Alassane Ouattara, le président ivoirien, en campagne à Abidjan, le 22 octobre 2015. Alassane Ouattara, 73 ans, est le grand favori de l’élection présidentielle qui se tiendra dimanche 25 octobre en Côte d’Ivoire. Après cinq années d’un pouvoir acquis dans les urnes contre l’ancien président, Laurent Gbagbo, mais qu’il n’aura pu exercer qu’après une offensive militaire, appuyée par l’armée française et les casques bleus des Nations unies, le chef de l’Etat sortant défend son bilan et entend maintenir le cap de la politique engagée depuis la mi-2011. Six autres candidats sont en lice.
« Un coup K.-O. » – autrement dit une victoire dès le premier tour – est l’un de vos slogans de campagne. Si vous êtes mis en ballottage, est-ce que ce serait un échec ?
Avec le bilan que nous avons qui est fondamentalement inattaquable, je fais confiance à mes concitoyens que ce sera « un coup K.-O. ». Il y a une satisfaction de fond qui je pense se traduira par une victoire le 25 octobre au soir.
Le pouvoir contrôle la Commission électorale indépendante (CEI), le Conseil constitutionnel et le ministère de l’intérieur. Cela ne remet-il pas en cause la transparence du processus électoral ?
En 2010, les opposants disaient que la CEI était le problème. Pourtant les élections se sont bien passées. Il n’y a eu que deux « zozos » qui ont déchiré des documents. Ce qui a posé problème, c’est que [l’ancien président Laurent] Gbagbo a refusé de reconnaître les résultats.
Aujourd’hui, ceux qui se plaignent de la nouvelle commission – Mamadou Koulibaly, Charles Konan Banny, Konan Kouadio Bertin et Amara Essy – ne représentent rien dans leur parti. Ils disent qu’il faut tout reprendre car, par accident, ils ont été président de l’Assemblée nationale, premier ministre ou ministre des affaires étrangères…
Quel est l’adversaire que vous redoutez le plus pour cette élection ?
Je pense que l’adversaire qui a une base politique, c’est Pascal Affi N’Guessan du Front populaire ivoirien [FPI – fondé par Laurent Gbagbo].
A partir de quel niveau d’abstention considéreriez-vous que votre campagne a été un échec ?
Je ne suis pas d’accord quand on dit qu’il y a peu d’intérêt pour cette campagne. En 2010, nous avons eu une élection de sortie de crise avec les candidats des trois grands partis (le RDR, le PDCI et le FPI). Cette fois-ci, le PDCI [Parti démocratique de la Côte d’Ivoire – fondé par Félix Houphouët-Boigny] et d’autres partis me soutiennent et il n’y a en face que le FPI qui a un candidat de poids. Je doute fort que nous puissions atteindrele taux de 2010 qui était de plus de 80 % mais je suis confiant que la participation sera élevée. Quand on dit qu’il y a peu d’intérêt, peut-être qu’il y a peu d’intérêt pour les autres candidats. Moi, où je suis allé, il y avait des milliers de personnes qui se mobilisaient.
Quels sont les succès de votre quinquennat ?
Sur le plan économique, le taux de croissance moyen est de 9 % depuis 2012. Sur le plan social, nous avons construit 15 000 salles de classe et nous allons continuer, pour êtreconforme à notre obligation de scolariser tous les enfants de 6 à 16 ans, nous avons réhabilité des universités, construit des centaines de centres de santé, des ponts, des routes… J’ai créé plus de deux millions d’emplois. Nous avons augmenté les salaires des fonctionnaires de près de 20 % alors qu’ils ne l’avaient pas été pendant près d’un quart de siècle. Je viens de monter le prix du cacao à 1 000 francs CFA le kilo [0,15 euro]alors que Laurent Gbagbo l’avait promis mais ne l’avait jamais fait. Le smic est passé de 36 000 à 60 000 francs CFA [54,90 à 91,50 euros]. Sur les 300 000 personnes qui étaient parties se réfugier à l’extérieur, il n’en reste plus que 50 000. J’ai tendu la main et je continue de la tendre à tous ceux qui sont dans l’opposition.
On ne peut pas tout résoudre en quatre ans, surtout quand on retrouve une économie en totale déconfiture. Il fallait rebâtir cette économie, créer une politique macroéconomique crédible, redonner confiance aux Ivoiriens et aux investisseurs. C’est ce que nous avons fait. Si vous prenez le budget 2016, que nous venons d’envoyer à l’Assemblée nationale, sur 6 000 milliards de francs CFA, l’investissement représente le tiers. Je vois très peu de pays où l’investissement public est à ce niveau. Nous sommes sur la bonne voie et nous continuerons. Si l’économie mondiale ne se détériore pas très fortement lors des prochaines années, très rapidement nous aurons un taux de croissance à deux chiffres.
Nous avons amélioré la situation, mais je veux aller encore plus vite pour faireen sorte que la confiance soit maintenue, que les investissements extérieurs continuent, pour que les Ivoiriens qui commencent à sortir leur épargne augmentent le taux d’investissement.
Et quels sont vos échecs ?
Je ne vois pas cela en termes d’« échec », mais il y a des domaines où j’aurais souhaité faire mieux. En matière sociale, nous avons pu électrifier la plupart des centres urbains et l’objectif est toujours d’électrifier tous les villages de plus de 500 habitants. Cela, je le ferai d’ici fin 2017 mais j’aurais souhaité que cela soit fait avant la fin 2015. Nous sommes maintenant à un taux d’électrification de 75 %. En dehors du Cap-Vert, nous sommes le pays africain qui a le moins de coupures d’électricité. Notre objectif était d’avoir de l’eau potable dans les cent chefs-lieux de département, nous l’avons fait pour 80. Mais, voyez-vous, nous avons donné à Abidjan de 2011 à 2015 autant d’eau potable que durant les cinquante premières années d’indépendance.
Il y a un certain nombre d’objectifs que j’aurais souhaité réaliser pour la fin 2015, mais il y a eu la crise postélectorale qui m’a fait perdre six mois de mon mandat et la situation était plus détériorée que nous le pensions. Je suis persuadé qu’en deux ans nous pourrons rattraper tous ces retards.
Nous allons continuer ce que nous avons commencé. Nous allons accélérer, s’attaquer aux problèmes de gouvernance. L’équipe gouvernementale va connaître un rajeunissement, et le nombre de femmes va augmenter, mais globalement ce sera la même équipe après les élections.
Il nous faut une nouvelle Constitution. Pour la réconciliation, nous allons encourager la justice à aller plus vite pour que l’on arrête ces accusations de justice des vainqueurs.
Après la crise postélectorale, il vous a été reproché de n’appliquer qu’une justice des vainqueurs en ne visant que les partisans de Laurent Gbagbo. N’avez-vous pas trop tardé à mettre en examen ces derniers mois quelques-uns de vos chefs militaires ?
Non, le procès de mon prédécesseur (devant la Cour pénale internationale) n’a même pas commencé alors qu’il est à La Haye depuis novembre 2011. Pourquoi alors m’accuser de « justice des vainqueurs » ? Nous voulons un système judiciaire crédible, que la justice travaille en toute liberté et indépendance. Je ne céderai pas aux pressions de certaines ONG dont les déclarations sont fallacieuses et irresponsables. Si des partisans de Laurent Gbagbo ont d’abord été jugés, c’est parce qu’il y avait des cas de flagrants délits, tels que l’assassinat du général Gueï, du Français Yves Lamblin, il y a eu des femmes tuées par des chars, des tirs de mortier. Le flagrant délit était facile à constater et à juger. Pour être équitable, j’ai demandé une commission nationale d’enquêtedont le travail est public. Maintenant il appartient aux juges de procéder aux différentes étapes. Je condamne l’impunité.
Amnesty International a accusé votre gouvernement de procéder à des détentions arbitraires de militants de l’opposition. N’êtes-vous pas en train de museler l’opposition à l’approche de la présidentielle ?
J’ai demandé à mon ministre de la justice de leur répondre vertement. Quand en France, comme partout, on dit qu’il est interdit de manifester, que la manifestation doit suivre un certain itinéraire, et que les gens vont manifester n’importe comment, comme s’ils étaient dans la brousse, cassent des voitures, brûlent des marchandises, ils sont dans l’illégalité. Pourquoi voulez-vous que je n’arrête pas des gens qui cassent et brûlent en Côte d’ivoire ? Je veux un Etat de droit, et malgré les récriminations d’Amnesty, nous continuerons d’appliquer l’Etat de droit. Je ne veux pas le désordre dans mon pays pour faire plaisir à des ONG partisanes.
L’échec de la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR), qui était présidée par Charles Konan Banny (aujourd’hui candidat de l’opposition), n’est-il pas également le vôtre ?
J’ai créé cette commission pour faire la lumière. Son travail n’était pas achevé. Peut-être parce que son président avait un autre projet, qu’il a d’ailleurs dévoilé. Alors j’ai mis en place une nouvelle commission, qui a commencé à indemniser les proches des victimes. La question de la réconciliation n’est pas facile, car elle vient du cœur, et il faut être deux pour se réconcilier. Moi, je tends la main et je demande aux autres d’arrêter d’avoir des illusions. Ce que nous voulons, c’est que la justice fasse son travail. Et une fois que cela sera fait, nos lois permettent d’envisager des amnisties, des grâces.
Plus que sur la réconciliation entre les populations, il y a un échec de la réconciliation entre les politiques. N’est-ce pas dû au manque de volonté de part et d’autre ?
Honnêtement entre les populations, il n’y a plus de problèmes comme après la crise. Les gens vivent dans les mêmes quartiers. Il y a deux problèmes avec la réconciliation politique. La transition sous Laurent Gbagbo a été une catastrophe, car n’importe qui a pu devenir ministre. Quand ma victoire a été confirmée en 2010, je voulais faire un gouvernement d’union et j’ai contacté Mamadou Koulibaly, qui était alors le patron du FPI. Il m’avait donné son accord. J’avais prévu un poste de ministre d’Etat pour lui, et la veille il m’a dit que les gens du FPI ne sont pas d’accord. J’ai finalement formé mon équipe avec ceux qui m’ont amené à la victoire.
Aujourd’hui, je peux dire que je ne crois plus du tout en ces gouvernements d’union. Je suis un libéral et qu’est-ce que j’aurais à faire avec des gens du FPI qui sont socialo-marxistes ? Si c’est le prix à payer pour qu’il n’y ait pas de réconciliation politique, je suis prêt à le payer. La réconciliation politique se réglera toute seule, car notre coalition représente plus de 85 % des Ivoiriens et le FPI sera bientôt vidé de sa substance. Affi N’Guessan,qui mène une campagne responsable, permettra d’avoir une opposition modérée, qui ne soit pas engagée dans la violence.
Après votre arrivée au pouvoir, vous aviez évoqué une nécessité de « rattrapage ethnique » en faveur des populations du nord du pays. Est-ce que cela n’a pas créé des tensions au sein de la société ivoirienne ?
Je n’aime pas parler de rattrapage ethnique. Quand je suis arrivé, pour tous les postes sensibles, nous avons lancé des appels à candidature. Pour la Radio-Télévision ivoirienne, il y a eu au moins dix candidats et voilà qu’un M. Bakayoko, que je ne connais pas, a obtenu 85 points alors que le second avait 40 points. Je vais le rejeter parce qu’il est du Nord ? Maintenant, c’est vrai, beaucoup de jeunes du Nord, du fait de l’ostracisme que nous avons vécu, ont préféré partir à l’extérieur et ont acquis une expérience. Quand ils ont vu cette ouverture, ils sont venus pour les appels d’offres et ont été retenus. Il n’y avait aucune volonté de ma part de nommer des gens du Nord. Sur les trois premiers ministres que j’ai nommés, deux ne sont pas du Nord. Nous avons des statistiques qui montrent que ce que les gens disent est faux. Et d’ailleurs, depuis un an, on lit toutes les nominations pour que les gens entendent les noms et voient s’ils sont du Nord, du Centre, du Sud. Depuis que nous faisons cela, il n’y a plus de critiques. J’ai trop souffert de l’ostracisme pour faire ça. Je cherche les plus compétents, les meilleurs.
Concernant la corruption, vous avez encouragé les patrons à dénoncerles ministres qui manqueraient d’honnêteté. Avez-vous des doutes sur la probité de votre équipe ?
Non, je parle de l’administration en général. J’ai mis à la porte un certain nombre de responsables qui avaient commis des délits. Tout le monde dit qu’il y a de la corruption en Côte d’Ivoire, je demande aux patrons de porter à mon attention les cas de corruption pour que nous puissions faire des enquêtes. Ce pays a connu une gangrène entre 2003 et 2010 avec un gouvernement de transition où tout le monde est irresponsable et se sert. Maintenant, les tribunaux fonctionnent et par conséquent nous serons très sévères. Je veux être un champion de la lutte contre la corruption dans mon pays.
Pourquoi ne pas avoir entamé durant votre mandat une réforme de l’article 35 de la Constitution (qui prévoit que le président de la République doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine et ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité) qui a empoisonné votre carrière politique depuis 2000 ?
C’était une possibilité, mais nous aurons une nouvelle Constitution. J’espère dès l’année prochaine. Nous ferons un référendum afin d’enlever tous les germes potentiellement conflictuels de la Constitution actuelle. Nul ne doit être exclu en raison de sa religion, de son origine, de son ethnie ou de la couleur de sa peau.
Des opposants mais aussi des économistes considèrent que vos investissements sont financés par de la dette et que celle-ci a explosé ?
C’est n’importe quoi ! Il suffit de lire les rapports du FMI. Avant d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés), nous étions à près de 70 % d’endettement sur le PIB, nous sommes aujourd’hui à 42-43 %. Mon objectif est que sur mon mandat, le taux d’endettement ne dépasse pas 50 % du PIB. Nous devons aussi nous endetter pour financer la mauvaise dette, car nos prédécesseurs ont fait de la cavalerie financière. En matière d’endettement, je pense qu’on peut me faire confiance. J’ai géré au FMI la dette de la Chine, de la Corée… et je tiens à ce que mon pays ne se retrouve pas dans la situation de certains pays d’Amérique latine dont je me suis occupé.
Pensez-vous à la présidentielle de 2020 et à votre succession ?
Je ne pense qu’à cela car mon ambition est d’amener la Côte d’Ivoire à l’émergence et de m’assurer qu’après moi les efforts fournis, le niveau où nous avons amené la Côte d’Ivoire ne s’effondre pas. La question de la succession est capitale et c’est l’une des raisons pour lesquelles je vais m’atteler à proposer à mes concitoyens une nouvelle constitution qui donnera les garanties nécessaires pour que tout se passe de la manière la plus transparente et démocratique.
Pouvez-vous certifier que dans la nouvelle Constitution que vous souhaitez, si vous êtes élu, il n’y aura pas d’article qui lèvera la limitation à deux mandats à la tête de l’Etat ?
Soyez tranquille. Si j’avais pu régler ce que j’avais à faire en un mandat, je n’aurais pas fait un second. Qu’est-ce que cela m’apporte ? Rien que de la fatigue. Je suis heureux parce que j’apporte une contribution à mon pays. La clause sur le quinquennat renouvelable une fois ne sera pas modifiée. J’aurais 78 ans en 2020, ça ne me vient même pas à l’esprit et même si on me le demandait, je ne le ferais pas. J’avais un cabinet de conseil qui me rapportait beaucoup d’argent, que j’ai dissous pour ne pas avoir de conflit d’intérêt. Je voudrais reprendre cette activité et je peux vous dire que je n’exclus pas de ne pas finir mon deuxième mandat. Si après trois ou quatre ans, ça va bien, pourquoi ne pas demander à un vice-président de prendre les choses en main ? J’ai vu que partout où il y a des postes de vice-président, cela a bien marché. Au Ghana et au Nigeria, quand le président est décédé, cela a bien marché. En Afrique du Sud, quand Thabo Mbeki a été évincé, c’est le vice-président qui a pris le relais. Je voudrais m’inspirer des meilleures pratiques et m’assurer qu’une fois que nous passons à une autre génération, les choses continueront de bien se passer.
Propos recueillis par Cyril Bensimon (envoyé spécial à Abidjan, Côte d’Ivoire)
Entretien réalisé conjointement avec Radio France internationale et l’Agence France-Presse.