Lors de sa récente évaluation de la fiscalité marocaine, le FMI reconnaît l’inefficacité des dépenses fiscales. Comprenez ce système de dérogations sous forme d’exonérations, d’abattements et de taux préférentiels accordés par l’Etat pour soutenir certaines classes sociales, des secteurs d’activités en difficultés ou encourager certains investissements.
Le constat du FMI vient relancer le débat entre ceux défendant le maintien de ces dérogations car ce sont finalement des aides remplissant des objectifs socioéconomiques, et ceux qui accusent ces niches d’être parmi les sources d’iniquité, d’instabilité et d’inefficacité du système fiscal marocain. Alors, comment concilier ces deux vues diamétralement opposées ?
La solution souvent invoquée est la mise à plat du système de niches fiscales, surtout que ces niches accaparent près de 4% du PIB et 15% des recettes fiscales. Faire le ménage dans ces dérogations fiscales n’est pas un luxe, notamment quand elles ne sont pas justifiées ni économiquement ni socialement. Telles qu’elles sont mise en œuvre, ces dérogations sont même des sources d’injustice fiscale et mettent donc en danger le consentement à payer l’impôt, sans que leur efficacité soit avérée. La mise à plat, comme première étape, est donc nécessaire, et passe inéluctablement par une évaluation indépendante et rigoureuse pour garder celles qui sont justes et efficaces, et abolir celles qui ne le sont pas.
Mais si l’on s’arrête à ce travail de mise à plat, au demeurant nécessaire, on ne fera que traiter le symptôme au lieu de la racine du mal. Car il faudrait bien comprendre la raison d’être des niches fiscales : c’est un bébé né de la rencontre entre la demande des groupes fuyant la pression fiscale, et l’offre de certains politiciens opportunistes troquant des dérogations fiscales contre des avantages électoraux. Et tant que l’on n’a pas traité la racine du mal, à savoir la pression fiscale et l’interventionnisme des politiciens, il y aura toujours de nouvelles niches fiscales qui sortiront de nulle part. D’où la nécessité d’une stratégie graduelle à moyen et à long terme activant deux leviers: d’une part, l’encadrement légal de l’octroi de dérogations fiscales, et d’autre part, l’allégement de l’impôt.
Précisons ici que nous ne sommes pas en train de remettre en cause le principe d’incitation fiscale, au demeurant justifié dans certains cas, mais repenser les modalités de sa mise en œuvre pour prévenir les effets pervers qui risqueront d’entacher la légitimité. En effet, quand les dérogations fiscales sont accordées sans objectif précis et mesurable ou sans contrepartie de valeur, elles deviennent tout simplement de la rente économique. Quand elles sont intemporelles sans date d’expiration ; quand le gouvernement a tout le pouvoir discrétionnaire de décider de leur montant ou de leurs récipiendaires, elles deviennent du « business fiscal ». Rappelons que contrairement à la croyance populaire, il n’y a pas d’Etat, il n’y que des hommes d’Etat, et ces dernies ne sont pas toujours mus par la défense de l’intérêt général. Au contraire, comme l’ont déjà souligné les économistes américains James Buchanan et Gordon Tullock, ils sont plus préoccupés par leur intérêt personnel, à savoir se faire réélire. Partant, il est impératif d’institutionnaliser dans un premier temps la décision d’octroyer ces dérogations et de les encadrer par des règles claires et prévisibles qui limitent le pouvoir discrétionnaire des politiques. Dès lors, l’octroi de futures dérogations fiscales doit obéir à un cahier de charges avec un échéancier précisant la durée de validité, des conditions d’éligibilité claires pour cibler les bénéficiaires et/ou les secteurs qui le méritent, et des indicateurs de suivi et d’évaluation permettant d’en juger l’impact. En tous cas, la contractualisation formelle doit être le leitmotiv pour « dépersonnaliser » cet outil et l’empêcher de servir uniquement des intérêts particuliers ou corporatistes, sans effet sur l’ensemble de l’économie, renforçant ainsi l’injustice du système. Si cet encadrement légal des niches fiscales demeure inéluctable, pour qu’elles ne puissent pas être supprimer du jour au lendemain, il ne saura se substituer à la nécessité de toucher au cœur du problème, à savoir la pression fiscale, sans laquelle ces niches perdront leur raison d’être, celle d’un espace d’affranchissement de cette répression fiscale.
L’objectif étant de converger à terme vers la réduction de ces niches au strict minimum, sinon leur disparition, mais il est inéquitable de les supprimer sans penser à alléger le poids de l’impôt et à limiter la progressivité de l’impôt qui tue l’incitation au travail et à l’investissement. Cependant, l’allégement du fardeau fiscal ne se décrète pas d’un trait de plume. Car rappelons-le, il n’y pas d’impôts, il n’y a que des dépenses. Autrement dit, l’allégement des impôts passe par la réduction des dépenses publiques, car disons-le, le train de vie actuel de l’Etat est au-dessus des moyens des contribuables marocains. Ceci est d’autant plus urgent que les revenus tirés de la fiscalité (2015) représentent 25,3% du PIB, alors que les dépenses publiques sont actuellement à 28,8%, le gap n’est comblé que par l’endettement. Autant dire une grande aberration que d’hypothéquer l’avenir du pays en s’endettant, alors que l’Etat peut récupérer plusieurs milliards de dirhams en faisant le ménage dans le « millefeuille fiscal ».
Il est temps de prendre le taureau par les cornes surtout lorsque l’on sait que le problème des niches fiscales n’est pas une fatalité car d’autres pays l’ont fait, notamment ceux de l’ancien bloc soviétique lors de leur transition vers l’économie de marché. Cela exige du courage politique car il est besoin d’une véritable révolution dans la redéfinition des missions de l’Etat et de la fonction publique pour une rationalisation des dépenses, laquelle permettra d’alléger le poids et le nombre d’impôts, mais aussi de simplifier le système. Bref, minimisation des niches fiscales en échange d’allégement de l’impôt, tel devrait être le deal à mettre en place. Faute de quoi, on ne fera que nourrir le « business fiscal » des politiques qui rajouteront systématiquement des couches de complexité au « millefeuille fiscal », pour ensuite monnayer leurs dérogations contre des voix ou du soutien politique de lobbies puissants. Autrement dit, on incitera nos politiques à jouer aux pyromanes-pompiers. Alors, de grâce, ne tentons pas le « diable » !
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique