, même si vous n’êtes que 3, on doit vous entendre.
Par Jean-Hubert Koffo, Coll O. Djibril