Il y’a quelques jours j’ai développé la thèse selon laquelle il faut rendre à Laurent Gbagbo son Fpi.
Aux uns cela a déplu, aux autres cela a plu. Au moment où j’écrivais ces lignes , je ne savais pas ce qui se passait à Mama.
Mon souci était d’éviter la poursuite d’une guerre des nerfs et d’une épreuve de force autour des enjeux internes du Fpi, d’autant plus qu’en parcourant les réseaux sociaux j’ai cru lire que Laurent Gbagbo a appelé Sangaré Aboudrahame pour le féliciter pour mission accomplie, ironisant même sur le score soviétique de son plébiscite à la présidence du Fpi .
Je suppose que cet appel depuis la Haye est vrai, que ce n’est pas de l’intox , même si Pascal Affi N’Guessan avait réussi à jeter le doute sur une signature certifiée par notaire et attribuée à l’ex chef de l’État ivoirien.
Je suppose que c’est vrai et je me demande si finalement Affi N’Guessan est obligé de faire le travail de Laurent Gbagbo, alors qu’il est clairement établi que Gbagbo Laurent lui-même ne veut pas de ses méthodes.
À l’allure où vont les choses, Affi N’Guessan peut bien obtenir la libération de Laurent Gbagbo, sans que ce dernier accepte de sortir de prison, parce que cette libération serait venue d’Affi, et dans des conditions qu’il ne maîtrise pas.
Donner son Fpi à Laurent Gbagbo permettra clairement
– à l’ex-président d’assumer ses propres échecs que ses partisans lui pardonnent toujours ,
– à tous de faire le constat de son incapacité à rassembler la totalité des siens avec la preuve que l’ex-président ivoirien est bien dans la majorité et non l’unanimité, alors qu’il devait être un vecteur de consensus et d’unanimité au sein de son camp pour espérer être à nouveau un recours pour l’ensemble des populations ivoiriennes.
Il faut rendre le parti à Laurent Gbagbo pour peut être mieux casser le Fpi si tel est l’objectif visé à travers le soutien objectif et désormais “affectif” apporté à Affi N’Guessan.
Rendre le Fpi à son César et mentor aura aussi pour effet de ressouder davantage le Rhdp derrière Alassane Ouattara puisque c’est quand le Fpi est absent et faible, que le Pdci hausse le ton pour jouer à l’opposant historique.
En réalité une opposition du Pdci au Rdr est une opposition photocopie à laquelle il faut préférer l’original qu’est le Fpi.
Quand l’opposition originale Fpi est présente , quelle critique crédible et audible le Pdci original et officiel de Bédié , ou même celui des irréductibles peut -il valablement faire contre Ouattara ?
Rendre à Gbagbo son Fpi c’est créer les conditions pour libérer la parole et pour aller à l’auto critique.
La crainte des «Gbagbo ou rien» et qui explique leur acharnement contre Affi N’Guessan , est liée à la peur de la perspective de l’auto-critique , à la peur d’avouer qu’ils se sont un peu trompés, et qu’ils ont aussi trompé leur chef Gbagbo, même si ce ne fut pas « à l’insu de son plein gré», comme dirait l’autre.
Cependant si les « Gbagbo ou rien» s’en sortent maintenant, parviennent à défier la justice et à neutraliser Affi N’Guessan , ils échapperont difficilement au tribunal de l’histoire qui jugera froidement dans 50 à 100 ans.
Les « Gbagbo ou rien » qui réfutent l’idée qu’ils ont pu se tromper, ou aider à tromper l’ex chef de l’État, utilisent exactement la même posture qui avait conduit à la crise post-électorale, et à la chute du 11 avril 2011. Cette posture qui n’avait pas été gagnante, peut-elle être porteuse de succès cette fois-ci ?
Laurent Gbagbo étant redevenu président du Fpi, ceux qui ne sont pas d’accord avec ce passage en force devraient enfin avoir le courage d’assumer et de quitter le parti , à défaut de rejoindre ouvertement le camp Ouattara.
Laurent Gbagbo et le Fpi ont exclu Affi N’Guessan. Est-ce une manière de mettre la pression ou une option claire de se passer d’Affi N’Guessan, de Marcel Gossio, d’Adèle Djedje et bien d’autres cadres «affidés», en les laissant rejoindre ouvertement le camp Ouattara ?
Ceux-ci peuvent-ils accepter l’humiliation et rentrer comme ça dans les rangs du Fpi pour devenir de simples militants, sous les ordres, selon eux non de Gbagbo, mais de Nady Bamba?
De nombreux ivoiriens ont de la sympathie pour Laurent Gbagbo sans être militants du Fpi. L’ex président lui-même avait été candidat CNRD et majorité présidentielle lors de l’élection de 2010.
Tout président de la république qu’il était Laurent Gbagbo avait choisi d’élargir sa base et de ne pas apparaître comme l’homme d’un clan, d’un seul parti politique, du seul Fpi.
Il avait même dit quelques années plus tôt que ce serait se rabaisser s’il lui venait en tête de disputer la présidence du Fpi, à Pascal Affi N’Guessan qui a tort de continuer de croire à cette profession de foi.
Aujourd’hui la réalité de la prison a fait son effet. Ainsi Laurent Gbagbo ne peut pas être Poutine qui domine et manipule son pays, qu’il soit à la Primature, ou à la présidence de la République.
Laurent Gbagbo en prison a tragiquement besoin du Fpi, et il accepte de se rabaisser. Il sort de la vallée, pour descendre dans la cour commune.
En reprenant la présidence du Fpi, l’ex chef de l’État espère s’en servir forcément comme instrument pour sa libération, comme moyen de pression politique, ( pour ne dire comme moyen de chantage politique).
Laurent Gbagbo espère s’imposer comme candidat à la prochaine présidentielle ivoirienne et souhaite agiter la menace du boycott de l’élection à venir à travers le message suivant : si on ne discute pas directement avec lui, si on ne s’engage pas à le libérer, il ne fera rien pour faciliter la tâche aux autorités ivoiriennes.
La stratégie étant connue , il revient au gouvernement Ouattara de trouver des solutions.
Avec cette option stratégique périlleuse en ce qu’elle l’expose plus que jamais directement, et ne permet plus de douter qu’il est celui qui tire les ficelles et donne les ordres, Laurent Gbagbo qui a l’avantage d’avoir été chef de l’État, tourne le dos à tous ces ivoiriens qui l’admirent mais qui ne sont pas militants du Fpi. Il tourne également le dos aux quelques partisans d’Affi N’Guessan qui sont frustrés .
Mais alors dans cette perspective, ne peut-on pas considérer que le meilleur adversaire d’Alassane Ouattara est Laurent Gbagbo?
Faisons quelques minutes de fiction politique et imaginons que Laurent Gbagbo sorte de prison avant la présidentielle à venir en Côte d’Ivoire !
Qui va encore parler de KKB, Essy Amara, Charles Banny et des autres?
Toutefois ces candidats voudront-ils alors se rallier à une candidature de Laurent Gbagbo? Ne diront-ils pas : « c’est vrai que Ouattara déconne , mais en dix ans Laurent Gbagbo lui aussi a lui aussi “zayé” beaucoup, on veut bien qu’il sorte de prison, mais il ne mérite pas qu’on le suive comme ça».
En clair il est bien intéressant d’aller voir Laurent Gbagbo à la Haye, mais plus compliqué de faire allégeance quand Gbagbo Laurent est sorti de prison.
Si Banny, Essy Amara et KKB récusent le bilan de Ouattara, est-ce pour que Gbagbo redevienne président de la République?
Fin de la fiction et retour à la réalité et à l’actualité avec Laurent Gbagbo pas encore sorti de prison, et qui pourrait au plus tôt être libre après la présidentielle ivoirienne à venir, si elle se déroule dans de bonnes conditions.
Laurent Gbagbo est donc encore en prison, et le voici président du Fpi.
Même si finalement il n’est pas lui-même candidat, même si finalement son parti accepte d’aller à l’élection sans lui , comment croire que Laurent Gbagbo sacrifiera les cadres authentiques du Fpi ( le fleuve vers lequel affluent les rivières ), au profit des candidats irréductibles issus du Pdci-Rda et au profit des candidats des autres voies?
La condition de prisonnier de Laurent Gbagbo suscite des sympathies pour lui. La posture de combattant politique depuis la prison met fin à cette sympathie.
Tous ceux qui se sont retrouvés dans le tous sauf Ouattara , pourraient bien oublier leurs griefs contre Ouattara face à la perspective d’un retour au pouvoir imminent et immédiat du Fpi ou de Laurent Gbagbo.
Le début de réalisation de cette perspective de retour de Laurent Gbagbo et du Fpi au pouvoir fera tellement peur, que les hésitants et les frustrés du pouvoir actuel pourraient être mieux mobilisés autour de Bédié et de Ouattara.
Le pouvoir sait se souvenir que c’est le combat contre Gbagbo et le Fpi qui avait soudé le Rhdp. Lorsque la menace Fpi et Gbagbo a disparu, le Pdci et le Rdr se sont affrontés aux législatives puis aux municipales et régionales.
Cette guerre fratricide aurait-elle eu lieu, si le Fpi avait été dans la cours des élections locales de 2011 et 2013 ?
C’est au moment où des cadres du Pdci-Rda rêvaient de capter les voix du Fpi et de Gbagbo, qu’Affi N’Guessan et le plus grand nombre de cadres pro-Gbagbo avaient été libérés.
Cela avait alors quelque peu calmé les ardeurs des partisans de la rupture entre le Pdci et le Rdr.
En vérité Laurent Gbagbo est le meilleur allié objectif d’Alassane Ouattara, qui n’aura plus alors à affaire à des lieutenants, à Sangaré Aboudrahame, Akoun, mais au vrai donneur d’ordres.
Si depuis la prison Laurent Gbagbo peut accepter de diriger le Fpi, il lui sera difficile de dégager sa responsabilité de chef d’État , de co-auteur dans la crise post-électorale ivoirienne.
Même si Laurent Gbagbo est encore en prison, Alassane Ouattara pourra le combattre plus ouvertement et directement.
Si on peut par exemple reprocher au président Ouattara de traiter sans pitié à Abobo un ex-président en prison d’assassin des ivoiriens, on ne peut pas lui reprocher de traiter un ex-président redevenu président de parti et un adversaire politique déclaré qui le combat depuis sa cellule de prison, d’assassin des Ivoiriens et des Abobolais, et de lui reprocher bien d’autres crimes.
Laurent Gbagbo en acceptant clairement de redevenir président du Fpi, malgré sa condition de détenu , indique qu’il n’a pas besoin d’aucun traitement de faveur. Et cela met Alassane Ouattara à l’abri de toute mauvaise conscience.
Alors je persiste et signe : moi Ouattara, je dirais merci aux « Gbagbo ou rien», je m’en laverais les mains et donnerais son Fpi à Gbagbo, car le «Gbagbo Kaffissa» ne vaut que lorsque la réalité du retour au pouvoir de l’homme reste uniquement virtuelle et très lointaine.
Si comme le dit la communication gouvernement et le slogan de la convention Rhdp, tout va bien aujourd’hui dans cette Côte d’Ivoire qui gagne sous Ouattara, si le pays est débarrassé de «l’assassin Gbagbo» , pourquoi sans aucune menace plant à l’horizon , croît-on que les militants RHDP vont se mobiliser à 1 million de personnes pour remplir le stade Félix Houphouët-Boigny ?
En redevenant président du Fpi, l’assassin de Ouattara a réveillé les victimes, les anciennes peurs et le voici en train d’aider Ouattara à faire campagne.
Tout ce que le Rhdp dira sur l’ange Affi N’Guessan ne surprendra personne, ne mobilisera personne. Au contraire, on dira qu’il y’a de bonnes personnes au Fpi avec cet Affi N’Guessan qui se voit en Macky Sall.
Mais laissez les «sorciers , les diables et les démons» tels que désignés par l’ex premier ministre Ahoussou Jeannot prendre le contrôle de leur Fpi avec Laurent Gbagbo, et alors vous verrez «la bête sauvage» se réveiller pour montrer que les gens de Mama ne sont pas les seuls garçons et Woody du pays….
C’est ce qui est en train de se passer justement avec les arrestations des cadres pro-Gbagbo. Toutefois, pour que ce combat se passe à la loyale, directement et que tous les moyens légaux soient utilisés contre Gbagbo, et pour mieux faire reculer ce même Fpi qu’ils avaient déjà défait sans le soutien d’Affi N’Guessan alors que Laurent Gbagbo était tout puissant président de la République, Ouattara , Bédié et leurs hommes n’ont plus du tout besoin d’Affi N’Guessan.
Mais comme dirait l’autre, en politique on ne fait pas toujours ce qui nous arrange, ni ce que nous souhaitons :« Oui le président s’il était un politicien opportuniste, sans éthique aurait joué ce jeu de lâcher Affi N’Guessan, de défier la justice pour reconnaître la tentative de rébellion ou putsch de Mama , mais Ouattara n’est pas un boulanger. Il a des repères et des valeurs». Ainsi soit-il !
Charles Kouassi