L’ex-première dame de Côte d’Ivoire Simone Ehivet Gbagbo, poursuivie pour «crimes contre l’humanité et crimes de guerre», a été déclarée «non coupable», mardi 28 mars 2017, par la Cour d’assises d’Abidjan-Plateau qui a ordonné qu’elle « soit mise en liberté» au terme d’une délibération qui a duré près de sept heures d’horloge.
«La justice a été rendue. Je voudrais vous rappeler que c’est un jury populaire. C’est leurs sentiments et leurs émotions qui ont prévalu. Ils ont peut être voulu donner un signal fort aux politiques pour la réconciliation nationale», a estimé le Procureur général, Aly Yéo après le verdict.
Un verdict qui intervient alors que le procès conjoint de l’ex président Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé accusés pour les mêmes faits (crime contre l’humanité et crime de guerre) et pour la même période (crise postélectorale de décembre 2010 à avril 2011), suit son cours normal à la CPI.
[ Le procès avait été ouvert en Côte d’Ivoire le 31 mai 2016 ]
Simone Gbagbo, malgré cette décision dans la suite des allégations, continue de purger une peine de 20 ans depuis 2015 pour atteinte à la sûreté de l’État fois-ci.
[ Une décision courageuse des autorités ivoiriennes ]
Dans le cadre de sa poursuite des présumés auteurs et coauteurs des crimes contre l’humanité et crime de guerre perpétrés en Côte d’Ivoire dans la période postélectorale, le bureau du procureur de la CPI avait délivré un mandat d’arrêt sous scellés à l’encontre de Simone Gbagbo le 29 février 2012.
Les scellés ont été levés le 22 novembre 2012 aux fins de son transfèrement à la Haye. Mais depuis, les autorités ivoiriennes ont refusé de coopérer. S’en suivra un feuilleton politico juridique entre la CPI et la Côte d’Ivoire sur la question de l’irrecevabilité de cette affaire par la cour pénale internationale, dès lors qu’une enquête nationale fut ouverte pour les mêmes crimes.
Par une décision rendue le 11 décembre 2014, la Chambre préliminaire I de la CPI rejetait les arguments en irrecevabilité de l’affaire Simone Gbagbo contre le Procureur, présentés par la Côte d’Ivoire. Elle fera appel de cette décision une semaine plus tard (17 décembre 2014). Mais dans son arrêt rendu le 27 mai 2015, la Chambre d’appel confirmait la décision attaquée. Selon le juge président, PIOTR HOFMANSKI, la chambre préliminaire a relevé que les interrogatoires de Simone Gbagbo ont été menés par la justice ivoirienne en septembre et octobre 2014, bien après que la chambre préliminaire eut rendu la décision du 28 août 2014, qui autorisait la Côte d’Ivoire à présenter des éléments de preuves supplémentaires à l’appui de l’Exception d’irrecevabilité de cette affaire.
Finalement c’est dans cette attente d’exécution du mandat d’arrêt de la CPI que la justice ivoirienne va entamer le procès de Simone Gbagbo devant la cour d’Assises le 31 mai 2016.
On le sait, la Côte d’Ivoire est un État partie aux statuts de Rome. Mieux, elle a signé un accord de coopération avec la cour pénale internationale (CPI) pour le transfèrement de ses ressortissants poursuivis par la CPI.
Alors que les nouvelles autorités n’ont pas trouvé d’objection à transférer Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé à la Haye, elles refusent de remettre Simone Gbagbo et malgré l’instance des juges de la CPI. Au plus fort de la polémique avec la CPI , le chef de l’État ivoirien avait même dit que plus jamais aucun ivoirien n’irait à la CPI.
Ce verdict qui blanchit l’ex Première dame de Côte d’Ivoire, en plus du geste humanitaire est considéré comme un signal fort pour la réconciliation en Côte d’Ivoire, peut aussi être interprété comme une défiance de la justice internationale , s’il ne fait pas ici un passage en force pour la validation de l’Exception d’irrecevabilité longtemps disputée avec la Chambre préliminaire de la CPI dans le dossier de Simone Gbagbo.
Car selon le principe de complémentarité, les affaires qui ont été déjà jugées, qui ont fait ou qui font l’objet d’une procédure devant une juridiction nationale seront déclarées irrecevables devant la CPI. C’est en substance ce qui est affirmé à l’article 17 §1 su Statut de la CPI.
Aussi, maintenant que Simone Gbagbo est jugée en Côte d’Ivoire, quelles sont les marges de manœuvre de la CPI pour casser cette décision et obliger la Côte d’Ivoire à respecter ses obligations en matière de coopération ?
Enfin, au nom de la paix et de la réconciliation comme semble prêcher ce jury populaire ivoirien, les juges de la CPI voudront-ils tenir compte de la décision de la cour d’Assises d’Abidjan (jurisprudence) pour déclarer à leur tour le couple Laurent Gbagbo-Blé Goudé « non coupable » ?
Affaire à suivre.
Philippe Kouhon pour Afrikipresse à Paris