L’Administrateur général et ex-Directeur général de la police, Brédou M’bia, a été mis en difficulté le vendredi 17 février 2017, à son troisième jour de témoignage dans le procès couplé devant la Cour pénale internationale (Cpi) de l’ancien président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, leader présumé de l’ex-galaxie patriotique. Les hésitations dans ses réponses ont fait monter le ton, au cours des échanges entre le juge-président, l’accusation et la défense.
Contrairement aux deux précédents jours de son témoignage pendant lesquels il avait donné le sentiment d’être serein dans ses réponses aux questions du substitut de la procureure de la Cpi, Brédou M’bia a fait preuve de tergiversation au 3e jour de sa présence au prétoire.
Les hésitations de Brédou M’bia
Au début de son interrogatoire, Eric Mac Donald, le substitut de la procureure de la Cpi, évoque une rencontre entre Brédou M’bia, alors Directeur général de la police, et ses collègues des grands commandements de l’époque, à la date du 2 décembre 2010, jour de la proclamation des résultats du second tour de la présidentielle de 2010 par le Conseil constitutionnel.
« De quoi avez-vous discuté ? », demande à Brédou M’bia le premier substitut de Fatou Bensouda, la procureure de la Cpi.
Usant de subterfuges, l’ex-Directeur général de la police se contente seulement de répondre que ses collègues et lui ont « discuté », après avoir indiqué que la rencontre a été convoquée par le chef d’État-major d’alors, Philippe Mangou.
Mac Donald qui décèle l’intention du témoin de se soustraire à sa question revient à la charge : « Ecoutez, M. le témoin, pourquoi est-ce que vous vous êtes rencontrés ? »
À ce moment, Brédou M’bia se sent dans l’obligation d’étoffer sa réponse.
« Il y a eu une invitation du chef d’État-major et nous sommes allés écouter. (…) Il a demandé que nous allions à la Présidence pour assister (il marque une pause de quelques secondes et il semble chercher ses mots, Ndlr), pour assister à une cérémonie », répond-t-il sans rien ajouter de plus.
Agacé par ces hésitations, Mac Donald demande alors au juge-président, Cuno Tarfusser, de « rappeler au témoin l’objectif de sa présence » à la Cpi qui est « de donner des informations, des faits ».
« J’ai un peu l’impression de me trouver dans la peau d’un dentiste qui essaie d’extraire une dent », a-t-il imagé pour mieux se faire comprendre.
Le juge-président saisit l’occasion pour rappeler au témoin son obligation de « dire toute la vérité, et rien que la vérité ».
Ce qui contraint Brédou M’bia à préciser que la cérémonie en question était l’investiture de Laurent Gbagbo. Ensuite, le substitut de Bensouda aborde le sujet de la marche sur la Rti du 16 décembre 2010.
Lorsque Brédou M’bia fait savoir qu’il avait l’information de la tenue de cette marche, Mac Donald lui demande : « Quand avez-vous su, appris qu’il allait y avoir une marche le 16 décembre 2010 ? »
Sans aller plus loin dans sa réponse, Brédou M’bia répète qu’il a « eu vent » de cette marche. Il suscite ainsi l’insistance de Mac Donald qui veut savoir « quand est-ce qu’il (en) a eu vent », avant de répondre qu’il ne se « rappelle pas exactement ».
Blocus à l’hôtel du Golf : les révélations de Mac Donald sur les confidences de Brédou M’bia
Brédou M’bia a, par ailleurs, confirmé qu’il y avait eu un blocus pendant la crise postélectorale de 2010-2011 à l’hôtel du Golf où étaient reclus Alassane Ouattara et plusieurs de ses partisans. Mais, il a affirmé ne pas avoir souvenance de la date à laquelle il lui a été signifié de faire ce blocus et ne pas avoir de réponse à la question de savoir qui, autre que le chef d’État-major, peut ordonner le déploiement d’armes dans la ville.
Mac Donald décide alors de lire à Brédou M’bia ce qu’il avait déclaré à ce sujet dans sa déposition lors de l’enquête préliminaire. Il ressort de cette déposition ce qui suit : « (Brédou M’bia) : “Où ils avaient empêché les gens de rentrer au Golf et sortir.’’ Question de l’enquêteur : “Et donc, qui a fait le blocus ?’’ Réponse (de Brédou M’bia) : “Ça, c’est un ordre un ordre du chef de l’État . Ça, c’est un ordre du chef de l’État .’’ (…) L’enquêteur à la ligne 427 vous demande : “Mais comment saviez-vous que c’était un ordre du chef de l’État ?’’ Réponse : “Mais les militaires eux-mêmes ne peuvent pas venir mettre des armes de guerre en ville. C’est comme ça. Ce n’est pas possible.’’ Question : “Donc, qu’est-ce qu’ils ont mis comme armes de guerre ?’’ Réponse : “Je ne suis pas militaire. Je ne peux pas savoir. Je sais que c’est des armes de guerre, parce que je vous ai dit qu’au-delà des mitraillettes, toutes les autres armes qui arrivent, c’est des armes de guerre.’’ »
Le substitut de Bensouda s’apprête, par la suite, à poser ses questions sur ce sujet au témoin. Mais, il est interrompu par Me Gbougnon Jean Serges, l’un des avocats de Blé Goudé, qui souhaite lire une autre partie de la même déclaration.
« À la page 2/8-6, on demande au témoin à la ligne 5/1-7 : “Et donc, oui ou non, est-ce qu’il a confirmé que cet ordre venait du chef d’État ?’’ Voici la réponse du témoin : “Non. Mais moi je peux vous dire que je suis presque convaincu que, notamment pour que l’armée puisse mettre des armes de ce genre en ville, il faut un ordre. C’est ce qu’on appelle les armes de l’État . Ce n’est pas un pistolet. Ce n’est pas un révolver et qu’on dit aux policiers “allez-y’’’’. Il dit à la ligne 527 : “Je répète encore pour vous dire que je ne peux pas vous le dire. Je ne suis pas militaire, moi.’’ », a rapporté Me Gbougnon.
Il est indispensable, a souligné l’avocat de Blé Goudé, de lire l’entièreté de la déclaration du témoin sur le sujet pour être juste avec lui.
Me Emmanuel Altit, emboîte le pas à Me Gbougnon en dénonçant le procédé suivi par le substitut de la procureure de la Cpi : « Il a choisi un élément. Il a sauté l’élément important que vient de lire M. Gbougnon. Et il a rebondi sur un autre élément de la déclaration, choisissant des éléments qui l’arrangeaient. »
Le juge-président déboute la défense à plusieurs reprises
Durant l’audience, des empoignades entre la défense et l’accusation ont suscité à maintes reprises l’intervention de Cuno Tarfusser, le juge-président.
L’utilisation des déclarations antérieures du témoin aux fins de l’interrogatoire a été à l’origine du premier incident entre Mac Donald et les avocats de Gbagbo et Blé Goudé.
« Ce genre de procès d’intention n’est pas acceptable. Deuxièmement, M. le président, je dois faire une remarque qui me semble utile et appropriée. L’utilisation des déclarations antérieures pose un certain nombre de problèmes. Je l’illustre ici (…) », fait remarquer Me Altit, l’avocat principal de Gbagbo, avant d’être interrompu par Mac Donald qui demande que le témoin soit conduit hors du prétoire afin de ne pas assister au débat en cours.
Me Gbougnon réagit, également, sur le sujet en épaulant Me Altit.
Ce débat a été tranché par le juge-président en faveur de Mac Donald, le substitut de Bensouda.
« D’abord, je voudrais être clair. Je n’aime pas les erreurs ou les manœuvres tactiques. Et j’ai un peu l’impression de vous voir l’un ou l’autre sauter sur vos pieds pour des raisons tactiques. Ici, en l’occurrence, nous avons une confrontation. Il y avait une question directe au témoin qui a dit quelque chose. Ce qui n’était pas conforme avec ce qu’il avait dit dans sa déposition. Il a lu sa déposition pour le confronter et lui demander sur ces deux versions, la différence entre ce qu’il dit ici et ce qu’il a dit en 2011, quelle est la bonne version. C’est tout. Et je crois que c’était la manière correcte, adéquate de confronter le témoin sur cette déclaration qui était en contradiction avec ce qu’il avait dit précédemment (…) », a précisé Cuno Tarfusser, pour débouter les avocats de Gbagbo et Blé Goudé.
Sur le sujet précédemment évoqué, relatif à l’omission des propos du témoin en rapport avec l’ordre donné par Gbagbo à l’époque pour le déploiement des armes de guerre en pleine ville, Me Altit et Me Gbougnon ont été, également, déboutés par le juge.
Il en a été de même sur une autre question liée à l’utilisation de documents impossibles à identifier par le témoin.
« Quel intérêt d’utiliser des documents que le témoin ne peut pas identifier », avait pourtant objecté Me Altit.
Il est prévu que Mac Donald boucle son interrogatoire le lundi 20 février 2017 pour faire place aux avocats de la défense.
Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont poursuivis par la Cpi pour quatre (4) chefs de crimes contre l’humanité (meurtres, viols, autres actes inhumains, persécutions), dans le cadre de la crise postélectorale de 2010-2011 dont le bilan fait état de 3000 morts.
Alex A