Le débat autour des documents de voyage remis à l’ex président ivoirien Laurent Gbagbo le vendredi 4 décembre dernier continue d’alimenter l’actualité à Abidjan et hors des frontières ivoiriennes.
Pour le journaliste afro-canadien, et patron de M9 médias Group Afrique Plus, l’octroi de passeports à l’ancien président Gbagbo est une excellente décision avant de s’interroger si le même traitement sera-t-il appliqué à Blé Goudé et autres opposants dans la même situation?
Afrikipresse : Quel est votre avis après l’octroi des 2 passeports à l’ex-président Laurent Gbagbo, par les autorités ivoiriennes.
Jean-Marie Vianney : Vu du Canada, personnellement, je crois que c’est une excellente décision de la part des autorités ivoiriennes. L’octroi des passeports à l’ancien président Laurent Gbagbo ouvre un nouveau chapitre pour la Côte d’Ivoire, la sous-région, l’Afrique et la communauté internationale. Je pense qu’en s’adressant il y a quelques semaines dans les médias français, avec notre collègue Denise Épotè de TV5 Monde à l’émission « Et Si », l’ancien président avait fait le vœu d’ouverture et avait tendu la main à la classe politique actuelle dans le pays. Il parlait dans cette entrevue de multiplications des obstacles pour barrer la voix aux opposants politiques. Il revenait aussi sur la notion du respect des écrits et des constitutions en Afrique. Maintenant que les documents administratifs lui sont remis, il faudra surveiller la suite des choses.
Quel rôle le président Gbagbo peut-il jouer une fois dans l’avenir et de retour dans son pays?
Les questions que les gens se posent chez nous ici sont les suivantes : est-ce que le même traitement sera appliqué à Blé Goudé et les autres opposants dans la même situation? Quelles seront ses priorités ( Gbagbo, ndlr)? Avec quel agenda rentrera-t-il dans son pays et comment il va influencer ses partisans et les jeunes? Comment son retour va contribuer à la stabilité du pays, à réduire les clivages ethniques? Quel discours tiendra-t-il concernant les victimes des différents massacres et comment va-t-il s’y prendre pour éviter d’enflammer la sous-région et enfin son sort depuis Abidjan où il est poursuivi par la justice quand on sait que la CPI peut avoir besoin de lui à tout moment. Vous voyez que votre question soulève beaucoup d’incertitudes pour l’avenir.
En revanche je dois dire que malgré toutes ces questions, j’ai confiance au leadership actuel en Côte d’ivoire. Je crois que ce pays a souvent su surprendre l’Afrique et le monde et j’espère vraiment que le retour du président Laurent Gbagbo se passe dans le calme et la sérénité. Le positionnement stratégique du pays et sa stabilité doivent être des mobiles de fierté pour les ivoiriens d’abord et que cela serve de leçon de respect des lois, de la justice et faire avancer le pays dans la direction de la paix, de la réconciliation, de la vérité et du pardon. Nous allons juger le maçon au pied du mur, et comme disait l’ancien président lors de cette entrevue cité plus haut; l’Afrique doit aider les pays africains (francophones) à faire la paix!
Que faut-il d’autre pour une réconciliation effective en Côte d’ivoire.
La Côte d’Ivoire a toujours su amorcer plusieurs crises avant, que ce soit sous le temps du président Houphouët, Bédié, Guei, Gbagbo et même le président actuel Alassane Ouattara. Je fais confiance à la capacité de cette classe politique de travailler d’arrache-pied pour développer des mécanismes de réconciliation afin de réunir le pays divisé. Ceci passera par des étapes d’ouverture et de dialogue. Les questions que tout le monde se posent sont : Qui seront les futurs acteurs politiques en Côte d’ivoire ? Accepteront-ils de jouer franc jeu pour réconcilier le pays?
De mon point de vu, les artistes et la diaspora devraient s’impliquer dans la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire et dans la sous-région. Après bientôt dix ans, le regard sur la situation vu du Canada est de mettre l’accent sur la construction de l’unité du pays, solidifier l’armée, encourager une participation citoyenne et l’économie du pays. La réconciliation d’après ma lecture est un processus de guérison individuelle puis collective qui peut prendre du temps. Les pays amis de la Côte d’ivoire comme le Canada et les autres pays d’Afrique peuvent aider les ivoiriens à s’en sortir. Nous avons vu différents types de modèles et le pays en choisira le type de réconciliation qui lui conviendra pour panser ses plaies et passer au travers des traumatismes et de faire son deuil à son rythme et enfin passer à l’étape de’’ vie normale’’. Dans son histoire, le pays a vécu les temps forts où les mots comme, réconciliation; résolutions de conflits, dialogue, vérité, pardon… ne sont pas des mots vains, mais constituent l’ADN de la Côte d’Ivoire et le pays s’en sortira. J’ai confiance.
Le débat sur le 3ème mandat de Ouattara est-il encore d’actualité ?
‘’La limitation des deux mandats sera respectée dans la nouvelle constitution’’ disait le président Alassane Ouattara et l’histoire va retenir que le président pour l’intérêt de son pays a été obligé de revenir sur sa parole. Lui qui avait promis à la classe politique ivoirienne qu’il serait le modèle et servirait d’exemple de transition pacifique en ne briguant pas un troisième mandat n’a pas tenu sa parole politique. Comme le dit l’adage, les paroles s’envolent et les écrits restent; son troisième mandat et sa réélection comme chef d’état de la Côte d’Ivoire seront scrutés à la loupe par les invoiriens, l’opposition ainsi que la communauté internationale. Votre question touche un excellent point sur l’état des constitutions dans les pays du continent et la nécessité de voir comment la prise de pouvoir, le partage de pouvoir et les transitions politiques doivent se faire dans les prochaines décennies. Je pense qu’il faut revenir à la conférence de la Baule trente ans après qui avait lancé l’idée et une volonté de ne plus avoir de troisième mandat et d’envisager les transitions politiques. C’est une discussion qu’il faudrait rouvrir et avoir à nouveau en Afrique et je crois que les prochaines générations africaines devraient y faire face.
Comme dirait l’autre, on est élu pour servir le peuple, et non pour se servir. La question est celle de savoir comment tenir compte de la volonté des peuples africains pour se prononcer sur la limitation des mandats et se poser la question à quoi sert la parole politique?
Propos recueillis par Philippe Kouhon