En Tunisie, la question du retour d’à peu près 5000 combattants partis faire le « Jihad » pour le compte de Daech (Organisation de l’Etat Islamique), n’a eu de cesse d’attirer l’attention de l’opinion publique, si ce n’est de l’inquiéter. En réaction à cette perspective troublante, certains appellent à une amnistie, quand d’autres cèdent à la facilité répressive. Par quels moyens peut-on réduire au minimum les risques liés à ce retour déjà en marche ?
En effet, mis à part une infime minorité, les Tunisiens s’opposent radicalement au retour des terroristes au pays. Ils rejettent catégoriquement cette hypothèse, vu l’ampleur de la menace qu’elle représente à la sécurité nationale. Aussi, les souvenirs douloureux de la guerre civile algérienne marquent encore la mémoire collective des Tunisiens. Cette position est compréhensible, surtout lorsqu’on sait que le retour des « Afghans d’Algérie » avait été à l’origine du noyau dur du mouvement terroriste algérien ayant causé la mort de plus de 60 000 milles personnes. Ceci étant dit, il faudrait rappeler par ailleurs que l’amnistie de Bouteflika, entre autres, avait contribué à mettre fin au calvaire.
Difficulté juridique
En fait, l’approche répressive, actuellement dominante, est loin d’être la solution idéale. Vouloir jeter en prison tous les terroristes retournés, sans différenciation aucune, reviendrait à nier le fait qu’il existe des degrés de dangerosité chez eux. En outre, un flou persiste encore quant au fondement juridique qui servirait de base à une condamnation de ces combattants djihadistes. Pour respecter l’état de droit, il est besoin de preuves des actes que l’on reproche aux « djihadistes ». Or, les photographies, les séquences vidéo, ne sont pas encore reconnues aux yeux de la Jurisprudence comme des preuves à part entière. De plus, il n’y a pas que les combattants de Daech qui sont à pointer du doigt, car il faudrait juger aussi toutes les autres personnes, les organisations et les réseaux qui ont aidé à envoyer ces ressortissants dans les zones de guerre. N’oublions pas les imams et autres responsables politiques, qui appelaient au Jihad dans les mosquées et les écoles, et parfois même, à l’Assemblée Nationale Constituante.
Difficultés technique et matérielle
A cette difficulté juridique, s’ajoute des difficultés technique et matérielle. En effet, l’Etat tunisien serait amené à entasser des milliers de prisonniers dans ses prisons. Cette charge financière serait doublée d’un risque sécuritaire majeur. Car techniquement, le fait de permettre aux terroristes détenus d’être en contact permanent entre eux et avec d’autres détenus risque entrainer une contamination.
Par ailleurs, des voix se sont élevées afin d’appeler à déchoir ces combattants retournés de leur nationalité tunisienne. En réalité, cette hypothèse est simplement impossible car fermement interdite par l’article 25 de la Constitution de 2014. Dès lors que ceux qui voudraient attaquer le pays n’ont d’allégeance qu’à la « Umma » (la grande communauté musulmane), les priver de la nationalité tunisienne, n’aurait aucun impact pratique. Pire, cela pourrait même nourrir chez eux plus de ressentiment et de désir de se venger en mettant à feu et à sang la Tunisie.
Amnistie ?
La proposition élaborée par le leader du parti Ennahda, dite la « loi de repentance », consistant à amnistier les terroristes en échange de l’abandon de la violence, est très critiquable. En effet, cette proposition a été conçue à partir de la même ligne de pensée des djihadistes, en ce qu’elle fait appel à une notion coranique « Al-Tawba », ignorant aussi bien le droit positif que les exigences sécuritaires actuelles.
Quant au gouvernement tunisien, il n’a pas présenté sa stratégie pour traiter le retour de ces jeunes intégristes recrutés par Daech. Il est vrai qu’une solution magique et systématique est inexistante. Néanmoins, il est permis de réfléchir à une approche plus intelligente permettant de minimiser les risques liés à ce retour.
Que faire ?
Dans cette perspective, le gouvernement tunisien devrait œuvrer pour, d’une part, construire des centres d’internement isolés et sous haute surveillance afin de mener les enquêtes nécessaires et faire le tri, et d’autre part, adapter le corpus législatif de manière à pouvoir traiter, judiciairement parlant, les revenants au cas par cas. Cela permettra de séparer les cas les plus dangereux et irrécupérables de ceux qui pourraient être réhabilités et dé-radicalisés.
A ces derniers, un deal pourrait être proposé : amnistie en échange, d’une part, de suivi de programmes de dé-radicalisation, et d’autre part, de fournir des renseignements utiles pour les forces de sécurité. Ces programmes devraient inclure un volet de « rééducation » et un accompagnement spécial. Des psychologues devraient pouvoir suivre de près les terroristes, pour les sortir de leur extrémisme et par là-même comprendre les ressorts de leur radicalisation dans le but de mettre en place un volet prévention pour éviter que d’autres y tombent. Sur le plan religieux, des islamologues éclairés devraient pouvoir inculquer à ces combattants djihadistes une interprétation plus raisonnable du Coran. Aussi, devrait-on penser à faciliter leur réintégration sociale en impliquant de fait leurs familles. Bien sûr, tout cela devrait être fait en collaboration avec la société civile.
A dire vrai, le retour des combattants djihadistes en Tunisie doit être regardé comme une réelle opportunité d’anéantir cette source de mal, après l’avoir soigneusement examinée. Mais il est besoin d’une approche globale traitant à la fois des aspects sécuritaires, sociaux et économiques. Ceci pour tenter d’éviter que ces revenants, faute d’occupation et de réinsertion professionnelle, rechutent entre les mains des réseaux jihadistes.
Amir Mastouri, étudiant en Droit à l’Université Toulouse 1 Capitole.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.