La présentation du mémorandum de la Banque mondiale, le 15 mai dernier, est venue interpeller les autorités marocaines sur la question de l’émergence du Maroc d’ici 2040. Est-ce possible ? Et comment y arriver ?
Sur les chances d’y arriver trois raisons rendent optimiste. Primo, le Maroc est à un tournant de sa transition démographique où le taux de dépendance (part des moins de 15 ans et des plus de 65 ans dans la population totale) a chuté de moitié entre 1970 et 2010 et restera historiquement bas jusqu’en 2040 avant d’augmenter dans les décennies suivantes. Cela offre un gros potentiel de production et de consommation pour nourrir la croissance future du pays. Secundo, en dépit de la faible qualité de notre enseignement la population est plus instruite, ce qui est indispensable pour améliorer notre productivité. Tertio, une conjoncture favorable dans la mesure où, d’une part, les prix de l’énergie et de matières premières sont bas, et d’autre part, la redéfinition de la stratégie de développement chinoise est susceptible d’offrir des opportunités d’investissement et d’industrialisation pour le Royaume. Mais la conjugaison de ces trois aubaines ne saurait conduire à l’émergence que si l’on ose changer de modèle de développement, c’est-à-dire notre vision sur le mode de création et de répartition de la richesse.
D’abord, nos responsables ont besoin de comprendre que le développement n’est pas une machine où il suffit d’appuyer sur un bouton (financement, infrastructures..) pour générer de la richesse. Le développement est un processus organique, tout un écosystème où tous les éléments ont leur importance et doivent contribuer chacun à sa manière. Et si un des maillons de la chaine ne suit pas le même rythme, il risque de compromettre le fonctionnement de tout le système. D’où la nécessité de rompre avec cette approche mécanique, « par le haut », où une élite décide pour les autres ce qui leur convient et leur indique ce qu’ils doivent consommer, produire et où investir. Cela implique que l’on aille vers une approche « par le bas », plus participative où chacun est libre mais aussi responsable de ses choix et de ses actions. Ainsi, chaque Marocain pourra participer à la création de la richesse et à sa répartition. Il est important alors que l’on cesse de penser la croissance inclusive dans une logique de redistribution. Avant de traire une vache, il faudrait penser à la nourrir. Cela signifie qu’en favorisant l’inclusion économique de tous les Marocains par l’emploi et l’entrepreneuriat, l’on favorisera une répartition plus équitable.
Ensuite, dans cette approche « par le bas », le rôle de l’entrepreneur devient cardinal. Si dans le discours officiel on fait la promotion de l’entrepreneuriat, force est de constater malheureusement que dans les choix de politiques publiques il existe un biais anti-entrepreneuriat. D’une part, notre stratégie de croissance est tournée vers la stimulation de la demande interne (consommation des ménages et investissements publics) qui a certes amélioré la croissance, mais au prix de déficits public commercial et d’endettement. Et d’autre part, les réglementations, la fiscalité ne sont pas assez incitatifs à l’entrepreneuriat. Pis cette focalisation sur le marché intérieur a créé un biais anti-exportation. Or, avec un marché étroit et un pouvoir d’achat faible, le Maroc est condamné à conquérir les marchés extérieurs. Pour ce faire, il est besoin de changer de stratégie de croissance en s’orientant vers une véritable politique de l’offre qui replace l’entreprise au cœur du processus de développement et l’aide à devenir plus compétitive. Quand je parle de l’amélioration de la compétitivité, il ne s’agit pas seulement de celle des prix, mais surtout de celle hors prix basée sur la productivité. Car aujourd’hui, un consensus se dégage selon lequel il ne suffit pas d’accumuler le travail ou le capital physique, mais l’enjeu est d’améliorer leur rendement, leur qualité pour avoir l’impact le plus élevé en création de richesse et d’emploi. Pour ce faire, il est important d’améliorer la qualité de notre capital humain, institutionnel et social. Autrement dit, il faudrait investir dans le terreau sous-jacent à la création de la richesse à savoir : la connaissance, la gouvernance et la confiance.
Il s’agit essentiellement de remettre à plat toutes les règles du jeu encadrant l’acte entrepreneurial pour réduire au minimum les coûts et les risques artificiels supportés par les entrepreneurs. Pour ce faire, le mot d’ordre est : plus de liberté pour les acteurs économiques en rationalisant les interventions de l’Etat pour laisser plus de place à l’investissement privé, en sécurisant plus le cadre juridique pour plus d’état de droit et d’incitation à l’investissement productif et innovateur, et en introduisant plus de concurrence, d’une part par la libéralisation des échanges avec l’extérieur, et d’autre part, en assouplissant les réglementations des marchés du travail, du crédit et des affaires pour faire la chasse aux rentes de situations et réhabiliter l’égalités des chances économiques. Des efforts existent dans ce sens, mais aujourd’hui l’enjeu est d’accélérer la cadence si l’on veut converger vers l’émergence.
Enfin, le pilotage de cette nouvelle approche de développement ne doit plus suivre une logique sectorielle fragmentée. On ne peut plus se contenter de miser sur un secteur et espérer qu’il servira de locomotive pour tirer les autres. Il faudrait une approche intégrée où l’on mise sur les synergies et les complémentarités entre secteurs, comme entre l’agriculture et l’industrie via l’agroalimentaire. Dans la logique d’écosystème, tous les éléments, en dépit de leurs poids d’importances différents, devraient suivre le même rythme pour faire progresser de manière saine et plus efficace tout le système. D’où la nécessité également de consolider la culture et la gouvernance par le résultat et la qualité. Il s’agit de la condition sine qua non pour obtenir une croissance inclusive et plus équilibrée.
Si, le vent nous est aujourd’hui favorable pour aller vers l’émergence, nos responsables ont le devoir historique de changer de cap. Faute de quoi l’on risque de rater le coche comme dans le passé. Comme on dit : il n’y pas de vent favorable à celui qui ne sait pas où il va.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc)
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.