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    Interview – un élu ivoirien crie la misère des députés suppléants et casse la baraque !

    Interview – un élu ivoirien crie la misère des députés suppléants et casse la baraque !
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 14 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Gounougo Tenena Mamadou est le député suppléant de Boundiali-Ganaoni communes et sous-préfectures et président du collectif des députés-suppléants de Côte d’Ivoire. Dans cette interview récemment publiée par notre confrère L’Intelligent d’Abidjan , il évoque la situation des députés , les difficultés auxquelles leurs suppléants sont confrontés et propose l’attitude que ses collègues et lui comptent adopter aux prochaines élections législatives.

    Vous êtes le président du collectif des députés-suppléants de Côte d’Ivoire. Comment se passe concrètement cette suppléance ?

    Depuis les échéances portant sur la deuxième République et la deuxième législature en décembre 2011 , est né un couplé à l’Assemblée nationale qui comprend un député titulaire et un suppléant. Cela a été fait sur la base de la loi de 2004, portant suppléance. Dans cette loi , on précise les cas où on peut suppléer son titulaire et les cas où on ne peut pas le faire. Il avait été promis aux suppléants et aux partis politiques qu’un amendement serait fait de cette loi qui a été votée en 2004.

    Qu’est-ce qui vous dérange dans cette loi de 2004 précisément , au point de soutenir un amendement ?

    Cette loi n’est constituée que d’interdits. Il n’y a rien de favorable dans cette loi pour les suppléants. Certains de ses articles stipulent qu’un suppléant ne peut pas suppléer son titulaire si celui-ci est malade , victime d’un accident , ou s’il décède , ou même s’il rend sa démission de la fonction qu’il occupe. Dans ces cas, il fallait reprendre les élections dans la circonscription donnée. On ne peut suppléer un titulaire que s’il y a incompatibilité entre le poste de député et la fonction qu’il occupé , c’est-à-dire s’il était ministre, ambassadeur ou occupait une fonction à l’international. Le suppléant peut siéger mais à condition de signer un document lui permettant de le faire. Le jour où le titulaire est débarqué de sa fonction , le suppléant arrête de siéger. Voyant cette disposition, nous sommes repartis vers nos différents partis politiques en pensant que nos titulaires allaient être les premiers à amender cette loi. Mais grande fut notre surprise pendant cette législature d’apprendre que même les députés de Côte d’Ivoire depuis le temps d’Houphouët-Boigny jusqu’à ce jour n’ont pas de statut. C’est dommage mais c’est une réalité. Les députés eux-mêmes n’ont jamais voté une loi pour se donner un statut. Ils ont été toujours ‘‘gérés’’ par décret présidentiel. Ils n’ont pas peut-être voulu donner un statut aux suppléants parce qu’eux-mêmes n’en ont pas. Donc, jusqu’à ce jour, rien n’a été fait.

    Qu’est-ce qui explique que les députés n’aient pas de statut jusqu’à ce jour ?

    La Côte d’Ivoire a connu déjà de nombreuses législaturess et dire que jusqu’à présent les députés eux-mêmes n’ont pas statut, c’est honteux et c’est grave. Mais, il n’est jamais trop tard pour bien faire. Ils ont pris conscience de la chose. Et, je pense qu’il y a des projets de loi qui ont été introduits pour mettre sur la table le statut des députés. Je ne saurai vous dire pourquoi cela n’a pas été encore voté parce que moi-même je ne siège pas. Les titulaires sont donc les seuls à pouvoir répondre à cette interrogation. A notre niveau, nous avons mis l’accent sur la suppléance parce que la loi qui a été portée à notre connaissance, est d’abord vide. Et puis certes, il y a des noms sur le document, mais, il ne comporte aucune signature. Il faut vérifier la véracité de ce document. Lorsque vous prenez les textes, les titulaires et nous, avons déposé à la Cei (Commission électorale indépendante Ndlr) les mêmes documents. Nous sommes allés sous forme de couplé avec nos photos sur les affiches pendant la campagne. Nous avons été exposés à la vindicte populaire, avec tout ce que vous pouvez imaginer. Et dire qu’aujourd’hui, les gens ne savent même pas ce qu’on appelle député suppléant, mais pourquoi, l’avoir institué ? Pourquoi l’avoir accepté ? Ceux mêmes qui ont voté cette loi en 2004 ne l’ont pas appliquée. Pourquoi nous qui n’avions pas participé à ce vote, venons voter une loi pour appliquer cette loi et ne pas reconnaître cette nouvelle appellation. Donc, il y a problème. Nous avons approché tous les présidents d’institutions, tous les groupes parlementaires , la Présidence de la République à travers le secrétaire général de la présidence et le ministre chargé des Affaires présidentielles. Nous avons saisi la Grande Médiature qui a promis d’acheminer nos doléances auprès de qui de droit. Nous avons été également reçus par le chef de cabinet du président de l’Assemblée nationale , par le président du Conseil constitutionnel. Celui-ci nous a signifié qu’il ne pouvait pas se prononcer sur la question étant donné qu’il est le dernier recours. Et qu’il allait saisir le président de l’Assemblée nationale pour voir ce que cela allait donner. Nous avons saisi la grande Chancellerie, le ministre d’État , ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le Premier ministre, les chefs religieux (Cheick Boikary Fofana et Ediémou Jacob). Malheureusement, nous n’avons pas été entendus jusqu’à ce jour. Nous allons à d’autres élections et on ne fait toujours pas cas de la suppléance. Ce que nous les suppléants voulons savoir , c’est de nous dire s’il faut supprimer la suppléance.

    Supprimer la suppléance ?

    L’Assemblée nationale aurait pu prendre la décision de voter une loi pour la suppression de la suppléance si on estime que cela n’apporte rien à la Côte d’Ivoire. Cela allait permettre aux suppléants d’être libres de présenter leurs candidatures. Car il y a un article dans cette loi de 2004 qui dit que vous ne pouvez pas vous présenter contre votre titulaire si vous êtes du même parti et dans la même circonscription. À partir de là , vous voyez que le suppléant qui veut présenter sa candidature ne peut le faire. Lors des échéances passées , 80% des suppléants ont contribué à l’élection de leurs titulaires. Et c’est une réalité. Sociologiquement dans nos circonscriptions , les parents ne font pas de différence entre le député-titulaire et le suppléant. On nous appelle monsieur le député parce que nous avions battu campagne avec les titulaires. Nous avions dit que c’était une nouvelle vision des choses. Les populations voyaient le député comme l’élu qui venait dans sa localité tous les 5 ans. Nous avons donc pensé que la suppléance allait régler le problème parce que les deux ne peuvent siéger en même temps. Il a donc été demandé aux titulaires de siéger. En retour, il fallait donner les moyens au suppléant pour que celui-ci soit sur le terrain pour prendre en compte les préoccupations des populations. Moi, j’ai moins de problèmes. Avec mon titulaire , depuis que nous avions commencé, chaque année après l’année parlementaire , nous faisions une tournée dans tous nos villages pour expliquer l’essentiel des lois qui touchent nos populations , notamment les lois relatives aux chefs traditionnels, à l’excision , à la scolarisation obligatoire etc. Si le suppléant avait les moyens , il pouvait être sur le terrain pour expliquer ces lois. Et les populations allaient sentir la présence du député près de sa base. Et c’est ce que tout le monde n’a malheureusement pas compris. C’est pourquoi, sur les 255 couplés, il n’y a pas plus de 3 qui fonctionnent. Je suis l’un des couplés que beaucoup apprécient. On nous appelle les jumeaux , mon titulaire et moi car, il a de la considération pour moi. Il mène toutes ses activités en m’associant. Aujourd’hui, il y a des titulaires qui ne connaissent même pas le nom de leurs suppléants , qui ne savent pas où ils se trouvent alors qu’ils ont battu campagne ensemble. Comme je l’ai dit sociologiquement , les parents adressent des demandes de parrainage au titulaire et aussi au suppléant sans se souvenir que le suppléant n’a même pas ce titre de député. Lorsque vous vous présentez à un agent de force de l’ordre et vous lui dites que vous êtes députés suppléant , vous n’avez aucun document qui peut le prouver encore moins de badge ni de carte de l’Assemblée nationale. Il n’y a même pas une loi réelle qui dit que vous êtes un député-suppléant , donc un représentant d’une institution aussi importante comme l’Assemblée nationale. Nous sommes bafoués par le peuple. Pas de salaire, pas d’indemnités. Il faut également signaler qu’en Côte d’Ivoire, les députés titulaires eux-mêmes ne sont pas souvent considérés au niveau du protocole. Et sur ça, j’interpelle l’État de Côte d’Ivoire , car en comparaison aux autres pays, le député vient en deuxième position. Si le député ne vote pas une loi, le Président ne peut pas gouverner. C’est ce que les gens doivent retenir. Mais, avec le protocole ivoirien, les députés sont installés à la dernière rangée lors des cérémonies officielles pendant que les directeurs de société et les ministres sont à la première rangée. C’est vraiment désolant, honteux pour une institution aussi importante comme l’Assemblée nationale. Quelque chose doit être fait non seulement pour les titulaires mais aussi, si la suppléance est maintenue, pour les suppléants.

    Cela dit les élections législatives sont prévues pour décembre 2016. Quelles attitudes allez-vous adopter ?

    Les législatives arrivent et le Rdr , mon parti a déjà ouvert les dépôts de candidatures sans faire cas des suppléants. Mes camarades m’ont appelé pour me demander ce qu’on doit faire. J’ai dit à tous ceux qui ont l’intention de se présenter contre leurs titulaires d’aller déposer leurs intentions de candidatures que demain on ne vienne pas nous dire qu’on n’a pas déposé nos dossiers et qu’on veut être candidats. J’ai donc demandé à chacun d’aller déposer ses dossiers. Mais, il y a eu des hésitations parce qu’au niveau de mon parti, le Rdr, il y a un engagement sur l’honneur que vous signez qui dit qu’au cas où vous n’êtes pas retenu comme candidat dans votre circonscription , vous ne vous présentez pas en indépendant contre le candidat du parti. Personnellement notre collectif pense que cette façon de faire est antidémocratique. Cet engagement sur l’honneur n’est ni dans un article , ni dans le code électoral en Côte d’Ivoire. Donc juridiquement parlant, ce document va servir à quoi ? Malgré cela, les suppléants ont trouvé bon de ne même pas déposer leurs intentions de candidature pour éviter d’être coincés par cet engagement sur l’honneur et ils sont prêts à aller en indépendant. Raison pour laquelle en dehors des 1111 demandes de candidatures déposées au niveau du Rdr pour 220 postes , il y a encore près de 60% de personnes qui sont des suppléants , qui n’ont pas encore déposé leurs dossiers. Ceux-ci ont décidé d’aller en indépendant. Vous voyez la perturbation qu’il y aura au niveau du Rdr. Donc nous interpellons encore les responsables du Rdr. Nous leur disons que les suppléants sont encore là et veulent qu’on discute une bonne fois pour toute.

    Vous engagez une rébellion contre votre parti ?

    Ce n’est pas une rébellion , mais nous sommes dans une phase de combat. Nous ne sommes pas un groupe syndical. Nous pouvons déclencher des blocages à l’Assemblée nationale, organiser des meetings au niveau de nos localités pour dénoncer des choses. Mais en tant que président du collectif , j’ai toujours demandé à mes camarades de se calmer, de ne pas user de la violence. Nous sommes tous des députés. Donc avec cette étiquette, nous essayons d’aller vraiment vers la négociation, vers la compréhension. Aucune des Institutions à qui nous avons écrit n’a répondu à nos courriers. On ne peut donc pas parler de rébellion de notre part . S’il y a la rébellion , c’est au niveau de l’État , au niveau de l’Institution à laquelle nous appartenons, l’Assemblée nationale qui n’a même pas traité notre cas. Les responsables du Rhdp ne nous ont même pas reçus un jour pour échanger , pour comprendre en profondeur nos préoccupations quand bien même nous les avons saisis . En 2011, tout le monde avait déposé les dossiers pour être titulaire et non pour être suppléant. C’est à la dernière minute que les négociations avaient commencé et on nous avait laissé entendre qu’il fallait aider le Rhdp à avoir le maximum de députés. Donc, nous avions par amour accepté de renoncer au statut de titulaire parce que des promesses nous avaient été faites. On nous avait dit que des amendements allaient être faits par nos titulaires, que le Président de la République ne pouvait pas signer un décret pour appliquer la suppléance sans qu’il y ait amendement des articles qui sont des interdits. Nous avons accepté de partir. Voir que jusqu’à la date d’aujourd’hui rien n’est encore fait dans ce sens, c’est méchant. Selon les échos qui nous parviennent, c’est par la faute de nos propres titulaires. Ceux-ci se sont opposés à ce qu’on donne un centime aux suppléants parce qu’ils estiment que nous sommes forts sur le terrain puisque c’est nous qui leur avons permis d’être titulaires, et que si quelque chose était fait pour nous , nous représenterions des dangers pour eux dans les échéances à venir. Voilà pourquoi nos titulaires n’ont jamais voulu que nos problèmes trouvent solution. Et ils ont trouvé aussi que les perdiems qui leur étaient versés c’est-à-dire leurs salaires, (indemnités ) n’ étaient pas aussi suffisants ; ils pensaient qu’on allait diviser leurs perdiems et verser une partie aux suppléants. Nous disons non. Qu’une loi soit prise pour verser , même si c’est cinq francs , quelque chose aux suppléants. Certains suppléants ont signé des conventions avec leurs titulaires. Des conventions à travers lesquelles le titulaire a promis au suppléant 200.000 ou 300.000 Fcfa chaque mois. Au niveau de notre collectif, nous avons dit aux suppléants qu’ils n’auraient pas dû signer ces conventions. Celles-ci reposent sur quoi ? C’est un document qui juridiquement ne repose sur rien. Le monsieur va verser les deux premiers mois et après il n’y aura plus rien. Le suppléant ne peut même pas le poursuivre. Donc, il faut prendre des décisions qui puissent être appliquées à tous les 255 suppléants de Côte d’Ivoire.

    Le président de la République envisage pour la nouvelle constitution à venir, de créer un Sénat et une Vice-présidence. Quel est votre avis concernant ce projet ?

    C’est bien beau de parler de Sénat et de Vice-présidence. Mais quelles sont les personnes qui siègeront au Sénat ? Si vous allez prendre des personnes autres que des élus, comment voulez-vous que le pays ne connaisse pas les tensions que nous vivons ces derniers temps. Tout part de là , il y a tellement de frustrations que nous interpellons le chef de l’État. Il a signé un décret mettant en fonction des suppléants. Nous ne demandons pas forcément un salaire, mais la reconnaissance du titre pour que nous puissions aller défendre l’État ou l’institution dans nos localités. Aujourd’hui , quand nous nous présentons comme député-suppléant dans nos localités, on nous demande ce qui le prouve. Je pense que le Sénat n’est pas mauvais, la Vice-présidence non plus, mais qu’on sache qu’il y a des suppléants qui pourront être aux côtés de ceux qui siégeront au sein de ces institutions. On a rémunéré récemment des anciens artistes de Côte d’Ivoire. Ils reçoivent des émoluments alors que les suppléants avaient déjà mis sur la table leurs préoccupations. On a rempli le Conseil économique et social de certaines personnes qui n’ont aucun passé politique dans leurs localités. On aurait dû au pire des cas déverser les suppléants au Conseil économique et social. Pour terminer, je dirai que nous sommes toujours des cobayes, mais il n’est pas encore tard. Il y a encore deux ou trois mois qui restent avant les législatives. La deuxième session de l’Assemblée nationale aura lieu bien avant décembre. Donc, on peut lors de cette session donner un statut avec un bon contenu aux députés suppléants. Si cela n’est pas fait, il sera mieux qu’on supprime la suppléance. Nous avons voulu à l’issue d’une réunion en janvier 2016 rendre nos démissions en bloc. Nous avions été encore approchés dans des coulisses par des personnes qui nous ont dit que nos problèmes seront réglés à la première session. Cette session a pris fin le 26 juillet 2016 et rien n’a été dit sur les députés suppléants. Donc, nos camarades sont libres d’aller déposer leurs dossiers dès que la Cei ouvrira le dépôt de dossiers de candidatures. S’il y a de nouveaux suppléants , qu’ils ne se fassent pas mettre de la poudre aux yeux parce que nous sommes en période électorale. On leur fera les mêmes promesses et même pire que ce qu’ils nous ont fait en 2011. S’ils déposent leurs dossiers pour être suppléant de quelqu’un , qu’ils sachent qu’ils seront frappés avec le même bâton avec lequel on nous frappe actuellement. Donc qu’ils lisent entre les lignes et qu’ils demandent qu’un texte soit mis à leur disposition sur la suppléance avant de s’engager aux côtés de qui que ce soit.

    Interview réalisée par Abdoulaye Touré pour L’intelligent d’Abidjan

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