Que reste-t-il de l’ex rébellion en Côte d’Ivoire, Mpci, Mpigo, Mjp, Forces nouvelles, 20 ans après le 19 septembre 2002 ?
19 septembre 2002 – 19 septembre 2022, voilà 20 ans jour pour jour qu’avait éclaté la rébellion armée en Côte d’Ivoire et qui avait scindé le pays en deux parties. Le Nord occupé par les rebelles les Forces armées des forces nouvelles (FAFN) dont le commandement militaire était assuré par le Général Soumaïla Bakayoko (Colonel à l’époque), et dont Guillaume Soro était le chef de la branche civile en tant que Secrétaire général. Le Sud du pays était resté sous le contrôle des troupes régulières restées fidèles à Laurent Gbagbo, Président de la République de l’époque. 20 ans après, les acteurs ont connu des fortunes diverses.
De MPCI, MPIGO, MJP à FAFN
Tout avait commencé au lever du jour du 19 septembre 2002 par une tentative de coup d’État qui a été repoussée. L’opération, qualifiée de mutinerie aux premières heures, occasionne d’abord d’intenses combats à Abidjan (dans le quartier présidentiel à Cocody), autour de camps militaires d’Abidjan, et dans certaines grandes villes de l’intérieur du pays.
Après leur échec à Abidjan, le commando s’est replié sur Bouaké. Avec leurs camarades restés sur place, ces combattants s’emparent les jours suivants, des villes de la moitié Nord du pays. L’on découvrira sur les premières images de télévision étrangères des soldats à bord de véhicules frappés du sigle MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire).
Leurs revendications : “le départ du pouvoir du Président Laurent Gbagbo, la reprise de l’élection présidentielle organisée en octobre 2000 (remportée par Laurent Gbagbo). Une élection libre transparente et ouverte à tous, et la fin de la xénophobie”.
Quelques semaines plus tard, deux autres mouvements rebelles surgissent dans l’Ouest du pays. Ils s’emparent de certaines localités frontalier du Liberia dont Danané, Man et plus tard Bangolo. Il s’agit du Mouvement populaire ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) et du Mouvement pour la justice et la paix (MJP). Ces 3 mouvements rebelles contrôleront finalement une zone baptisée « zone CNO » (Centre, Nord et Ouest). Soit une superficie de 193 000 km2 sur les 322 462 km2 du territoire. Soit 60 % du territoire de la Côte d’Ivoire.
Dans le cadre des pourparlers de paix, les trois mouvements fusionnent en un seul en 2007, avec un commandement unique. Le mouvement est baptisé Forces armées des forces nouvelles (FAFN). Le Colonel Soumaïla Bakayoko en devient le commandant militaire, secondé par le Colonel Issiaka Ouattara alias Wattao. Guillaume Kigbafori Soro, Secrétaire général du MPCI, devient le SG des FAFN.
«De la rébellion en elle-même, il ne reste plus rien en termes d’éléments matériels »
20 ans après cette aventure, il ne reste pratiquement plus rien de cette rébellion, en termes d’éléments matériels. Un des acteurs devenu journaliste, qui a requis l’anonymat, l’a confié à l’Intelligent d’Abidjan.
« De la rébellion en elle-même, il ne reste plus rien en termes d’éléments matériels. Il ne reste plus rien qui puisse perpétuer le souvenir. Il suffit de se rendre à Bouaké, son fief, pour s’en rendre compte. Plus rien là-bas ne rappelle vraiment la rébellion. Tout est fait pour effacer les traces », a confié cet ancien de la J-MPCI qui a souligné que, « même Guillaume Soro qui était le chef de la rébellion, est en exil ».
Il reconnaît toutefois que l’esprit de la rébellion vit encore. «L’esprit de la rébellion, lui, demeure. Cet esprit du combat, le fort souvenir des moments difficiles sont partagés. Les acteurs de la rébellion partagent le sens du combat qui les a amenés , eux des jeunes, à mener une telle lutte. C’est esprit là est encore là », a assuré cet acteur.
Sekongo Félicien : « La rébellion, une symphonie inachevée »
Sékongo Félicien, président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (Mvci), était l’un des acteurs de la rébellion. Successivement Assistant du Directeur de cabinet de Guillaume Soro, chef de cabinet adjoint, Conseiller spécial chargé des associations, des syndicats et des communautés ethniques et religieuses, il a fini porte-parole des Forces nouvelles.
Pour lui, la rébellion est une symphonie inachevée. Cela, au vu selon lui , du chemin emprunté par certains de ses amis de l’époque. Notamment, eux qui prêchent aujourd’hui contre le RHDP. « Pour cette rébellion, je dirai symphonie inachevée. Les vertus, les valeurs défendues sont foulées aux pieds par les acteurs d’hier. (…) Je suis malheureux aujourd’hui de ce que nous avions partagé hier des valeurs, on peut critiquer les manières dont nous les avions défendues, mais que ces valeurs soient aujourd’hui piétinées par certains d’entre nous. Ces valeurs sont l’humanisme, la démocratie pluraliste, le respect de la dignité humaine , la rectitude, et autres. Certains d’entre nous foulent aux pieds ces valeurs. C’est pourquoi je parle de symphonie inachevée», a-t-il déploré, avant de poursuivre pour dire : « J’avais à faire un choix simple entre les socio-démocrates et les réactionnaires. J’ai choisi de suivre le socio-démocrate. Le RHDP est social-démocrate. Les amis d’hier sont les réactionnaires. Je choisis les socio-démocrates sans réserve, faux-fuyants ou calcul aucun. Et du point de vue idéologique, je mets quiconque au défi de me confondre quant à la fausseté de ma position, surtout que je suis homme de gauche », a-t-il fait savoir.
Guillaume Soro en exil, Chérif Ousmane nommé Général de Brigade, Ben Laden Préfet de San Pedro (…), ce que sont devenus les acteurs
Parmi les acteurs de la rébellion ivoirienne, tous n’ont pas connu le même sort, 20 ans après leur aventure. Dans son fonctionnement, le mouvement rebelle a révélé plusieurs de ses acteurs civils et militaires. Dans sa conquête de territoire, la coalition rebelle FAFN a permis de connaître des chefs de guerre appelés commandants de zones (Com Zones). Il s’agit de soldats pour la plupart, à l’éclatement de la rébellion, qui sont devenus au fil des négociations de paix pendant la rébellion, puis par les grades reçus à la fin de la crise depuis 2011, des officiers supérieurs de l’armée.
C’est le cas de Chérif Ousmane, sous-officier de l’armée au début de la rébellion, passé Commandant de zone de Bouaké. À la fin de la crise en 2011, et suite à la réunification de l’armée, il est reconnu Commandant de l’armée régulière. Aujourd’hui , il est Général de brigade et commandant d’unité.
Le Général Soumaïla Bakayoko est depuis février 2018 le Président du conseil d’administration de la société ivoirienne de raffinage . Aux premières heures de la rébellion, l’Adjudant Koné Messamba était l’un des soldats sur le terrain. Aujourd’hui, il est préfet de Région de la Nawa, préfet de département de Soubré. Coulibaly Ousmane alias Ben Laden, aujourd’hui Préfet de San-Pedro, en faisait partie. Tuo Fozié, actuel Préfet de la Région du Gbêkê, préfet de département de Bouaké, était également l’un des premiers visages militaires de la rébellion connu. D’autres comme Gueu Michel ont connu des fortunes diverses.
Acteurs civils
Au niveau des responsables politiques du mouvement, ils ont pris des destinations différentes. Si certains sont restés au sein du RDR puis au RHDP d’où ils sont entrés au gouvernement et ou au parlement, d’autres n’ont pas eu la même chance.
« Avant l’accession au pouvoir du Président Alassane Ouattara, la rébellion a été traversée par une crise. Le Rassemblement des républicains (ex-RDR), à travers Amadou Gon Coulibaly, avait tenté de récupérer la rébellion. Des acteurs comme Alphonse Soro, Sékongo Félicien, Alain Lobognon, Moussa Dosso et un certain nombre d’autres acteurs, étaient des pro Amadou Gon Coulibaly, à l’intérieur des Forces nouvelles. (…) La bataille pour le contrôle du RDR, a eu des répercussions au sein des Forces nouvelles. Nous autres qui étions au niveau de la JMPCI, quand Alphonse Soro et Soro Kanigui nous ont trouvés à Korhogo, ils nous ont dit clairement qu’ils étaient venus se battre pour Amadou Gon Coulibaly. C’est dans ce cafouillage qu’est survenu un événement comme l’attentat du Foker-100 à Bouaké. Les gens avaient réussi à créer des clans entre les jeunes des Forces nouvelles », a expliqué cet ex-acteur des FAFN.
Au niveau des acteurs civils Mamadou Koné qui a été secrétaire général adjoint des Forces nouvelles est président du Conseil constitutionnel 20 ans après . De son côté le ministre Amadou Koné qui fut directeur de cabinet de Guillaume Soro lorsqu’il était secrétaire général du Mpci est ministre des Transports 20 ans après. Plusieurs autres membres civils de la rébellion sont aujourd’hui député notamment Konaté Sidiki, Soro Kanigui, Charles Gnaoré
J-H Koffo