Le président français a quitté Beyrouth, la capitale libanaise dans la soirée de mardi 1er septembre 2020 pour l’Irak. Au terme de sa deuxième visite à Beyrouth depuis l’explosion meurtrière du port de la ville, Emmanuel Macron a tenu ce même mardi, une conférence de presse.
De son séjour libanais, il faut retenir une forte implication de la France dans la reconstruction de ce pays, ex colonie française (le Liban fut sous mandat français dès 1920, après la deuxième guerre mondiale avec la société des nations, SDN).
En effet, après une première aide apportée le 6 août 2020 lors de sa première visite, Emmanuel Macron a annoncé la tenue d’une conférence de mobilisation de l’aide au peuple Libanais avec les nations unies, dans la deuxième quinzaine du mois d’octobre 2020 à Paris.
Mais cette aide ne sera possible que dans un climat apaisé avec un agenda politique clair et des réformes qui répondent aux attentes des populations.
« Les acteurs politiques ont conclu un accord, qui prévoit la formation d’un gouvernement inclusif avec toutes les forces vives du pays sous 15 jours. Il a pour mission de porter assistance aux populations sinistrées, de reformer le secteur de l’électricité, de contrôler le transfert de capitaux, de veiller à la bonne gouvernance juridique et financière, de faire un audit de la banque centrale, de lutter contre la corruption et la contre bande et enfin de réformer les marchés publics » a fait savoir, Emmanuel Macron avant de se soumettre aux questions des journalistes.
Sur les manifestations, la liberté d’expression des journalistes et artistes à Beyrouth, il a dit :
« Le rôle de la France est de protéger tous ceux qui sont empêchés de s’exprimer librement. Je veux parler des journalistes et des artistes ».
Sur la présence du Hezbollah au parlement et sa prédominance dans la vie politique au Liban, il a dit :
« Il ne m’appartient pas d’invalider les élections ou de reconnaître une force politique. Je ne suis pas le juge de votre scrutin pour confirmer si le Hezbollah a été élu dans des conditions pacifiques. Si je voulais être dans la pureté des intentions, je condamnerais le Hezbollah dans sa plénitude pour ses actes terroristes. Mais est-ce que j’aurai résolu le problème des libanais avec ces simples déclarations ? Je pense que non. Ce qu’il faut savoir est que d’autres forces politiques n’ont pas réussi à bien diriger le pays, à rendre les gens plus heureux. C’est pourquoi le problème du Hezbollah ne doit pas bloquer le reste de la discussion ».
Sur la désignation d’un premier ministre contesté, il a dit :
« Moi je crois en la souveraineté des peuples, malheureusement au Liban, le neuf a du mal à émerger et l’ancien tarde à partir. Mais la politique étant le leadership, la France, ni aucune puissance étrangère n’a intérêt à interférer sur ce sujet. C’est un sujet du peuple Libanais avec son histoire. La deuxième façon de faire est que ce mouvement social trouve un débouché politique. C’est le fameux sujet des élections.
Seulement, est-ce qu’avec la même loi électorale, ce mouvement trouvera un débouché pour ceux qui réclament des élections afin de s’exprimer ? Même avec une loi différente, elle sera toujours faite avec les gens autour de la table qui ont été élus démocratiquement par la loi existante dans votre constitution.
Et donc si on joue la continuité démocratique, elle ne peut s’installer que parce que la majorité des forces en présence aura constitutionnellement redéfini une nouvelle règle du jeu qui permet cette émergence. Mais il est trop tôt pour le dire ».
Sur les solutions à court, moyen et long terme pour sortir le Liban de la crise, il a dit :
« Si on ne met pas la pression sur le système, pas pour le sauver mais redonner un peu d’énergie et d’espoir au peuple libanais, là on joue la politique du pire. Ce qui est une faute pour la France. Ou bien le système se transforme de lui-même pour correspondre aux aspirations du peuple ou bien que le peuple lui-même retrouve le chemin démocratique de sa propre représentation. Peut-être qu’un peu des deux convergent vers un système politique lucide qui veut que la société civile prenne plus de place et une société civile qui accepte de renter dans le champ politique, ou bien enfin c’est par spasme socio-politique que le changement se fera et peut-être par des voies extra constitutionnelles. Je vous décrie ici les possibilités. En tout cas nous ne laisserons pas la politique du pire l’emporter : celle qui consiste à laisser le Liban à lui-même et à dire que les gens se lasseront, le désespoir gagnera, les gens intelligents quitteront le pays et l’obscurantisme l’emportera. C’est cela le scenario du pire sur lequel parient certains en se disant, un moment, il y aura une crise et on se séparera des forces politiques qu’on n’aime pas. Je pense que ça c’est l’anéantissement du Liban quand on sait que lorsqu’un pays s’effondre, on ne sait jamais quand il renait. Et donc je me battrai de toutes mes forces pour que ce scenario n’arrive pas ».
Comprendre le Liban
Dans la conscience populaire des libanais, l’explosion du port de Beyrouth le 4 août dernier, qui a fait au moins 190 morts, est la preuve de la décomposition de l’Etat sous l’effet de la corruption et de la gabegie des partis au pouvoir. Le Hezbollah ou Parti de Dieu est jugé coresponsable de la crise économique et politique née à l’automne 2019. Ses opposants politiques lui reprochent l’isolement du Liban.
« Lâché par les riches parrains du Golfe, le pays pâtit des sanctions américaines imposées au parti chiite pour son alignement avec l’Iran et son engagement en Syrie aux côtés de Bachar Al-Assad et au Yémen auprès des houthistes » fait savoir le confrère Le Monde.
Mais pour Aurélie Daher, enseignante-chercheure à l’Université Paris-Dauphine et Sciences-Po Paris, citée par le quotidien français Le Monde « le Hezbollah reste le premier parti du Liban. Sur le plan démocratique, avec sa coalition d’alliés de toutes les confessions, il reste populaire auprès de la majorité numérique des Libanais et vainqueur des législatives de 2018. Et les théories accusant le Hezbollah ont amené la majorité de la communauté chiite à resserrer les rangs autour de lui ».
« Même après le 4 août, les gouvernements libanais comme français ont insisté sur le fait que la double explosion du port relevait d’une négligence et d’une incompétence institutionnelle qui n’avait rien à voir avec le Hezbollah, même si ses détracteurs au Liban ont intérêt à privilégier la théorie d’une attaque israélienne contre un entrepôt “plein d’armes du Hezbollah”. Ses sympathisants, chiites ou extérieurs à la communauté, continuent de le soutenir », conclut Aurélie Daher.
Et à Gebran Bassil, le chef du Courant patriotique libre (CPL), de le rappeler :
« L’entente du 6 février 2006 entre (le président chrétien) Michel Aoun et Hassan Nasrallah est fondée sur la défense du Liban face à Israël et au terrorisme ».
Philippe Kouhon