Au Sénégal, Moustapha Diakhaté, n’est pas n’importe qui. Proche du président sénégalais Macky Sall, il est également le président du groupe parlementaire de la majorité présidentiel, Benno Bokk Yakkar (Traduisez : ‘’Ensemble, pour l’espoir’’, en Wolof) à l’Assemblée nationale.
Cet homme connu pour son franc-parler révèle que le XVème sommet de la francophonie qui se tiendra les 29 et 30 novembre 2014, à Dakar, au Sénégal, sera la tribune idéale pour dire que “nous en avons assez avec le Francs CFA”; ajoutant : “nous devons désormais avoir avec la France, des relations dépourvues de toutes connotations coloniales ou néocoloniales’’. Interview choc à lire!
Que pensez-vous du XVème sommet de la francophonie qui aura lieu du 29 au 30 novembre 2014, ici à Dakar ?
Je crois que ce sommet est une triple consécration. Je ne vous apprends rien en vous disant que feu le président Léopold Senghor est l’un des principaux initiateurs de ce sommet. Si l’organisation est là où elle est aujourd’hui, c’est dû en grande partie grâce à sa pugnacité et sa grande contribution. Et tenir ce sommet à Dakar, c’est une forme de consécration pour Léopold Sédar Senghor, et je crois qu’on ne peut pas lui rendre meilleur hommage que ce qui sera fait. Et l’autre consécration, c’est le président Abdoul Diouf qui a été le président du Sénégal et qui dirige l’Organisation internationale de la francophonie (Oif) depuis une décennie. Il a hissé l’OIF à un niveau jamais atteint . Et il va tirer sa révérence en tant que Secrétaire générale de l’organisation en tenant ce sommet chez lui. Ceci est bien un grand hommage qui lui sera rendu par le président de la république, et le peuple sénégalais. L’autre consécration, c’est l’émergence diplomatique du Sénégal. Quand bien même que nous avons été un petit pays pauvre, nous avons toujours été un géant diplomatique et avec ce Sommet, le président Macky Sall vient une fois encore de confirmer le statut que le Sénégal a au niveau diplomatique. Ce sont les trois choses que je voulais vraiment relever. Une tout autre chose à relever, c’est un souhait que je voudrais formuler. En effet, je souhaite que ce sommet soit un nouveau départ entre les pays membres de la francophonie et la France.
A quoi doivent s’attendre les invités du Sénégal qui sont selon les organisateurs estimés à plus de 3000 mille personnes , avec des chefs d’Etat et de gouvernement qui feront le déplacement ?
Ils doivent s’attendre à ce que nous relevions le défi de l’organisation, qu’il n’y ait pas de couac, qu’ils soient accueillis dans de bonnes conditions et qu’ils passent un excellent séjour ici au Sénégal. Que les travaux qui vont sanctionner ce sommet là soient le signe d’un nouveau départ entre tous les acteurs de la francophonie, y compris la France. Ce qu’on doit encore attendre de nous, c’est le défi de la mobilisation. Chaque Sénégalais, où qu’il soit, se mobilise pour montrer à la face du monde que nous sommes en phase avec notre président de la République et que nous sommes également en phase avec tous les pays qui effectueront le déplacement sur notre sol.
Sur le même sujet, nous avons interrogé votre collègue de l’opposition, Modou Diagne Fada, le président du groupe parlementaire PDS ainsi que Mamadou Mbodj, le coordonateur national du M23. Le premier a avancé que la langue française était en plein recul dans le monde, contrairement à l’anglais, tandis que le second estime que cette tribune pour célébrer le français est une forme de néo-colonialisme. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que la langue française est certes en perte de vitesse au plan international mais il ne faut toutefois pas oublier que la France étant la 4ème ou la 5ème puissance du monde, le français demeure aussi l’une des langues les plus parlées à travers le monde et aussi les plus utilisées dans les échanges internationaux. C’est aussi, il ne faut pas l’oublier non plus, une langue très utilisée par les pays naguère colonisés par la France…
Face au français très présent dans nos états, quelle politique interne pouvons-nous mettre en place de sorte que nos langues nationales ne meurent pas ?
Justement, c’est là que je voulais en venir. Parce qu’au-delà de protéger ou de développer le français, nous, peuples africains devons rompre avec cette situation qui m’a vraiment l’air incongrue car nous sommes les seuls pays au monde où nos langues officielles sont des langues étrangères, notamment des langues de colonies: que ce soit le le français, l’anglais ou l’espagnol, ou encore, le portugais. Je crois que nous devons faire un effort sur nous-mêmes pour développer nos propres langues, et toutes nos langues parce que de mon point de vue, toutes les langues se valent parce qu’elles véhiculent une civilisation. Il n’y a pas de langue supérieure, ni de langue inférieure à l’autre. Comme la France qui a tout fait pour développer le français, nous devons nous battre dans nos pays respectifs afin de développer nos langues.
“IL FAUT QUE NOS CHEFS D’ÉTATS SOIENT CAPABLES DE DIRE ÇA SUFFIT AVEC LE FRANCS CFA”
D’autre aspect que je voulais signaler, est que nous avons des relations avec la France qui frisent même le néocolonialisme. De mon point de vue, tous les pays membres de l’Uemoa (Union économique et monétaire ouest-africaine est une organisation ouest-africaine) doivent faire des efforts pour rompre le lien avec le Trésor français. D’ailleurs cette question sera à l’ordre du jour au niveau de la Cedeao et elle sera réglée mais déjà, je pense que nous devons rompre avec le lien qui nous lie au Trésor français et même l’Euro
Vous pointez du doit cette problématique maintes fois soulevée des intellectuels et des économistes africains mais restée en suspend. Pensez-vous aujourd’hui que nos chefs d’Etats ont-ils le courage de franchir le cap, de façon officielle ?
Ils doivent être capables de le faire. Nos chefs d’Etat doivent être capables de dire : ‘’ça suffit au Francs Cfa’’, parce qu’il ne faut pas l’oublier qu’aujourd’hui dans les Etats de l’Uemoa ce n’est plus la France qui choisit les présidents de la République car la plus part d’entre eux ont opté pour la démocratie. Il faut désormais rompre avec ces choses. 54 ans après les indépendances, il faut parachever le processus de décolonisation parce que nous avons des relations avec la France qui frisent même la soumission. Vous savez que la monnaie est un élément efficace pour un Etat, et si nous n’avons aucun contrôle sur elle, ça devient dangereux pour la survie même de nos Etats. Voyez-vous, lorsque la France veut dévaluer ou réévaluer le francs Cfa, elle prend des décisions unilatérales, sans consulter personne. Ce sont donc des relations qu’il faut rompre. D’ailleurs, ce sommet là sera une tribune où tous ces dossiers seront mis sur la table, sans tabou. A cet effet, je vous signale que lorsque le président français était venu au Sénégal, il avait évoqué ce problème du franc Cfa devant les députés à l’Assemblée nationale et malheureusement, les chefs d’Etats n’ont pas pu saisir la balle au bond. Mais comme je l’ai dit, au cours de ce sommet, cette question-là doit être débattue afin que nous ayons des relations avec la France dépourvue de toutes connotations coloniales ou néocoloniales
Président, pour un tout autre sujet, il est constaté que le PSE (Projet Sénégal émergent) si cher au président Macky Sall est vu différemment par une bonne partie des populations ?
Et pourtant à travers ce projet, il s’agit de réparer le Sénégal. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie tout simplement qu’après 54 ans d’indépendance, le Sénégal reste un Pays pauvre très endetté (PPTE). Les fractures sociales et économiques sont énormes. Nous voulons donc tout mettre en œuvre afin que notre pays rebondisse du bon pied. Que les fractures sociales, les fractures économiques, les injustices, la politique de scolarisation, l’accès à l’eau potable etc. soient réparés. Que le fossé qui nous sépare des pays émergent soit considérablement réduit. L’autres aspect du projet est de donner des atouts à notre pays de pouvoir décoller comme l’ont fait, la Tunisie, la Corée du Sud, etc. qui avaient le même niveau de développement que nous, en 1960. Aujourd’hui, je pense que le président de la République a donné le cap et il a donné les outils pour y arriver.
Mais pour que le projet prenne forme dans sa globalité, il faut attendre jusqu’en 2035. N’est-ce pas trop long ?
Non, pas du tout. C’est peut être long pour la vie d’un homme mais pas pour la vie d’une nation. Mais ce n’est pas en 2035, puisque les premiers coups de pioche du projet débuteront au plus tard en 2018. Les fondations du Sénégal émergent seront mises en terre au cours de cette année-là.
Mais les travaux du ‘’Projet Sénégal émergent’’ prendront fin en quelle année ?
C’est en 2035 car, c’est au cours de cette année-là que le Sénégal devra être un pays émergent, c’est d’ailleurs ce qu’a dit le président dans son rapport. Mais nous essayerons de tout faire afin de rapprocher cette date pour faire entrer notre pays dans le cercle des pays émergents le plus tôt possible et vous y parvenir, nous travaillons avec beaucoup de sérieux et surtout, beaucoup d’abnégation. Avec la bonne gouvernance et la mobilisation du peuple sénégalais, et dans la paix, je crois que nous pouvons attendre ces objectifs.
Même si elle n’a pas révélé le montant, l’opposition indique toutefois que le Cabinet requis pour la conception du PSE a facturé très cher, l’Etat sénégalais, et par ricochet, le contribuable sénégalais ?
Je ne sais pas à quoi elle fait allusion. Le président a ciblé un certain nombre d’actions qui va permettre à notre pays de décoller et je crois que c’est le plus important. (…) Et je pense que lorsqu’on dépense dans l’espoir d’avoir un résultat meilleur dans l’avenir, c’est le plus important.
“CETTE AFFAIRE DE MENDICITÉ DES ENFANTS EST COMME DES BALAFRES SUR LE VISAGE DU SÉNÉGAL”
L’opposition dit ne pas être associée à la mise en forme du Projet pour lequel, estime-t-elle toutes les couches sociopolitiques devraient être appelées et surtout s’accorder compte tenu de sa durée….
Le président Maky Sall lorsqu’il est arrivé au pouvoir, avait un projet de gouvernement qu’on appelle ‘’Yonou Yokuté’’ et il y eu des propositions de la société civile.(…) Et puis, le ministre de l’Economie et des Finances a rencontré tous les groupes parlementaires de l’Assemblée nationale auxquels il a expliqué le bien fondé de ce projet et même à la rencontre de Paris, l’opposition y était, elle ne peut donc pas dire qu’elle n’a pas été associée. Et puis le problème n’est pas là, c’est le président Macky Sall qui a été élu et qui mène sa politique en conformité avec le pacte qu’il a signé avec le peuple.
Pour les prochaines élections présidentielles prévues en 2017, pensez-vous que l’Alliance qui a porté Macky Sall au pouvoir tient toujours la route ?
Ecoutez, pour le moment, nous articulons la coalition Benno ‘’Bokk Yakkar’’, jusqu’aux élections de 2017. Cette coalition a été mise en place pour faire élire le président Macky Sall. Aujourd’hui, sa nouvelle mission est de l’accompagner dans l’exercice du pouvoir afin qu’il respecte les engagements qu’il avait pris vis-à-vis du peuple sénégalais. Maintenant d’ici 2017, on fera avec ceux qui voudraient encore le soutenir au cas où il voudra être candidat mais je pense que cela n’empêchera pas ceux qui veulent faire cavalier seul de le faire…
Dans son programme de campagne, le candidat Macky Sall avait promis de mettre fin à la lutte contre la vie chère. Ce qui apparemment n’est pas le cas puisque malgré quelques petites avancées, la vie est toujours chère, aussi bien à Dakar que dans tout le reste du pays ?
Oui, la vie est chère mais elle aurait pu être plus chère si Macky Sall n’était pas arrivé au pouvoir. A preuve, lorsqu’il a pris les rênes du pays, il a baissé le prix de certaines denrées de première nécessité, il a baissé le prix des loyers, ce qui augmente le pouvoir d’achat des Sénégalais, il a baissé la fiscalité sur les salaires, c’est aussi une façon d’augmenter le pouvoir d’achat des travailleurs, il a bloqué les prix du carburant, de l’eau et de l’électricité, c’est aussi une manière d’augmenter le pouvoir d’achat des Sénégalais. S’il n’était pas là, certainement que la vie serait beaucoup plus chère. Mais, je crois que des efforts restent encore à faire pour que ça le soit davantage. D’ailleurs, d’ici 2017, des efforts supplémentaires devraient être faits pour encore baisser le prix de l’électricité parce que les efforts sont en train d’être fait pour augmenter la production de l’énergie du Sénégal, ce qui nous permettra de faire baiser le prix. Pour ce qui est du riz, nous ferons l’effort pour être autosuffisants d’ici 2017 et certainement le prix du riz va encore baisser pace qu’il nous appartiendra nous-mêmes de contrôler le prix du riz qui est une denrée très prisée au Sénégal. Donc, la vie est chère mais des efforts ont été faits et sont encore en train de l’être pour améliorer les conditions de vie des Sénégalais.
Au Sénégal, le pouvoir parle de plus en plus ‘’d’émergence’’ ce qui est en soit, une très bonne chose. Mais peut-on prétendre réaliser un tel projet alors qu’on est incapable de sortir de la rue de Dakar, près de 4 mille enfants appelés les ‘’Talibés’’, dont certains ont moins de 5 ans et qui ont comme activité principale la mendicité ? Ce qui est d’ailleurs un contraste par rapport au thème « Femmes et Jeunes en Francophonie : vecteurs de paix, acteurs de développement » choisi par le gouvernement sénégalais dans le cadre du XVe sommet de la francophonie qui aura lieu ici, à Dakar.
J’allais même vous dire que cette affaire de mendicité des enfants est comme des balafres sur le visage du Sénégal. C’est inadmissible que des enfants viennent sur la voie publique pour mendier. Au Sénégal, nous avons une disposition législative qui interdit la mendicité des enfants….
Mais elle n’est pas appliquée ?
Oui, elle n’est pas appliquée. Malheureusement ! Je crois que c’est inadmissible et je pense que toutes les dispositions doivent être prises pour mettre fin à ce fléau, pour que l’enfant ne soit pas dans la rue pour mendier. Cette situation n’est ni plus ni moins que de l’infanticide. Et un peuple qui veut être debout, un peuple qui veut être émergent ne doit pas laisser ses enfants à la mendicité. C’est fouler aux pieds la dignité humaine.
Interview réalisée par Claude DASSE