La Banque centrale marocaine (Bank-al-Maghrib), a annoncé le 3 janvier dernier avoir accordé des agréments à cinq banques islamiques dites participatives. Trois autres établissements conventionnels seront également autorisés à ouvrir des « guichets participatifs ». Pour rappel ce n’est pas la première fois que le Maroc tente l’expérience, puisque déjà en 2007, les produits de la finance islamique ont été lancés, mais ça avait été un fiasco. Dix ans après, plusieurs incertitudes subsistent quant aux chances de sa réussite.
D’abord, il y a la question du coût des produits participatifs dont certains seraient vraisemblablement plus chers que les produits conventionnels. Pourquoi? Eh bien en raison de la nature même de certains produits tels que la « mourabaha » où la banque, au lieu de prêter de l’argent moyennant intérêt, achète le bien pour le revendre à son client avec une marge bénéficiaire fixée à l’avance. L’achat par la banque donne lieu à des frais d’acquisition répercutés dans le prix de vente, et la revente par la Banque donne lieu aussi à des frais de transfert de propriété, le tout est supporté au final par le client. Le prix se trouve majoré aussi par la multiplication des marges des intermédiaires générées par le double contrat. Certes, et tirant la leçon de l’expérience de 2007, le problème du double payement de la TVA a été réglé. Toutefois, celui de la conservation foncière ne l’est pas encore. Ainsi, dans le cas de l’acquisition d’un bien immeuble, vous payerez deux fois les 1%. Cela s’ajoute aux frais habituels, notamment les honoraires des notaires, la taxe notariale, les droits d’enregistrement, les timbres, les frais d’assurance, frais du dossier, ce qui renchérit ainsi les traites à payer par le client.
A côté de ces frais supplémentaires induits par la nature des produits participatifs, ceux-ci seront également chers, lors de leur lancement, en raison des coûts des ressources et des frais fixes qui, pour être amortis, ont besoin d’un grand volume de transactions, donc de clients. Ici, et si rien ne change, il existe le risque que les banques participatives entrent dans un véritable cercle vicieux : avec peu de clients au démarrage en raison des tarifs plus chers, ils ne pourront pas attirer de nouveaux clients, et s’ils n’y a pas de nouveaux clients ils ne pourront amortir leurs charges fixes, donc elles resteront plus chères, donc moins de part de marché, et ainsi de suite. L’expérience de 2007 comme celles de pays comme la Tunisie et l’Algérie sont là pour en témoigner.
D’aucuns diront que certains Marocains seront prêts à payer plus cher pour respecter leurs convictions. Peut-être, mais ils ne seront pas foule. Selon une récente enquête réalisée par Reuters, l’Institut islamique de recherche et de formation rattaché à la Banque islamique de développement (BID) et le cabinet conseil Zawya, ils étaient 98% à dire être intéressés par les produits participatifs ; mais ce taux a été divisé par deux quand ils ont su que lesdits produits seront plus chers. Cela implique que dans un premier temps au moins, les produits participatifs, en l’occurrence la mourabaha, seront inaccessibles pour une grande partie de la population. Dès lors, on pourrait se demander si les produits participatifs, qui feront payer aux futurs clients des traites supérieures à celles impliquées par des taux d’intérêts, respecteront toujours au fond l’esprit de l’Islam. Rappelons que l’interdiction de l’usure et certaines formes d’intérêt sont dictées par le souci de prévenir l’alourdissement de la charge subie par l’emprunteur. Or, avec un prêt sans intérêt plus cher qu’un prêt avec intérêt, on s’écarte de cet esprit originel.
Ensuite, n’oublions pas que les banques participatives vont calculer leur marge bénéficiaire en tenant compte du risque de défaillance de leurs clients, surtout dans le cas d’un environnement juridique qui ne protège pas vraiment les créanciers. Ainsi, l’intégration de la prime de risque ne fera que renchérir davantage la traite mensuelle à payer. La fenêtre d’espoir qui existerait serait la concurrence qui forcerait les banques participatives à réduire leurs marges. Seulement, son intensité sera, du moins dans un premier temps, limitée car la nouvelle loi organisant les agréments accordés aux banques participatives a instauré la règle du 49/51 pour créer des filiales pour les banques marocaines sous forme de joint-ventures. Celle-ci signifie que tout investisseur étranger désirant créer une banque participative, doit s’associer à un partenaire marocain qui devrait être l’actionnaire majoritaire. Cette règle est clairement défavorable à la concurrence dans le secteur car, d’une part, ça dissuade pas mal de banques d’entrer car non intéressées par la position d’actionnaire minoritaire, et d’autre part, ça donne aux banques existantes un pouvoir supplémentaire pour contrôler le marché.
Les critiques que je viens de dresser ne traduisent en aucun cas mon refus ou mon rejet de la finance islamique, mais plutôt mes réserves quant à la manière dont elle sera appliquée au Maroc. Dès lors, la réussite de la finance participative ne sera possible que par la suppression du risque et des coût artificiels imposés aux transactions des banques participatives via l’adaptation du cadre réglementaire et fiscal, d’une part, et par l’ouverture du marché à plus de concurrence en libérant les banques participatives des mains des banques classiques, d’autre part. Sans oublier bien sûr la mise à niveau des ressources humaines et une communication efficace.
C’est à ces conditions que l’on peut espérer que les produits participatifs soient conformes à l’esprit de l’Islam et rendent service aussi bien aux ménages qu’aux entreprises. Faute de quoi, les produits participatifs seront plus onéreux, ce qui pénalisera leur commercialisation, car il n’est pas sûr que beaucoup de Marocains accepteraient de payer plus cher pour leur foi.
Hicham El Moussaoui, Maitre de conférences en économie à l’université Sultan Moulay Slimane (Maroc).
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.