Depuis la première quinzaine de novembre 2016, la filière cacao rencontre des difficultés perceptibles avec le blocage de l’exportation du cacao au port d’Abidjan. Une situation qui résulte du refus de l’Etat de compenser les exportateurs pour le gap de 470 FCFA qu’il y a entre le prix du cacao à la Bourse de Londres qui est de 1.380 FCFA et le prix de vente à l’exportation imposé par le Conseil café-cacao qui régule la filière, qui est de 1.850 FCFA. Etant la première richesse du pays, et face au risque de dégradation du cacao en attente d’exportation, l’inquiétude est palpable. Comment sortir de cette impasse?
Une réponse s’impose : en rompant avec ce système étatique d’achat basé sur le contrôle des prix. Mais, pour les défenseurs du contrôle de la commercialisation des produits de rentes par l’Etat, cette politique permet de garantir de meilleurs prix aux producteurs face aux aléas du marché. Conformément à l’article 9 de l’ordonnance n°2011-481 du 28 décembre 2011, lorsque le prix à l’exportation fixé par l’État est supérieur au prix du kg de cacao à la bourse de Londres, le Conseil Café-Cacao devrait rembourser le gap à l’exportateur. Un fonds de réserve logé à la BCEAO a été créé à cet effet pour couvrir les risques liés à la commercialisation du café et du cacao. Il s’agit d’un fonds alimenté par le surplus lorsque le prix international est supérieur au prix à l’exportation fixé par l’État ivoirien. Ainsi, un fonds de réserves de 40 milliards a été mis en place dès la première campagne pour soutenir la stabilisation et à terme il devrait atteindre 120 Milliards de francs CFA. Toutefois, les partisans de ce système oublient que ce fonds n’a jamais fonctionné, et la situation actuelle indique que l’État ne respecte pas sa promesse de compenser les exportateurs en cas de chute de prix. De même, quant à la garantie d’un prix minimum avancée, il faudrait savoir que les producteurs de pays à marché libre obtiennent entre 80 % et 85 % du prix FOB pour leur cacao, alors que ceux qui travaillent dans le cadre d’une caisse ou d’un office de stabilisation, comme en Côte d’Ivoire, reçoivent habituellement moins de 50 % du prix international.
En plus du non respect de la promesse de l’Etat, ce système de contrôle des prix génère d’autres effets pervers. D’abord, la fixation des prix par l’État pourrait influencer la qualité et la quantité des produits. En ce qui concerne la qualité, la fixation des prix par l’Etat n’est pas de nature à encourager les producteurs à produire des produits de qualité étant donné qu’ils ont un prix déjà garanti. Quant aux effets de cette politique sur la quantité, il faut dire que l’existence de prix garanti incite les producteurs à produire davantage sans tenir compte de l’état du marché. Cela entraine donc une surproduction entrainant la baisse des prix.
Ensuite, tout système de fixation centralisée du prix conduit à un prix qui n’équilibre pas l’offre et la demande. Les difficultés actuelles étaient prévisibles à cause de l’impossibilité de connaître et de prévoir l’évolution des conditions du marché. Comme le dirait l’économiste Hayek (1937), aucune entité, aussi puissante qu’elle soit, ne peut maîtriser toutes les informations du marché qui sont dispersées et changeantes. Donc, le décalage entre le prix du gouvernement et celui du marché international sera toujours inévitable. Enfin, La fixation du prix par l’État n’obéit pas toujours à la logique économique. Contre toute attente, le gouvernement ivoirien a fixé le prix de la campagne 2016/2017 à 1100 FCFA qui est supérieur au prix de la campagne précédente. La fixation de ce prix par le gouvernement obéir à une logique politicienne contraire à la rationalité économique, surtout quand il y a des échéances électorales importantes telles que les élections législatives et le référendum pour la modification de la constitution étaient programmées durant le dernier trimestre de l’année 2016.
Face aux carences du système actuel, il est plus que nécessaire de libéraliser la commercialisation du café et du cacao. Il s’agit ici de permettre aux acteurs des filières café et cacao d’opérer sur un marché libre où les exportateurs, directement ou par le biais d’agents, achètent le café et le cacao aux producteurs aux prix quotidiens du marché mondial. Mais cette libéralisation doit se faire avec certains préalables pour éviter les échecs de la précédente libéralisation. En effet, la libéralisation entamée en 2001 a été un échec à cause de l’ambiguïté née de la multiplicité des structures, tant au niveau des statuts qu’au niveau des interventions. Par exemple, il y avait quatre organes de régulation (ARCC, BCC, FRC, FDPCC) sans coordination. Le manque de transparence dans la gestion des flux financiers par ces structures a occasionné des détournements massifs de fonds.
En définitive, la nouvelle libéralisation doit aboutir à la mise en place d’une structure interprofessionnelle décentralisée contrôlée effectivement par les acteurs de la filière. Cette entité sera chargée de la structuration du marché et de la commercialisation dont la gestion obéira aux critères d’efficacité et de performance. Quant à l’État, il doit être confiné dans son rôle de régulation, de surveillance et d´arbitrage en vue d´assurer le bon déroulement des opérations de commercialisation du cacao et du café. Toutes les actions de l’Etat doivent contribuer à la levée des barrières à l’entrée dans ce secteur et garantir une saine concurrence. Néanmoins, pour traiter la racine du mal, à savoir les fluctuations des cours à l’international, il faudrait envisager une solution-marché consistant par exemple à ce que les exportateurs adhèrent à des assurances privées, à un prix raisonnable, pour les couvrir contre les aléas du marché, de manière à ne pas toucher au prix pour ne pas pervertir les incitations des producteurs.
Bref, pour ceux qui ne jurent que par la caisse de stabilisation, nous leur conseillons de jeter un coup d’œil sur le fonctionnement du franc CFA. En effet, cette politique a le même principe de fonctionnement que le franc CFA, celui de mettre de côté des ressources pour garantir le prix. Mais lorsque les difficultés surviennent, le mécanisme de garantie ne fonctionne plus.
KRAMO Germain, chercheur associé au CIRES, Abidjan, Côte d’Ivoire.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.