Au Zimbabwe, le 14 avril 2016 plus de 2000 manifestants, répondant à l’appel de l’opposition, envahissaient les rues de la capitale Harare pour protester contre le président Robert Mugabe. Agé maintenant de 92 ans, ce dernier est au pouvoir depuis l’indépendance du pays. Autrefois surnommé le « grenier à blé » de l’Afrique australe, le Zimbabwe est aujourd’hui à genoux économiquement suite à une succession de décisions gouvernementales désastreuses. Crise alimentaire par-ci, dégringolade de la monnaie zimbabwéenne par-là, le bilan de Mugabe n’est guère reluisant. Comment se fait-il alors qu’il soit toujours au pouvoir ?
De prime abord, il est à rappeler que l’actuel chef d’Etat zimbabwéen, en tant qu’ancien leader de la guérilla nationaliste, a lutté pour l’indépendance du Zimbabwe jusqu’en 1980, année où le pays accède à la souveraineté internationale. Ce faisant, il est considéré comme l’un des « pères de l’indépendance » du pays. Position qu’il exploitera pour asseoir sa légitimité. La mémoire de ce combat est la force principale de Mugabe. Un programme « d’éducation populaire » à travers les médias et les programmes scolaires a d’ailleurs été mis en place en 2000 pour que le peuple n’oublie pas cette dette historique. Et des initiatives populistes telles que le programme de réforme agraire, consistant en réalité à remplacer les propriétaires « blancs » par des oligarques « noirs » de son entourage, sont maquillées comme la continuité directe du combat pour l’indépendance et un besoin constant de lutter contre l’impérialisme.
En outre, le cadre juridique qui a été pendant longtemps largement en sa faveur participe à cette longévité. La première constitution du pays, celle issue des accords de Landcaster House, a subi environ quinze amendements, tous allant dans le sens des intérêts du parti au pouvoir. Tandis que son parti politique, la ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique) bénéficiait des privilèges politiques, le président lui jouissait de pouvoirs exorbitants depuis les amendements de 1987. Notons que l’article 51 de la loi électorale lui a donné la possibilité de suspendre ou d’annuler les résultats d’une élection, ou même de modifier par décret toute législation ou réglementation ayant trait à l’organisation des élections sans être tenu de consulter quiconque. C’est donc sans surprise que Mugabe a une mainmise totale sur l’appareil étatique. Aujourd’hui, des liens étroits existent encore entre son parti la ZANU-PF et l’administration ; la dernière serait contrôlée par la première. Pour parachever le tout, le chef de l’Etat zimbabwéen s’assure du soutien des généraux de l’armée en choyant ces derniers par des augmentations de salaire ou encore des attributions de fermes.
Avec ce système bien ficelé, il n’est point étonnant que les manipulations des processus électoraux fonctionnent à plein. Magouilles, trucages et intimidations restent les méthodes de ce régime mono partisan pour s’accrocher au pouvoir. Le professeur Daniel Compagnon révélait à ce propos que lors de scrutins de 2000, des paysans des Communal Areas (anciennes réserves tribales) ont avoué obéir aux consignes de la ZANU-PF pour éviter les ennuis. Quant aux adversaires politiques, s’ils ne sont pas réprimés, tout est mis en œuvre pour les écarter du jeu électoral. Tel a été le cas lors des présidentielles de 1996 où Mugabe sera réélu sans opposition réelle à la suite du retrait de ses deux adversaires Abel Muzorewa et le révérend Ndabingi Sitholé, ou encore celles de 2008 où la violence a contraint Morgan Tsvangirai à se retirer à quelques jours du deuxième tour, laissant à Mugabe une victoire vide de sens. D’évidence, à part le référendum constitutionnel de 2000, qui peut être considéré comme un accident de parcours, le parti au pouvoir n’a perdu aucune élection.
Aussi, cette dictature qui ne dit pas son nom ne laissera pas indifférente la communauté internationale. Suite à des accusations d’atteinte aux droits de l’homme portées par des organisations internationales, le Zimbabwe a fait l’objet de sanctions de la part de l’ensemble des pays occidentaux. En 2003 par exemple, le pays a été suspendu du Commonwealth à la demande des Britanniques et a subi des sanctions financières et économiques du Congrès américain. Loin de se laisser faire, Mugabe a alors retourné les mesures prises par l’Occident en sa faveur en se posant en victime face à des ambitions néo-impérialistes. D’où le rassemblement du peuple autour de sa personne, contre l’ennemi étranger. Mieux, il a gagné le soutien de plusieurs dirigeants africains séduits par son audace et ses discours défiant la communauté internationale.
Enfin, existe-t-il au Zimbabwe une alternative crédible pour remplacer Mugabe ? Certes, le MDC (Mouvement pour le Changement Démocratique) de Morgan Tsvangirai, seul parti de l’opposition pouvant menacer la ZANU-PF, commence à gagner du terrain. Mais il n’est pas encore considéré comme une alternative viable, malgré sa capacité à proposer un changement. Depuis la signature en 2009 d’un accord politique (le Global Political Agreement) par Tsvangirai et Mugabe instaurant un partage du pouvoir entre le MDC et la ZANU-PF dans un gouvernement de coalition, le MDC a perdu en crédibilité. Il faut dire que la cooptation de l’opposition est une vieille stratégie de maintien au pouvoir que la ZANU-PF avait déjà utilisé. De plus, le financement du MDC par les donateurs occidentaux en fait aux yeux des populations un allié des Occidentaux mais également un traître qui veut restituer les terres à l’ancien ennemi : la Grande Bretagne.
Voici donc les secrets de Mugabe pour se maintenir à la tête du Zimbabwe. Si pour certains, il est trop vieux, le doyen des chefs d’Etat africains ne l’entent pas de cette oreille et ne fait aucun mystère de ses ambitions de continuer. Lui qui promettait en 2008 que, de son vivant, « jamais l’opposition n’arrivera au pouvoir ». Transmettra-t-il le trône à l’un de ses proches comme l’Afrique nous en a souvent donné l’exemple ou mourra-t-il au pouvoir comme d’autres?
Zakri Blé Eddie, Etudiant en droit, Abidjan-Cocody.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique .