En prélude à la célébration des 70 ans de l’existence du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci), Afrikipresse.fr a rencontré dame Marguerite Sampah, petite fille du célèbre planteur Brou Kablan Fulgence, l’un des soutiens de Félix Houphouët Boigny pendant la lutte émancipatrice. Elle fait des révélations et dénonce l’évolution du plus vieux parti politique ivoirien.
Pouvez-vous nous résumer un peu les actions de votre grand-père, Brou Fulgence qui fut l’un des pionniers du RDA, rassemblement syndical agricole à l’origine de la création du PDCI-RDA?
Justement, au plan politique, mon grand-père, Brou Kablan Fulgence, était l’un des piliers du RDA, en Côte d’Ivoire. Vous savez, par éducation, je n’ai pas pour habitude d’exprimer une auto satisfaction pour le rôle joué par mon grand-père maternel. Mais je peux vous dire que c’est lui qui, par son action, a été à la base de l’implantation du RDA, en Côte d’Ivoire. Il a encouragé Houphouët Boigny, de retour de Dakar, à militer au sein de ce grand mouvement de planteurs africains. Parce qu’il a estimé que c’est ensemble qu’on pouvait constituer une force face aux exploiteurs blancs pour l’abolition du travail forcé et l’amélioration des conditions de vie et de travail des planteurs, puis, songer également à l’indépendance. Vous savez, mon grand-père n’était pas allé très loin dans les études, mais en bon visionnaire, il avait perçu le charisme et l’intelligence du président Houphouët-Boigny qui revenait de Dakar. C’est alors qu’il a suggéré aux autres planteurs de choisir Houphouët comme leur porte-parole face aux colons, dans les discussions de Bamako. Et c’est là qu’Houphouët a été élu comme président du Syndicat agricole africain, où il a d’ailleurs prononcé à Bamako, au Mali, sa fameuse phrase devenue culte : « On nous a trop volés ». Heureux du discours d’Houphouët à la tribune de Bamako, dès son retour triomphal en Côte d’Ivoire, selon ce que racontaient mes parents mon grand-père très heureux lui a offert son tout premier véhicule. Ils sont tous deux, plus tard devenus de grands amis. J’étais certes très jeune mais je me souviens qu’Houphouët qui n’était pas encore président à cette époque venait très souvent chez nous à la maison rendre visite à mon grand-père à Aboisso. Les familles Houphouët et Brou étaient vraiment très liées. Ces deux personnages se sont battus au sein du RDA aussi bien pour la cause des planteurs que pour l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance.
Quelle est votre vision aujourd’hui pour le PDCI-RDA ?
Autrefois, on disait le RDA, et aujourd’hui on dit PDCI-RDA. Avec cette nouvelle appellation, nous avons beaucoup d’ennuis parce que nous avons changé de mentalité. Je le dis du fond du cœur et c’est sincère. Parce que cette lutte émancipatrice du RDA a été galvaudée par certains dirigeants actuels du PDCI-RDA. Je vous fais une confidence : à l’époque, ce sont tous les sympathisants de ce grand rassemblement agricole africain qui, par amour pour leur pays, finançaient spontanément la section ivoirienne du RDA, devenue PDCI. Aujourd’hui, le PDCI est un parti rempli d’hypocrisie, qui a été disloqué. Un parti qui est tantôt à gauche, tantôt, à droite. Ce qui est vraiment dommage ! Ce PDCI ne ressemble pas à celui que nous avons connu avec nos parents et grands-parents, qui étaient francs, sincères et loyaux dans leurs convictions et leurs amitiés.
16 avril 1946-16avril 2016, le PDCI célébrera bientôt les 70 ans de sa création. Quel sentiment avez-vous à la veille de ces préparatifs ?
Avant de répondre à votre question, je voudrais vous faire une petite précision et vous dire qu’autrefois, mes parents Sampah étaient à la fois transporteurs et planteurs. Ce sont donc mes parents du côté paternel qui acheminaient toutes les lettres secrètes d’Houphouët-Boigny à ses amis des autres pays. Malheureusement, on dit ceux qui construisent la demeure n’y habitent pas, et ce sont ceux qui ne l’ont pas construite qui y résident. Mais, nos parents nous ont enseigné à travailler durement pour gagner notre pain à la sueur de notre front. Et c’est également cette doctrine que nous tentons de léguer à nos enfants, petits-enfants et arrières petits-enfants. Aujourd’hui, ce sont ceux qui ne savent rien de l’histoire du PDCI, qui n’ont rien apporté à ce parti qui sont là et qui empêchent ceux qui veulent réellement travailler pour le parti de le faire. Je suis écœurée parce que même au niveau d’Aboisso qui est notre région, lorsqu’il y a un événement de ce genre, on ne nous envoie jamais d’invitation pour nous dire venez au moins participer à la célébration. Mais, je suis toutefois heureuse parce que, lors de l’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance, avec mes parents, nous étions à la Présidence, à la première loge, aux côtés du Président Houphouët-Boigny. En outre, lors de la première visite du Président Modibo Keita du Mali en Côte d’Ivoire, nous étions deux filles, dont moi, qui avions été choisies pour accompagner le Président dans sa visite. Je garde de cet évènement un souvenir inoubliable ! Enfin, je souhaite que ceux qui sont actuellement à la tête du PDCI soient francs envers eux-mêmes d’abord, parce que le double jeu n’a jamais payé. Nous avons été élevés ainsi : c’est oui, ou c’est non ! Lorsqu’un président arrive, même si tu ne l’aimes pas, tu dois l’aider pour que le pays avance. On ne choisit pas un Président, c’est Dieu qui nous le donne. (…) Maintenant, les gens sont là pour l’argent et prêts à trahir leur prochain pour leur intérêt personnel ainsi que celui de leur famille. Parce qu’on ne peut pas prendre l’argent du peuple, l’argent des contribuables et vivre avec sa petite famille, pendant que le peuple croupit sous le poids de la misère. Ce n’est pas normal.
Par Claude Dassé