Pénétrer de façon officielle et sans aucun risque dans un camp de réfugiés ivoiriens au Ghana relève d’un véritable parcourt du combattant, parce qu’il faut être muni de deux autorisations celle du HCR-GHANA ( (Haut commissariat aux réfugiés)et celle de ‘’GHANA REFUGEE BORD’’ (GRB), des structures basées à Accra, la capitale.
La chance d’obtenir ces deux ‘’sésames’’ pour un journaliste non affilié à ces institutions est presque nulle. « C’est une question d’image à ne pas écorcher », a fait savoir, une source proche du bureau local du HCR et de GRB. Idem, au niveau du Togo où le camp des réfugiés ivoirien est fréquemment visité par les Forces de sécurité.
Informé de cette situation dans le cadre d’un reportage dans les camps de refugiés ivoiriens dans ces pays , nous faisons le choix de contourner les difficultés pour pénétrer effectivement dans chacun de ces camps.
Première étape, le camp de Ampain (Prononcez Ampinou, en N’zima, langue locale). Il est situé à 70 km de la frontière ivoirienne, en passant par Elubo, la petite ville frontalière du Ghana.
Après avoir passé les contrôles de sécurité, une difficulté se dresse devant nous : prouver à nos potentiels interlocuteurs au sein du camp que nous ne sommes pas un « espion de Ouattara » envoyé par le « régime ». C’est que la colonie des réfugiés ivoiriens est constituée dans sa grande majorité d’acteurs de premier plan, lors de la crise postélectorale sous le régime de Laurent Gbagbo. Ce sont, entre autres, des acteurs politiques, d’anciens éléments des Forces de défense et de sécurité (FSD) restés fidèles à l’ancien président ivoirien.
Les militaires sont dans leur grande majorité issus des rangs de la Garde républicaine (GR) dirigée alors par le général Dogbo Blé. Puis, il y a également des leaders syndicaux.
Se considérant tous comme des ‘’cibles’’ potentielles du pouvoir d’Abidjan, ces différent groupes de réfugiés, manifestent prudence et méfiance face à un ‘’inconnu’’ venu de la Côte d’Ivoire. C’est dans ce climat de suspicion et de soupçon, que nous pénétrons dans le camp d’Ampain (Ampinou) .
C’est un camp dressé tout au long de la route internationale, avec des tentes à perte de vue estampillées du logo des Nations Unies et du HCR. C’est le plus grand camp des réfugiés ivoiriens sur le territoire ghanéen, et dans la sous région avec 3600 âmes, dont plus de 1000 enfants. 80% parmi eux sont nés dans ce camp de réfugiés et n’ont connu que la vie sous les bâches onusiennes.
En face, de l’autre côté de la voie, se trouve le village d’Ampain qui est à l’origine de la dénomination du camp. Une fois à l’intérieur du camp, nous constatons que les réfugiés sont constitués en trois catégories. En plus de la première vague composée d’acteurs de premier plan, énumérés plus haut, le deuxième groupe regorge des personnes victimes des effets collatéraux de la crise postélectorale. Ce sont des personnes qui ont perdu des proches et/ou des biens mobiliers et immobiliers. Craignant pour leur intégrité physique, elles ont préféré fuir la Côte d’Ivoire. Puis enfin, la dernière vague de réfugiés est constituée de personnes terrifiées par des détonations d’armes à feu qui ont opté pour l’exil. Ce sont ces émigrés classés dans le dernier groupe qui choisissent dans la majorité des cas, le programme du départ volontaire de l’UHCR.
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Dans le camp, la situation des enfants et même des jeunes, reste la plus dramatique tant au niveau du cursus scolaire que sur le plan alimentaire, puisque depuis septembre 2015, le HCR a mis officiellement fin à son programme alimentaire à l’endroit des réfugiés ivoiriens. Cela provoque un désastre pour les familles et surtout pour les enfants qui en payent les prix.
Le témoignage de Fagnidi Stephanie (24 ans) qui vient de donner naissance à un bébé dans le camp traduit bien la triste situation à laquelle sont confrontés ces réfugiés : «Je suis venue dans ce camp de réfugiés en 2011, avec ma première fille qui, à l’époque, n’avait que 3 mois, aujourd’hui, elle a 6 ans et je viens d’accoucher. Mon bébé a deux mois. C’est vraiment difficile pour moi, qui ait un bébé. Le HCR a arrêté de nous livrer notre ration alimentaire composée de riz, de l’huile…depuis plus de deux ans. Donc, je souffre. Il est difficile pour moi de trouver à manger pour allaiter mon bébé. Et mon mari, bien avant la naissance de notre enfant a quitté le camp pour aller en aventure dans un autre pays (Algérie, dans l’espoir de regagner l’Europe NDLR ). Donc pour espérer pouvoir manger, pour allaiter mon bébé de 2 mois, il me faut tresser. Malheureusement, ce n’est pas tous les jours que j’ai des clientes. Je supplie donc le HCR pour qu’il nous vienne en aide car, c’est vraiment difficile pour nous. Et puis, lorsque ma file de 6 ans part à l’école, j’ai la peur au ventre parce qu’ici dans le camp, de cas de viol des enfants ont été révélés. J’ai vraiment peur. Nous dormons sous une tente que vous voyez bien, ce n’est pas une maison en tant que telle, c’est pour vous dire qu’on peut se faire violer à tout moment. Plusieurs femmes ont été violées sous leur tente dans la nuit».
Concernant l’arrêt de la livraison des denrées alimentaires par le HCR, Patrice Bassé, l’un des responsables du camp renchérit : « On nous donnait 9 kilo de riz par mois, par personne, puis cela a été réduit à 5 kilo et depuis septembre 2015, plus rien. La population se débrouille comme elle peut. Certains, à travers des travaux de tout genre que vous ne pouvez imaginer».
Siomboe Gueye, un autre réfugié décrit nettement la situation : « La première responsable du HCR (la Grecque Ioli Kimyaci : Ndlr) nous a dit carrément, lors d’une réunion publique qu’il faut qu’on retourne chez nous parce qu’il n’y a aucun projet pour nous. Et de deux, on ne peut pas nous réinsérer dans le tissu économique ghanéen. Nous sommes entre le marteau et l’enclume. Je donne raison à ceux qui tentent l’immigration clandestine dans les embarcations de fortune car, cela fait 6 ans que nous sommes ici et que cela dure. Mais nous croyons au président Gbagbo, ce pourquoi nous sommes là (…).Nous avons le problème des enfants. (…) Tout le monde nous abandonne ! Les femmes sont obligées d’aller faire des travaux qui les déshonorent pour des miettes. Nous-mêmes, nous ne savons pas où entrer parce que tout est dur, tout est complètement fermé. Si vous avez eu un bon boulot ici, c’est que vous êtes un aide-maçon. Vous pouvez voir des enfants sans manger durant toute la journée et qui vous disent ‘’tonton, j’ai faim’’. Cela vous fait couler des larmes. (…) La honte ! Nos enfants sont capables de nous frapper parce que nous avons suivi une voie qui n’est peut être pas la leur. Ils ont commencé à grandir. C’est vrai qu’ils n’ont pas vécu ce que nous avons vécu. Mais nous sommes là pour une conviction, et ils sont en train d’en payer le prix. Le prix qu’ils payent est très fort. Parce que souvent, ils demandent ‘mais papa, on fait quoi ici encore ?’’ Qu’est ce que je réponds à mon enfant ? ».
Claude Dassé, envoyé spécial, au Ghana