L’Iintelligent d’Abidjan a tendu le micro à son Directeur général, Alafé Wakili, ‘’fils’’ de Mamadou Ben Soumahoro. Affligé par le rappel à Dieu de ce grand champion de la communication qu’était ‘’Waraba’’, le journaliste-écrivain et patron de presse rend témoignage :
« Mon livre «Notre histoire avec Laurent Gbagbo», je l’ai écrit en pensant à lui. Je voulais lui rendre cet hommage avant qu’il nous quitte un jour, comme aujourd’hui. J’aurais pu intituler mon ouvrage « Mon histoire avec Ben Soumahoro », car tout le monde a bien compris et reconnu que Papa c’était lui. Nous avons estimé à l’époque que mon histoire avec Ben Soumahoro n’intéressait peut-être pas encore tout le monde, comme aujourd’hui désormais. Mais comme mon histoire directe et personnelle avec lui, a été de façon indirecte une histoire, une relation avec Laurent Gbagbo, un homme qu’il a choisi et aimé jusqu’au bout, le titre s’est alors imposé à nous. Comme je l’ai dit dans mon livre, il n’était pas un béni oui oui, il disait la vérité à ses amis chefs de l’État, de Bédié à Gbagbo, et même à Houphouët qui ne manquait pas lui faire savoir ses reproches et aussi ses félicitations. Laurent Gbagbo ne suivait pas toujours tout ce qu’il disait, mais il n’a jamais rien fait pour empêcher Papa de lui exprimer ce qu’il ressentait.
Ben Soumahoro est mort en exil pour plusieurs raisons, mais cela n’est la faute à personne. D’un côté il souhaitait bien rentrer, mais de l’autre, l’appel de l’amitié et de la loyauté le bloquait. La victoire et la présidence de Ouattara, c’était sa défaite personnelle à lui. Il acceptait et vivait cette défaite avec dignité et honneur. Il pouvait se calmer, accepter de parler avec Bacongo, avec Bakayoko, Anne Ouloto, et autre mais lui demander de parler avec Ouattara, c’était fort !
Lorsque Laurent Gbagbo discutait avec Ouattara à l’époque où il était président, et que des gens lui ont suggéré de faire de même pour mettre à l’aise le président de la République, il a dit que si ces personnes insistaient, il couperait tout contact avec elles. C’était ça Ben Soumahoro ! Il avait tant aimé Alassane Ouattara, tant espéré en lui, avant d’être son plus farouche et plus virulent pourfendeur.
Le président Ouattara aura essayé tant qu’il a pu, de recoller les morceaux avec lui, mais les conditions de Ben étaient drastiques : que Ouattara fasse le ménage autour de lui, qu’il éloigne de lui ceux qu’il appelait les serveurs de thé. Le prix de la paix et de la réconciliation demandé par Waraba était trop lourd aux yeux du président du Rdr, qui ne manquera pas, malgré tout, de lui manifester souvent tout son intérêt à distance. Mais on ne pouvait pas enlever une certitude à Papa. Il estimait que Ouattara, ne voulait plus de lui, comme lui-même, il ne l’aimait plus.
Pour que son portrait de l’homme Ouattara soit juste, il ne lui était pas possible d’admettre que Ouattara ne le déteste pas ! Pour Ben Soumahoro, c’était trop beau pour être vrai que Ouattara soit rempli d’amour pour lui ! Sa fuite du pays dans des conditions douloureuses et le pillage de son domicile, le conforteront dans cette certitude, qui était pourtant en train de vaciller ces derniers temps. Car il est parti sans haine, ressentiment, ni rancune pour quiconque.
Pour avoir parlé avec lui il y’a quelques jours, je peux le dire. Des amis du président Bédié et d’autres personnes, qui lui faisaient état de la volonté du président du Pdci de le voir rentrer au pays, avec l’accord du président Ouattara, étaient de moins en moins boudés. Moi-même je n’ai pas échappé à ses passions et à son engagement dans ses combats, pour lesquels il se voulait entier. Pendant une quinzaine d’années, on échangeait une dizaine de coups de fil par jour : matin, midi, le soir, la nuit…Nos conversations étaient ininterrompues et interminables. Mais tout a cessé brusquement à partir du 28 novembre 2010, après le 2eme tour de la présidentielle. Il n’a pas été content de moi, de mon attitude et de la posture au cours de la crise. Mais jamais, il ne m’a directement rien dit à ce sujet. Alors que je me posais des questions, son épouse, ma marraine et témoin de mariage m’a dit un jour : « est-ce que ton Papa t’a appelé pour te reprocher quelque chose ? Tant qu’il ne le fait pas, ne considère rien d’autre. Ne prend pas en compte ce que d’autres te diront». Elle avait raison ! Le temps a fait son œuvre. Petit à petit, il a recommencé à me parler, sans rien me reprocher, sans rien me dire directement comme reproche. Comme si de rien n’était, il échangeait avec moi, comme avant, comme toujours, me donnant du fiston. On ne parlait plus trop de politique. On parlait famille. Il demandait après les petits-enfants, et mon épouse. Il disait que s’il ne m’appelait plus comme avant, et ne me mêlait pas de son actualité politique très pro-Gbagbo avec ses prises de position, c’était pour me protéger, car il n’admettait pas que quelqu’un qui le fréquentait aux yeux de tous, pouvait librement vivre dans le pays ! Il disait vouloir éviter de m’indisposer , car il savait que s’il m’envoyait ses articles souvent virulents, je les aurais publié au moins une fois . Il m’avait pardonné, et faisait même des plans pour moi. Son dernier rêve pour moi est resté inachevé : me faire recevoir par son ami président d’un pays voisin. Il voulait que je fasse ce voyage, cette rencontre !
Les défauts de Ben Soumahoro, je laisse le soin aux autres d’en parler. C’est un champion qui s’en est allé ! Un vrai ! Un maître de la parole, de l’art oratoire! Un maître du verbe ! Un homme de culture, qui avait une si belle plume et une écriture qui captive. Maintenant qu’il est mort, il n’a pas besoin de nos polémiques, de nos palabres. Il n’a pas besoin que par exemple des gens du pouvoir lui reprochent ce qu’il a fait, ou ce qu’il n’aurait pas dû. Il n’a pas besoin que ses amis du camp Gbagbo, reprochent quoi que ce soit à quiconque ! Ben Soumahoro a besoin enfin d’apaisement ! Ben Soumahoro a fait ses choix, il les assume. Il n’aurait jamais aimé que quiconque s’apitoie sur son sort. Cet homme qui n’a jamais réclamé une quelconque reconnaissance, ni gratitude pour ce qu’il a fait pour les autres, est déjà honoré par tous ces hommages qui lui sont rendus, de partout.
Ils ne sont pas nombreux les hommes qui à leur décès font autant l’unanimité sur leur talent et leur parcours professionnel , même si la mort est généralement le moment de la réconciliation et des hommages. De son vivant déjà, indépendamment des griefs pouvant lui être faits au sujet de ses engagements politiques et publics, Ben Soumahoro avait déjà fait l’unanimité sur ce talent professionnel ! Cela vaut tout et nous inspire ! Merci Papa pour ces moments, pour ce soutien de toujours et pour toujours !”
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