Un décryptage de l’absence du Président du Pdci-Rda, Henri Konan Bédié et du Président de Ppa-Ci, Laurent Gbagbo à Yamoussoukro le 7 août 2022, permet de dire qu’en réalité ils n’avaient pas intérêt à répondre favorablement à l’invitation du chef de l’État, Alassane Ouattara.
En effet, sauf à vouloir prendre leur retraite politique, ou à cesser d’espérer incarner eux-mêmes – ou bien à travers leur formation politique – une alternative politique, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo n’ont pas intérêt à applaudir Alassane Ouattara. Explications !
En Côte d’Ivoire, la décrispation politique et la réconciliation nationale peuvent-elles s’affranchir de la symbolique des rencontres entre Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, pour s’ancrer dans d’autres arguments ?
Ne pas oublier l’essentiel pour éviter le désenchantement
Nous pouvons tomber vite dans le désenchantement , si on oublie l’essentiel : l’affrontement électoral, dans un cadre démocratique, est une réalité de la scène politique. En effet Alassane Ouattara, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo font des offres politiques différentes qui doivent être tranchées dans les urnes.
La démocratie, ce n’est pas le consensus qui conduirait chaque parti politique à renoncer à défendre ce qu’il croit être juste pour la nation et les populations.
À ce titre, même si la décrispation entre Ouattara, Bédié et Gbagbo, est utile et bénéfique – car elle a une forte charge symbolique – , cela ne peut pour autant effacer les désaccords et les antagonismes politiques, qui sont l’essence même de la démocratie. Cette essence doit ainsi demeurer.
La politique, en plus d’être l’acceptation saine des réalités du moment ( ce qui n’est pas toujours le cas ), reste une compétition permanente entre des hommes et des femmes, entre des partis politiques, entre des programmes et des projets politiques, entre des visions opposées pour une cité, un pays, un continent et le monde.
Si l’on voit les choses sous cet angle, il n’y a pas de quoi être déçu par les postures de Laurent Gbagbo et d’Henri Konan Bédié relativement à leur absence à Yamoussoukro.
Il n’y a pas de quoi être déçu si
En réalité, passé l’euphorie du moment, quand l’on regarde de près, cela devait être trop beau pour être vrai qu’ils soient présents . Peu importe les raisons de l’absence, la présence n’était pas évidente ; puisque même quand tout allait bien entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié , celui-ci n’a pas été présent durant cinq ans au moins, alors même que le Président du Pdci-Rda était souvent cité par Alassane Ouattara dans le message à la Nation du 6 août.
Le problème n’est pas que les anciens présidents de la République aient été absents à Yamoussoukro. Le problème est plutôt d’avoir cru qu’ils seraient présents ! Oui, c’était trop beau pour être vrai !
Le jour où Bédié et Gbagbo vont applaudir Ouattara, ne cesseront-ils pas d’incarner une alternative politique ? Aucun des leaders historiques des grands partis politiques ivoiriens ne veut se faire hara-kiri, sauf à choisir la stratégie de l’endormissement de l’adversaire qui de son côté peut voir le dos des nageurs !
Ceux qui sont déçus de l’absence de Bédié et de Gbagbo à Yamoussoukro ne sont pas leurs partisans, mais bien les soutiens du Président Alassane Ouattara. Dans les camps de Bédié et de Gbagbo, l’absence à Yamoussoukro et les réserves face au message à la Nation du Président de la République sont le signe que le combat politique se poursuit.
Le cas de Laurent Gbagbo
Laurent Gbagbo affirme n’être pas venu en politique qui est un métier pour lui, pour un agenda personnel, pour une satisfaction personnelle. Son sort personnel et individuel n’est pas le plus important selon lui ; d’où son détachement affiché face à l’argent, même s’il n’a pas craché sur le paiement des arriérés de sa rente viagère.
S’agissant de la grâce, il faut constater que l’ex président Laurent Gbagbo n’était pas en prison et il n’y avait pas, non plus, un risque qu’il soit mis en prison, alors que la décision de justice qui le concerne n’a jamais été appliquée.
L’application ne dépendait pas lui. Ceux qui étaient chargés d’appliquer la peine, ne l’ont pas fait, et une décision de grâce est prise, alors que la non-application de la décision valait déjà une grâce ! Laurent Gbagbo qui avait refusé déjà en 1992 une grâce face à Houphouët-Boigny alors qu’il était en prison , peut-il applaudir la grâce du 7 août 2021, alors qu’il n’était pas en prison.
La décision du 7 août 2022 ne montre-elle pas que la date du retour au pays en juin 2021 a été fixée contre le gré des autorités d’Abidjan. Ainsi Laurent Gbagbo est arrivé en Côte d’Ivoire, sans l’accord et l’aval explicites des autorités mises devant le fait accompli, par leur volonté de ne pas entraver la décrispation et la réconciliation ?
Une posture qui a déjà triomphé à la Cour Pénal Internationale (CPI)
Parlons de l’amnistie : en 2025, si Laurent Gbagbo veut être candidat, il déposera même Sanaa amnistie sa candidature et invitera les institutions à prendre acte de sa décision, ou à assumer la décision qui sera prise en mettant en avant une condamnation qu’il rejette. Au passage, ses partisans disent que l’on a déjà eu des candidatures exceptionnelles et hors constitution dans le pays.
Politiquement et moralement, Laurent Gbagbo ne s’est jamais senti concerné par les condamnations en Côte d’Ivoire. Il a la même posture depuis 2011 . Cette posture de “je n’ai rien fait pour demander pardon. C’est moi la victime, l’une des victimes. Je ne suis pas coupable, je suis moi aussi une victime”, qui a triomphé à la CPI. Pourquoi et comment un homme non coupable à la CPI, un homme qui a plaidé non coupable à la CPI, peut-il plaider coupable en Côte d’Ivoire ?
Concernant les indemnités, Laurent Gbagbo et son camp estiment que cet argent n’aurait jamais dû cesser d’être payé. Pour eux, le pouvoir Ouattara met ainsi fin à une injustice. Cela n’a pas besoin de remerciements à priori , même si une concession a été faite à ce niveau à travers Katinan Koné qui a salué cet aspect des mesures.
Le refus d’aller à Canossa
En définitive, si la décrispation politique en Côte d’Ivoire signifie un abandon des contentieux et des postures des uns et des autres, si la réconciliation nationale veut dire qu’on est d’accord sur tout, alors il y a illusion, voire échec de cette réconciliation !
L’idée de la compétition électorale , de la confrontation est le sel même de la démocratie et de la vie politique de nos jours. Depuis 1993, la scène politique ivoirienne est faite de soubresauts violents : instrumentalisation du concept d’« ivoirité », coup d’État militaire du général Guéï en 1999, crise post électorale en 2000, crise militaro-civile en 2002, avec partition du pays, grave crise post- électorale en 2010-2011. Depuis 2011, malgré des appels à l’insurrection populaire lors de la présidentielle 2020, le retour à la stabilité politique, sans laquelle rien n’est possible, est une réalité.
À l’issue des dernières élections législatives, tous les partis politiques sont présents à l’assemblée nationale. La scène de réconciliation du 14 juillet 2022 entre Bédié, Gbagbo et Ouattara contribue à la décrispation du climat politique. C’est une bonne chose, mais cela ne signifie pas renoncement au combat politique et à la démocratie. L’absence de Bédié et Gbagbo à Yamoussoukro est dans l’ordre normal des choses. Yamoussoukro ne peut pas être Canossa.
En l’an 1077, le conflit des Investitures opposa l’Empereur allemand et le Vatican. Le pape de l’époque décida alors d’excommunier l’empereur, qui perdit le soutien de ses vassaux. L’empereur fut obligé de s’excuser à Canossa en tenue de pénitent auprès du pape pour obtenir son pardon. Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo n’ont pas à demander pardon à un adversaire politique, mais à la Côte d’Ivoire.
S’ils ont des comptes à rendre, c’est aux populations ivoiriennes qui choisiront dans les urnes celui qui incarne l’avenir de la Cote d’Ivoire. Peuple mûr politiquement, les Ivoiriens ont toujours préféré les urnes aux armes. C’est à cela qu’il faut travailler davantage , au-delà des rencontres symboliques, qui doivent se multiplier pour justement devenir banales et non plus symboliques. Ainsi le fait que le Président Alassane Ouattara, et ses prédécesseurs Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo se parlent se rencontrent ou se croisent, ne sera plus un événement extraordinaire , ne sera plus dans l’ordre des symboles, mais désormais dans l’ordre normal des choses. Nous le pouvons !
Wakili Alafé