Amedée Assi est journaliste professionnel, et surtout Président élu des Éditeurs de presse. À ce titre il est membre du CNP. Mais il est également depuis plusieurs mois, le patron de la rédaction du quotidien Fraternité Matin, en qualité de Rédacteur en chef.
Pour éviter d’éventuels conflits d’intérêt entre sa qualité de journaliste-employé à Fraternité Matin, son mandat de Président des patrons de presse, il a démissionné de la présidence du Gepci au profit de Patrice Yao qui combat la nouvelle loi sur la presse en Côte d’Ivoire, au nom du Gepci et du comité de veille mis en place par les organisations professionnelles.
Son combat vient d’être courageusement contrarié par Amedée Assi , qui est l’un des rares journalistes à estimer publiquement que la loi contient des avancées, alors que dans les coulisses d’autres affirment leur soutien, tout en refusant d’affronter la colère et l’activisme de ceux qui sont opposés à la loi.
Afrikipresse publie ci-dessous l’analyse du Président élu du Gepci, parue dans Fraternité Matin en version papier du 11 mai 2017 , et largement diffusée sur les réseaux sociaux à partir du site du journal, et de la page Facebook de l’auteur. Le débat continue.
(Re)Lire >> Loi sur la presse: ce que des journalistes refusent ( Cissé Sindou, Gbato Guillaume, Glodé Francellin, Traoré Moussa )
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“ PROJET DE LOI SUR LA PRESSE ET POURTANT QUE D’AVANCEES!
Le moins que l’on puisse dire c’est que les projets de loi portant régime juridique de la presse et régime juridique de la communication audiovisuelle, actuellement sur la table des députés, ne laissent pas les journalistes de marbre ! Dans un communiqué commun, les organisations professionnelles du secteur invitent le Bureau de l’Assemblée nationale «à surseoir momentanément au vote en plénière de ces projets de loi » Et demandent au gouvernement de « rouvrir les discussions avec les acteurs des médias aux fins d’élaborer des projets de loi plus consensuels et plus respectueux des libertés publiques, professionnelles et individuelles garanties par la Constitution de la République de Côte d’Ivoire.»
Mais quels sont, exactement, les griefs des acteurs des médias contre cette initiative gouvernementale ? Les projets de modification des lois jumelles sur les médias, qui sont sur le bureau du Parlement depuis septembre 2016, sont-ils «foncièrement plus liberticides, plus répressifs, et totalement aux antipodes de la modernité ? « Remettent » -ils «outrageusement en cause la dépénalisation des délits de presse », comme ils le dénoncent ? Quel est l’objectif visé par le gouvernement en présentant ces textes aux parlementaires?
Dans un premier temps, nous présenterons les principaux reproches des journalistes ; dans un second temps les intentions du gouvernement et enfin, nous livrerons notre analyse.
Les principaux griefs des journalistes
Pour les organisations professionnelles et de défense des médias, il faut remonter aux travaux des Etats généraux de la presse en Côte d’Ivoire (Egpci) qui se sont tenus les 30 et 31 août à Yamoussoukro en 2012 et à ceux du séminaire consacré aux propositions d’amendements des lois jumelles sur la presse , séminaire qui s’est déroulé le 19 décembre 201 ‘ à Grand-Bassam.
En effet, au sortir de ces assises, six points consensuels, selon les journalistes, ont été dégagés avec le ministère de la Communication pour la modification desdites lois :
– Premier point : l’érection du Conseil national de la presse en Haute autorité de la presse ;
– Deuxième point : la régulation de l’information numérique ;
– Troisième point : la valorisation du statut du journaliste professionnel, désormais proposé à tous les postes clés de l’entreprise de presse et de l’autorité de régulation ;
– Quatrième point : la réduction du capital pour la création des entreprises de presse, cela en conformité avec les dispositions règlementaires nationales et internationales ;
– Cinquième point : l’interdiction de l’arrestation, de la détention et de la condamnation du journaliste pour des délits de presse ;
– Sixième point : la réduction notable des peines pécuniaires pour les délits de presse et les fautes administratives.
Dans leur déclaration commune, les acteurs des médias soutiennent que les présents projets de loi « ne prennent pas en compte ces points de consensus.» Mais, à y voir de près, leurs principales préoccupations portent sur les points 5 et 6 relatifs aux amendes pécuniaires et à la dépénalisation des délits de presse.
En effet, d’une part, ils estiment, concernant le projet de loi portant régime juridique de la presse, que les amendes pécuniaires qui y sont contenues sont « susceptibles de tuer les médias en faisant disparaître les entreprises qui les portent ».
D’autre part, ils contestent les dispositions de l’article 90 qui punit d’un «emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 300.000 à 3.000 000 de francs, quiconque par voie de presse ou par tout autre moyen de publication » incite au vol, au meurtre.., à la xénophobie, à la haine tribale, à la haine religieuse …, fait l’apologie des crimes, incite des militaires et des forces de l’ordre à l’insoumission et ou à la rébellion, porte atteinte à l’intégrité du territoire national, à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat etc.
Tout en s’étonnant donc des « intentions du gouvernement à plus de répression et de restriction de la liberté des médias», les hommes des médias jugent les dispositions des lois jumelles de décembre 2004, « progressistes ».
(Re)Lire >> Lois sur la presse et l’audiovisuel : les journalistes indignés en Côte d’Ivoire
Les arguments du gouvernement
Dans son exposé des motifs, le gouvernement, à travers le ministre de la Communication, de l’Economie numérique et de la Poste, commissaire du gouvernement, a d’entrée de jeu planté le décor : « la liberté de la presse, liberté fondamentale qui repose sur la liberté d’opinion et sur la liberté d’expression, constitue l’un des piliers essentiels de toute société démocratique.»
C’est d’ailleurs pourquoi, relativement à la loi portant régime juridique de la presse, le ministre Bruno Nabagné Koné a souligné que la loi du 14 décembre 2004 «qui à l’époque de son adoption paraissait telle une loi avant-gardiste, se révèle aujourd’hui, inadaptée aux exigences du moment.»
« C’est dans ce contexte et dans la perspective d’adapter le cadre légal à la conjoncture du secteur, ajoute-t- il, que les Etats généraux de la presse (Egp), tenus à Yamoussoukro du 29 au 31 août 2012, ont formulé des recommandations que le présent projet de loi a, pour l’essentiel, prises en compte.»
Pour le commissaire du gouvernement, l’information numérique, « c’est-à dire celle diffusée par le biais de l’Internet ou encore par les réseaux de téléphonie mobile » tout comme l’exigence de la qualité de journaliste professionnel à tout Ivoirien pour occuper la fonction de directeur de publication ont été clairement intégrées dans les amendements.
Mais ce n’est pas tout. Le projet de loi selon le ministre Koné, propose des innovations majeures qui « participent au renforcement du principe de la liberté de la presse » .En effet, en plus de la peine d’emprisonnement qui, en principe ,est exclue pour les faits qualifiés de «délits de presse », on note la suppression des mesures restrictives de liberté en matière pénale que sont la garde à vue et la détention préventive pour les mêmes faits comme en dispose très clairement l’article 89 dudit texte : « La garde à vue , la détention préventive et la peine d’emprisonnement sont exclues pour les infractions commises par voie de presse ou tout autre moyen de publication, sous réserve des dispositions de l’article 90 du présent projet de loi. »
Notre analyse
En parcourant le texte soumis au vote des députés concernant la presse, il apparaît nettement que nombre de préoccupations émises par les acteurs des médias et contenues dans ce qu’on pourrait appeler les recommandations du séminaire de Grand-Bassam, ont bel et bien été prises en compte par le gouvernement. Passons-les, point par point :
– Sur le Conseil national de la presse (Cnp) : Si le projet de loi n’a pas érigé le Cnp en Haute autorité de la presse, ce qui n’aurait pas changé grand-chose dans le fond, il réaffirme que la régulation de la presse lui est dévolue et qu’il est une Autorité administrative indépendante dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière.
(Re)Lire >> Deux lois sur les médias adoptées malgré les réserves des journalistes (Côte d’Ivoire)
– La régulation de l’information numérique : l’information diffusée par le biais de l’Internet ou par les réseaux de téléphonie mobile fait son apparition dans le nouveau texte. Désormais, comme le titre II l’indique, l’entreprise de presse peut être propriétaire d’un journal, d’un écrit périodique ou d’une production d’informations numériques.
– La valorisation du statut de journaliste professionnel qui peut être proposé à tous les postes clés de l’entreprise de presse et de l’autorité de régulation : Comme écrit dans l’exposé des motifs du gouvernement, « il est apparu logique et approprié d’exiger désormais la qualité de journaliste professionnel à tout Ivoirien qui doit occuper la fonction de directeur de publication.» Ainsi, cette recommandation a été déclinée dans les articles 24 et 25 du projet de loi : le directeur de publication doit être un journaliste professionnel de nationalité ivoirienne, avoir une expérience professionnelle d’au moins dix ans, être majeur et jouir de ses droits civils et civiques. Et le directeur de publication est responsable du contenu du journal. Comme on le voit, désormais, un journaliste devient de fait, et obligatoirement, aux côtés du gérant ou directeur général (qui lui peut ne pas être journaliste), un des principaux dirigeants de l’entreprise de presse.
Concernant la composition du Cnp, les journalistes y compteront désormais au moins 5 membres contre au moins 4 actuellement.
– La réduction du capital pour la création des entreprises de presse : l’entreprise de presse sous l’emprise de la loi actuelle est obligatoirement créée avec un capital social d’au moins 5 millions de francs Cfa. Le projet de loi présenté aux élus de la nation rend la création de l’entreprise de presse dorénavant conforme au cadre légal en vigueur (Ohada) en matière de création d’entreprise. On pourra donc créer une entreprise de presse avec un capital social d’au moins 1 million de francs Cfa.
– L’interdiction de l’arrestation, de la détention et de la condamnation du journaliste pour les délits de presse : L’article 89 du projet de loi soustrait tout journaliste non seulement à une peine d’emprisonnement mais aussi à la garde à vue et à la détention préventive pour les délits de presse. Ceci est une avancée notable d’autant plus que les journalistes estimaient qu’avec la garde à vue et la détention préventive, le procureur de la République s’arrogeait, implicitement, le droit de contourner le principe de l’exclusion de l’emprisonnement pour les délits de presse.
Côte d’Ivoire – « la nouvelle loi sur la presse n’est pas liberticide » (Lettre ouverte)
Relativement à l’article 90 du projet de loi présenté par le commissaire du gouvernement, il faut souligner qu’il ne concerne pas les délits de presse proprement dits, mais bien plutôt ceux commis par voie de presse dans l’ hypothèse où le journaliste aura incité à la commission de crimes prévus par les articles 174 et 175 du Code pénal qu’il reprend. Autrement dit, ces dispositions existent dans la loi en vigueur, notamment à travers l’article 69. C’est d’ailleurs en application de cette loi que le procureur de la République , Raymond Tchimou ,sous la présidence de Laurent Gbagbo (qualifié de père de la dépénalisation des délits de presse en Côte d’Ivoire), avait fait arrêter et emprisonner en juillet 2010 le journaliste professionnel Théophile Kouamouo, patron du quotidien Le Nouveau courrier et deux de ses collaborateurs. Incarcérés à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) pendant dix jours, le ministère public les poursuivait pour « vol de document administratif, diffusion d’information sur un dossier judiciaire non encore évoqué à l’audience publique et révélation d’un document couvert par le secret.»
On peut donc, tout au plus, reprocher aux textes soumis aux députés de lever les ambiguïtés, et d’avoir clairement affiché les garde-fous que se donnent les gouvernants contre des actes de journaliste, jugé comme citoyen ordinaire, pour des faits qualifiés de crime par le Code pénal et qui ne seraient pas des délits de presse en tant que tels.
– La réduction notable des peines pécuniaires pour les délits de presse et les fautes administratives : L’amende pécuniaire dans la loi sur la presse de 2004 va de 1 à 20 millions de francs Cfa avec un grand nombre d’infractions sanctionnées d’une amende de 5 à 15 millions de francs Cfa. Ainsi l’article 77 de ladite loi stipule qu’ « en matière d’outrage, d’offense ou d’injure, l’amende est de 10 à 20 millions de francs Cfa.»
Par contre le présent projet de loi fixe le montant des amendes de 500 mille à 15 millions de francs Cfa, avec une majorité d’infractions réprimées par une amende allant de 1 à 5 millions de francs Cfa.
A titre de comparaison, il faut noter que l’injure commise par voie de presse avec le projet de loi « est punie d’une amende de 2 à 10 millions de francs Cfa.» .En un mot, le minimum de la loi actuelle devient le maximum du projet de loi en matière d’injure.
AMEDEE ASSI”
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