Ce lundi 03 avril 2017, premier jour ouvrable du mois d’avril, ainsi que le prévoit la nouvelle Constitution de la République de Côte d’Ivoire , s’est ouverte la session unique de l’Assemblée , en présence du vice-président de la République, Daniel Kablan Duncan, du Premier ministre, des présidents d’institution, des diplomates accrédités dans notre pays et, surtout de trois délégations de parlementaires venus du Ghana, du Niger et du Burkina Faso.
Un seul point était inscrit à l’ordre du jour ; à savoir, le discours d’ouverture de session du président de l’Assemblée nationale.
Guillaume Soro est revenu sur la question de la réconciliation nationale qui, pour lui, reste le seul gage d’un développement harmonieux du pays. À lire des extraits de son message :
« Le fait social nous renvoie à l’une de nos missions fondamentales : celle qui consiste à écouter notre peuple, à sentir les battements de son cœur, à connaître ses aspirations, à identifier les épreuves auxquelles il est soumis et à tracer avec lui les voies d’un avenir meilleur.
L’Assemblée nationale, comme vous le savez, n’est pas une entité isolée dans notre système institutionnel. Dans sa configuration politique actuelle, le parlement est comptable des succès du Gouvernement comme de ses contreperformances.
En tant qu’acteur institutionnel, il doit jouer sa partition dans l’éveil des consciences. Il doit pouvoir utiliser en toute liberté mais en toute conscience son pouvoir d’interpellation.
En raison de cette vocation particulière, j’ai souhaité que cette première année de la présente Législature soit consacrée à l’approfondissement du Pardon et de la Réconciliation nationale entre tous les Ivoiriens, par-delà leurs communautés ethniques ou leurs appartenances ou sensibilités politiques.
Sans doute, Chers collègues, nombreux parmi vous s’en souviendront, il y a de cela 5 ans, le 12 mars 2012, plus exactement, lors de la séance inaugurale de la dernière législature je prononçais cette phrase qui me revient encore à l’esprit et je cite : « la première marche vers le réveil définitif de notre jeune nation est sans aucun doute la Réconciliation entre ses filles et ses fils ».
Aujourd’hui encore, Mesdames et messieurs, la Réconciliation dans notre pays reste manifestement une quête à assouvir. Elle ne peut, au demeurant, ni se départir ni se défaire de son compagnon qui, à mes yeux, reste le Pardon.
En effet, Chers Collègues Députés, le mot Pardon signifie faire grâce, laisser vivre quelqu’un qui nous paraît condamné. C’est notre part de don de soi. Le pardon à autrui renvoie à un acte de politesse, un acte qui instaure la civilité entre les personnes, recréant entre ces personnes une relation de convivialité qui dissout le conflit qui les opposait dans le retour à la vie normale.
Bien sûr, il y a des amalgames sur le sens du pardon. Nous devrons doncveiller à les éviter.
Ainsi :
• certains refusent de pardonner parce qu’ils croient que pardonner, c’est cautionner le mal qui a été commis ;
• certains encore, refusent de pardonner parce qu’ils croient qu’on leur impose ainsi la réconciliation ;
• d’autres, refusent de pardonner parce qu’ils croient que ce serait renoncer à la justice ;
• enfin, d’autres, fort pessimistes, refusent de pardonner parce qu’ils croient que c’est faire preuve de faiblesse.
Au-delà de tout, le pardon c’est principalement la guérison des blessures du cœur, une hygiène intérieure par laquelle nous retrouvons la liberté d’aimer en nous débarrassant du poison de la haine et en évitant de laisser cette haine s’accumuler dangereusement en nous.
En définitive, le pardon, c’est l’acceptation mutuelle de revivre ensemble en mettant fin aux causes et pratiques qui nous ont opposés et faits atrocement souffrir par le passé.
Chers Collègues, Respectables invités,
Un proverbe juif, à juste titre, dit ceci : « Dans l’amitié, ménage une petite place pour la brouille; et dans la brouille, une autre pour la réconciliation. »
Voilà pourquoi, dans une société comme la nôtre, qui a connu et traversé des tragédies, le pardon est l’antichambre nécessaire de la réconciliation nationale. Celle-ci se fait nécessairement entre moi et mon prochain. Elle suppose un mouvement réciproque de chacun vers l’autre, un pas décisif vers le renouveau des relations humaines.
La réconciliation désigne le rétablissement des liens humains, le raccommodement de la société, la réhabilitation d’un espace de vie qui avait été auparavant profané par les tragédies.
J’ai voulu ainsi retrouver le sens premier des mots pardon et réconciliation pour rappeler que les conflits sont au cœur de l’expérience quotidienne des êtres humains. Aucune société organisée ne peut se résoudre à vivre dans un contexte d’affrontement perpétuel. Lorsque la guerre arrive parce que les différends ont été exacerbés, le pardon et la réconciliation sont les seules conditions d’un retour à une vie paisible.
Chers Invités,
Chers collègues,
Nous sommes en avril 2017. Six années sont passées depuis la fin de la violence postélectorale. Mais il y a encore certains qui réclament le rétablissement de l’ordre ancien ; il y a dans notre Cité, un Pardon qui n’arrive pas à se donner, ou qui se donne de manière incomplète. Il y a des résistances au Pardon et à la réconciliation.
Vous me demanderez à quelles conditions devons-nous aller au pardon et à la réconciliation ?
Le Pardon dans une société politique organisée ne peut avoir la valeur d’un don. Dans les affaires humaines, la repentance est ce qui conditionne l’acceptation du pardon. Pourquoi avoir honte de demander pardon quand on n’a pas eu honte de s’affronter ? Le courage, retenez le, dans le conflit ne vaut rien sans le courage dans la paix.
Je veux ici m’adresser à ceux de nos compatriotes qui se sont enfermés dans un autisme moral total, je les appelle au pardon.
Il est temps qu’ils ouvrent leurs cœurs, comme nous ouvrons les nôtres ; qu’ils demandent pardon comme nous demandons pardon nous-mêmes ; qu’ils participent pleinement au jeu politique et que chacun respecte des règles justes, des mécanismes transparents dans la conquête, l’exercice et la transmission du pouvoir.
Osons la Repentance. Osons le Pardon. Osons la Réconciliation. Osons l’Amour. Notre commune humanité nous le commande. Notre pays attend cela de nous. Nos amis et nos voisins nous y encouragent. Notre fraternité est bien plus forte que nos divergences politiques, idéologiques, sociales, ethniques, religieuses.
Distingués Invités,
Honorables Députés,
Pour sortir de l’emprise de la haine et de la douleur morale et aller à la réconciliation, il nous faut agir à trois niveaux :
• sur le plan structurel, la réconciliation suppose la sécurité pour tous, l’éducation assurée à chaque génération, le bien-être et la prospérité partagés par tous les citoyens du pays. Qui ne sait pas que l’aigreur et la rancœur prospèrent davantage là où l’ignorance, la pauvreté, le chômage et la discrimination règnent ?
Vouloir la réconciliation structurelle, c’est incontestablement accentuer notre effort d’intégration sociale et économique, sans discrimination régionale, tribale, culturelle ou politique ;
• sur le plan psycho-sociologique, la réconciliation passe par la transformation de la représentation de l’Autre. Il s’agit ici d’une nouvelle éducation à l’écoute et à la compréhension de ceux qui sont différents de nous dans leur manière de penser et de faire, mais qui sont pourtant comme nous, des personnes humaines.
Notre traditionnelle parenté africaine à plaisanteries et nos alliances traditionnelles, mais aussi l’humour de nos acteurs et le travail critique de nos intellectuels doivent ici être mis en valeur ;
• enfin, sur le plan spirituel, la réconciliation naît de la communion des cœurs autour de valeurs humaines universelles, comme le sont notamment la justice et la vérité. La réconciliation éprouve notre capacité à maintenir l’ordre, à promouvoir une société juste et stable sans nous affranchir des principes éthiques et des règles de droit.
Il est par conséquent nécessaire qu’au plan interne, soient conduits de manière sereine mais diligente, l’ensemble des processus judiciaires en cours afin de donner au Chef de l’Etat lui-même, les moyens juridiques lui permettant de clore politiquement, le chapitre le moins glorieux de notre histoire par des gestes concrets qui consacrent le pardon et au-delà, la réconciliation des cœurs et des esprits.
Mesdames et Messieurs, pour mesurer l’importance de la réconciliation dans tous les aspects de nos vies, gardons présent à l’esprit ces mots forts d’un écrivain: « Une seule minute de réconciliation mérite mieux que toute une vie d’amitié »
La session unique ouverte ce jour durera d’avril à décembre. Soit 9 mois au cours desquels l’Assemblée nationale cohabitera prochainement avec le Sénat dans un système de parlement bicaméral voulu par la Constitution de la troisième République.
Chris Monsékéla
NB : les titre , surtitre et chapeau sont de la rédaction