Le sort des 10 accusés dans le cadre du procès en assises des disparus du Novotel est connu. Deux mois après l’ouverture des assises au tribunal de Yopougon, l’arrêt a été rendu par le président Mourlaye Cissoko dans la nuit du jeudi 14 au vendredi 15 avril 2017 à minuit .
Au banc des accusés pour 4 chefs d’accusation, 6 personnes ont fait l’objet d’une condamnation d’emprisonnement. Il s’agit du général Dogbo Blé Brunot qui écope de 18 ans d’emprisonnement. Les colonels Ohoukou Mody et Aby Jean quant à eux écopent de 20 ans d’emprisonnement. Guehi Bleka prend 10 ans et Yoro Tapeko Max Landry, le seul civil écope de 6 ans de prison. Le tribunal a déclaré non coupables Sery Joseph, Zazou Koffi, Don Joël, Koffi Félix Houphouët et a prononcé leur acquittement.
[ Maitre Gohi Bi Raoul, avocat de la défense : ] « La Cour d’assises ne connaît pas les règles qui régissent son fonctionnement »
Dans le bref entretien ci-dessous au terme des délibérés connus tard dans la nuit, Me Gohi Bi Raoul, un des avocats de la défense, a estimé que la Cour d’assises a tordu le cou au droit. Il entend faire appel. Selon lui, ses clients ( au nombre de trois ) , qui ont été condamnés ont été victimes d’un procès politique dans l’intérêt de faire plaisir à l’État français.
Maitre, les délibérations viennent d’être connues et condamnent vos clients à de lourdes peines d’emprisonnement. Quel commentaire faites-vous ?
Dans un premier temps, je tiens à vous signifier que je n’ai pas pour principe d’apporter des commentaires sur les jugements rendus par les juridictions de mon pays , parce que j’estime que tout mécontentement face à une décision dont on n’accepte pas le prononcé nécessite des voies de recours. Donc, dès les premiers jours ouvrables prochains, (mardi 18 avril), nous allons nous pourvoir en cassation à l’effet de soumettre cette décision à la censure de la Cour suprême.
Vous êtes insatisfait des décisions rendues ?
Je n’ai jamais trouvé une décision qui est autant d’une monstruosité juridique. Je refuse de rentrer dans le fond sur les raisons qui ont motivé les juges à déclarer la culpabilité de mes clients, notamment le général Dogbo Blé, le général Abi Jean et le commissaire Osé Loguet. Mais, ce que je trouve exécrable, c’est que la Cour d’assises, elle-même, ne connaît pas les règles qui régissent son fonctionnement. Parce que le premier article du dispositif dans le code pénal qui régit le fonctionnement des Cours d’assises, c’est l’Article 231 du code de procédure pénale qui stipule clairement dans son alinéa 1er que la Cour d’assises ne peut juger que les personnes qui sont renvoyées devant elle par l’arrêt de la chambre d’accusation. Et en l’article 2, la chambre d’accusation ne connaît d’aucune autre accusation. Ce qui veut dire en termes simples que la Cour d’assises ne peut connaître que des accusations qui sont portées dans l’arrêt de renvoi de la chambre d’accusation. Dans l’arrêt de la mise en accusation de la chambre d’accusation qui renvoie les accusés devant elle. Je ne peux comprendre comment la Cour d’assises ait pu – alors que l’arrêt de la mise en accusation vise des faits d’assassinat, ce qui implique une préméditation dans l’accomplissement des faits, ce qui implique que les faits d’assassinat, de meurtre doivent être planifiés au préalable – avoir le courage de dire en suivant notre plaidoirie qu’il n’y a pas préméditation, mais plutôt qu’il y aurait meurtre, et retenir sa compétence pour juger de cette nouvelle accusation qui n’est pas visée par l’arrêt de la chambre de mise en accusation de la chambre d’accusation. C’est une violation intolérable des dispositions de l’article 234 alinéa 2 qui stipule qu’elle ne peut connaître d’aucune autre accusation que celle visée par l’arrêt.
Pourtant vous aviez dans votre plaidoirie ce matin félicité cette Cour d’assises présidée par Mourlaye Cissoko pour avoir respecté les droits de toutes les parties (ndlr défense, partie civile, accusés) durant le déroulement du procès…
J’ai attiré l’attention de la Cour au début de ce procès sur le fait que les initiateurs de cette poursuite, c’est-à-dire le régime en place , et les tenants de cette poursuite c’est-à-dire la communauté internationale et notamment la France attendaient cette condamnation pour solder le régime de l’ex-président Laurent Gbagbo. Me Pierre Sur, représentant de la partie civile n’est pas allé du dos de la cuillère pour reconnaître que l’objet de ce procès n’était pas de dire le droit, mais simplement de satisfaire les intérêts de ceux qu’il représentante, en ce sens qu’il dit qu’il est satisfait de la décision parce que maintenant on peut aller à la réconciliation. Est-ce que le but d’une décision de justice, c’est de condamner pour aller à la réconciliation ou de dire le droit ? Il a fait preuve d’une grande indignité en disant cela pour un bâtonnier qu’il est. Ce qui veut dire que c’est une condamnation présumée faite dans le besoin exclusif de satisfaire la France. Toute chose qui laisse apparaître qu’il représentait les intérêts de la France.
[ Me Pierre Olivier Sur, avocat français : « Ce verdict nous paraît équilibré »]
Pour l’avocat français de la partie civile, le droit a été dit, et le pays peut aller maintenant à une véritable réconciliation : « Je pense que la justice a été rendue, cela fait de nombreux mois qu’on attendait cela. Après 2 mois d’audience, on a considéré ce que nous pensions, c’est-à-dire qu’il y avait une vraie chaîne de commandement et en haut de cette chaîne de commandement, il y a le général Dogbo Blé Brunot, qui est le principal chef de ce drame. Par ce verdict qui vient d’être rendu, on va pouvoir permettre aux uns et aux autres de trouver un apaisement. Trouver un apaisement, commencer enfin le travail de deuil, ce verdict aura au moins la vertu de remplacer ce que nous n’avons pas(…) Ce verdict nous paraît équilibré en ce sens qu’il a condamné très lourdement, en destituant les galons des militaires . Je salue la Cour d’assises qui a eu le courage de rendre une décision pas facile après l’acquittement, il y a quelques semaines de Simone Gbagbo. Maintenant, on sait qui a tué, nous avons les responsables. Refermons ce dossier. Pensons à une réconciliation nationale. Et concernant les victimes qui n’étaient pas présentes pour crier vengeance, ou pour exprimer une haine quelconque pendant une semaine, elles sont venues à l’audience, sans jamais avoir eu la parole, mais en se comportant d’une façon aussi digne que la défense était indigne ».
Un compte rendu d’Ernest Famin
(Re)Lire >> Procès du Novotel en Côte d’Ivoire : le général super star Dogbo Blé et le costume bleu porte-bonheur