En août 2013, des bulldozers sont arrivés à Trou-du-Nord, en Haïti, pour confisquer des terres afin d’initier un programme de développement étatique dans la région, à savoir la plantation des bananes biologiques. Les Haïtiens se sont réveillés dans l’horreur, mal préparés aux actes ignobles qui les attendaient.
Ils n’ont même pas eu le temps de récolter leurs légumes, ni de mettre à l’abri le bétail. Les familles ont été chassées de leurs foyers et l’économie locale a été remplacée par des plantations de bananes conformément à la planification centrale. Comment peut-on spolier une partie de la population sans le seul but de stimuler la production économique ?
Les dangers de la planification centrale
La planification centrale vise un objectif de croissance, mais ignore les signaux véhiculés par les prix du marché et porte atteinte aux libertés individuelles. Le gouvernement haïtien a décidé de raser l’économie locale et a mis en place une entreprise agricole, Agritrans SA, pour exploiter des bananes biologiques. Alors même que des paysans étaient installés dans la zone depuis des décennies, l’Etat a autoritairement revendiqué la propriété de ces terres.
« L’homme de la banane »
Le porte-parole de ce projet est l’actuel président haïtien, Jovenel Moïse. Lorsqu’il était PDG d’Agritrans SA, Moïse était surnommé Nèg Bannann nan signifiant «l’homme de la banane». La banane a réussi à Moïse au point de le conduire à la présidence.
Rappelons qu’Agritrans SA, lorsqu’elle était dirigée par Moise, avait reçu 27 millions de dollars d’investissements à partir de 2013, dont 6 millions provenant directement du Fonds de développement industriel (IDF) du gouvernement haïtien. Agritrans et l’IDF sont deux organisations fantômes au service de l’Etat. Le seul objectif d’Agritrans est de superviser les plantations de bananes, et l’IDF est tombé dans l’oubli, en omettant d’exiger les rapports sur le rendement alors même que c’était le bailleur.
Un cimetière de bananes
Les de 1000 hectares spoliés par Agritrans pour les bananes sont désormais un cimetière de bananes patrouillé par des gardes armés. Ainsi vont les projet de l’Etat. Au début, la production de bananes semblait être sur la bonne voie et Haïti devait exporter 45 000 tonnes de bananes par semaine en Europe. Il n’y a eu aucune exportation de bananes depuis le 6 juillet 2016. Une partie des bénéfices est réservée à une coopérative paysanne locale créée au profit des agriculteurs déplacés, mais il n’y a pas eu de bénéfices puisqu’il n’y a pas eu de ventes de bananes. Le gouvernement haïtien a échoué et la terre est actuellement en friche.
Impact négatif sur les prix
Tout ça pour ça ! Des populations ont vu leur vie s’effondrer et leurs droits bafoués pour rien. Jennifer Vansteenkiste, doctorante à l’Université de Guelph, a interrogé 79 des quelques 800 victimes du projet bananier. Les résultats révèlent un impact désastreux sur l’économie locale. Des maisons ont été rasées au bulldozer, des fermes ont été détruites et le bétail a été effrayé par les machines. Le bétail qui restait a été abattu, vendu, ou est mort de faim sans terre pour paître. Les éleveurs n’ont récupéré qu’une fraction de leurs investissements. L’abattage brutal du bétail a inondé les marchés locaux de bœuf, ce qui a fait baisser temporairement les prix. Après cette période d’excès, le manque de bêtes a conduit à une plus grande dépendance vis-à-vis du bœuf importé.
Les vaches qui produisaient régulièrement 8 à 10 gallons de lait par jour ne donnaient plus que 2 gallons par jour, stressées sans terre à brouter. Par conséquent, les prix du lait local ont augmenté de 20%. Le manque d’approvisionnement et la hausse des prix ont entraîné une baisse de 63% de la consommation de lait chez les habitants. Les producteurs laitiers locaux ont vu leurs revenus passer de 1 393 $ à 319 $. Perdre des terres, une maison, et plus de 1000 $ est un coup fatal pour une famille dans un pays aussi pauvre que Haïti.
Haïti a besoin de liberté économique
Les bananes sont nutritives, précieuses et délicieuses, mais la planification de leur production à l’échelle centrale ne sortira pas Haïti de la pauvreté. Si les bananes sont rentables pour l’exportation, c’est à des entreprises privées comme Dole, Del Monte et Chiquita de développer leur propre production. L’investissement de l’Etat haïtien a d’ailleurs été un signe dissuasif pour un potentiel investisseur privé.
Selon Institut canadien Fraser, les quatre piliers de la liberté économique sont: (1) choix personnel, (2) échange volontaire, (3) liberté sur les marchés, et (4) protection des personnes et de leurs biens. Le programme planifié a violé tous ces critères et a lamentablement échoué. L’index de la liberté économique le plus récent de l’Institut Fraser classe Haïti dans les plus mauvais au monde pour le système juridique et les droits de propriété. La Fondation Heritage quant à elle classe également Haïti parmi les pays les plus répressifs en termes de liberté économique. L’expropriation est le problème central à Haïti et notons que dans le cas de Trou-du-Nord ce n’est qu’après les vives et longues protestations que les populations concernées ont pu obtenir entre 40 et 700 dollars d’indemnités. Une misère.
L’expropriation est légale en vertu de la Constitution haïtienne de 1987, mais la légalité n’exclut pas le respect de la moralité ou la recherche de l’efficacité. La non protection des droits de propriété entraine inéluctablement une stagnation chronique de l’économie. Sans liberté économique, les Haïtiens sont condamnés à vivre au jour le jour sans projet d’investissements à long terme.
Ainsi, le gouvernement haïtien devrait respecter le droit de propriété de ses citoyens, et s’abstenir de violer les droits humains fondamentaux. Les connaissances et compétences locales ; de bonnes institutions ; et l’entrepreneuriat individuel, stimuleront à eux seuls le développement. L’autoritarisme étatique est une vision à très court terme. L’Etat n’a pas vocation à s’immiscer dans la sphère économique, ce n’est pas sa mission et ses résultats sont en plus catastrophiques. Arrêtons les dégâts !
Michael Kastner, économiste au Johnson Center for Political Economy (Troy).
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.