En Côte d’Ivoire, l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et à l’Assemblée nationale, selon la Constitution d’août 2000.
La Constitution parle bien de révision et non de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Le texte fondamental dispose également que pour certaines matières, notamment les conditions relatives au président de la République, toute révision et ou modification n’est valable qu’après référendum.
La Constitution ivoirienne actuellement en vigueur n’ayant pas prévu de cas d’élaboration d’une nouvelle constitution, c’est-à-dire les conditions de sa propre dissolution ou de sa fin d’existence juridique de façon volontaire et non contraignante ( la contrainte étant marquée par exemple par un coup d’État, une révolution populaire, une insurrection ou autres crises ou situation de crise conduisant généralement à la suspension ou dissolution de la Constitution ) , l’exécutif ivoirien était bien dans un embarras , avec son ambition d’une nouvelle constitution.
N’est-il pas abusif de parler d’une nouvelle République, d’autant plus la troisième République envisagée, ne changera fondamentalement pas au niveau de l’essence même du pouvoir : la clé du voûte du système institutionnel et constitutionnel ivoirien restera bien dans l’idée que le pouvoir exécutif aux mains exclusives du Président de République. Le pouvoir exécutif sera toujours incarné par le Président de la République, et non par un Premier ministre, comme en Grande Bretagne.
L’adoption d’une nouvelle Constitution suffit-elle pour préfigurer l’entrée dans une nouvelle République, en l’absence de crise constitutionnelle, politique, ou en l’absence de changement de la nature de régime (parlementaire, semi parlementaire, semi présidentiel) ?
Si la deuxième République est intervenue en Côte d’Ivoire à partir de 2000, c’est bien parce que la première a été dissoute et que la Constitution a été abolie, suite au coup d’État de Décembre 1999.
Nous ne sommes pas dans une situation identique en ce moment.
Au contraire nous sommes dans un contexte marqué par le fonctionnement normal des institutions avec la mise en place d’un comité d’experts, avec les consultations initiées par Alassane Ouattara avec les partis politiques, les religieux et la société civile, et avec l’examen annoncé du projet aussi bien par le gouvernement et que les députés, à l’Assemblée nationale. Des députés en fin de mandat qui doivent décider pour les 5 à 5ans à venir, face à un président qui vient d’être réélu. Un agenda qui fait poser cette question : et si le référendum constitutionnel était reporté à 2017, après la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale ?
En France, la 5 ème République de 1958 qui est toujours en vigueur et qui avait marqué le retour du Général De Gaulle au pouvoir, avait instauré le suffrage universel direct pour l’élection du Président de la République. Celui-ci est alors devenu le détenteur exclusif du pouvoir exécutif, au détriment du Premier ministre, qui avait l’imperium dans le cadre du régime des partis et des coalitions dénoncé par De Gaulle.
Attention à la question des dispositions transitoires
Sur la question des dispositions transitoires annoncées par le porte-parole du gouvernement ivoirien, et devant permettre au Président de la République de gouverner jusqu’à la mise en place de la Constitution en 2020, il y’a problème : car dès l’instant où le peuple adopte la Constitution, celle-ci s’impose et s’applique immédiatement.
L’un des objectifs du Président ivoirien est justement d’extirper de la Constitution actuelle du pays, la disposition relative à l’immunité accordée aux auteurs du coup d’État.
Une Constitution impersonnelle ne doit pas intégrer des dispositions transitoires, mais plutôt transformer en dispositions durables et réelles, les prérogatives devant être conférées par des dispositions transitoires, en considérant les dispositions transitoires, comme des dispositions pouvoir survenir à l’avenir.
De la question de la nomination du vice-président
Tout le monde sait que ce qui préoccupe au niveau de ces dispositions transitoires, c’est la procédure de désignation immédiate du vice-président en dehors d’une élection, en cas d’adoption de la disposition.
Au lieu par exemple d’indiquer qu’à titre transitoire, et jusqu’à l’organisation d’une élection en 2020 permettant d’élire un président et un vice-président au même temps , le président de la République peut nommer un vice-président après une validation de la personne proposée par l’Assemblée nationale ( ce qui peut conférer au vice-président de la République non élu, la même légitimité que le Président de l’Assemblée nationale, étant entendu que ce citoyen à désigner vice-président, peut déjà être lui aussi un député, un maire, un président de Conseil régional, ou autre personnalité éminente) , ne convient-il pas tout simplement d’évoquer les différents cas de vacance du poste de vice-président, et de proposer une solution pour pourvoir au poste ?
Ainsi, ayant constaté par exemple la vacance du poste de vice-président après l’adoption du nouveau texte, on y remédiera sans que cela soit perçue comme une faveur accordée au président Ouattara, encore moins comme ça une disposition transitoire.
On pourrait alors choisir la formule suivante : « En cas de décès du vice-président , de vacance du poste du vice président , de démission du vice-président, ou d’indisponibilité à ce poste pour tout autre raison , il est procédé à la désignation, au remplacement du vice-président , selon la procédure suivante … ».
Étant entendu que l’on peut bien avoir pour une raison ou une autre, une situation d’absence et de vacance du poste de vice-président, sans que cela conduise à des élections anticipées ?
Par exemple si après 2020 le poste de chef de l’État est vacant et que la vacance est comblée par le vice-président, comment le vice-président devenu Président de la République sera-t-il secondé ?
Quelle sera également la meilleure procédure pour régler – sans recourir à une élection anticipée- un autre cas de vacance lié au décès ou à la démission du vice-président, alors que le Président élu en même temps que lui, est toujours en exercice et à besoin d’un vice-président ?
Réfléchir à ces options fournira une solution qui évitera de donner l’impression qu’une faveur transitoire est accordée à Alassane Ouattara.
Économiste et non juriste de formation, le chef de l’État ivoirien est un homme ouvert qui a dit aux responsables de partis politiques, avoir consulté plusieurs hommes de droit et de lois qui ont lui ont soumis des avis.
C’est sur cette base qu’il a mis en place le comité d’experts , même si selon des avis d’observateurs un tel comité aurait pu être mis en place après les consultations en cours, d’autant plus que plusieurs interlocuteurs ont demandé son renforcement , sans oublier que les échanges un peu trop protocolaires – pour ne dire langue de bois – entre les couches sociales, et le chef de l’État , ont besoin d’un cadre où ils peuvent être plus houleux.
Ce cadre pouvait bien être là Commission des experts, qui ne doit rester dans une tour, ni dans la théorie, se contentant de faire des synthèses de propositions, sans débats contradictoires.
Il est évident qu’Alassane Ouattara n’est pas fermé à la discussion, et que la souplesse exigée par l’objectif d’un projet consensuel pourrait lui permettra d’avoir la flexibilité qui s’impose, en vue d’opérer des ajustements utiles.
Car si après les échanges et les consultations initiées par lui-même, quelques réserves exprimées et quelques avis divergents émis, ne sont pas pris en compte, le camp du Non et des indifférents ou de l’abstention pourrait bien être celui de la majorité, surtout que contrairement au Général De Gaulle, le président ivoirien ne met en jeu son fauteuil en jeu, et peut tranquillement rester au pouvoir, même en cas de défaite.
De quoi ne pas effrayer ses partisans traditionnels et historiques, et le Rhdp enclins à se mobiliser plus pour les élections législatives à venir, quelques semaines après le référendum constitutionnel.
En Côte d’Ivoire, nous sommes avec le référendum constitutionnel annoncé bien à la veille d’un processus non pas périlleux comme le craignent certains, mais fort incertain. La nuance paraît mince, mais est de taille : la Côte d’Ivoire ne risque rien, n’a rien à craindre du processus (pas de péril en la demeure), mais le Président ivoirien et ses alliés jouent gros, ils ont autant à perdre qu’à gagner (le processus est très incertain car nul ne sait comment réagira le peuple aux divisions de la classe politique et aux sons de cloche discordants au sein de la société civile).
Charles Kouassi