L’appel des partisans radicaux de Laurent Gbagbo au boycott de la présidentielle du 25 octobre 2015 en Côte d’Ivoire a la mérite d’être clair, et d’être sans ambiguïté.
Cet appel met fin aux calculs et aux ambitions de ceux qui, n’ayant pris en compte l’ampleur du ressentiment de ces fidèles de Laurent Gbagbo contre Alassane Ouattara et contre sa vision de la Côte d’Ivoire , ont cru que leur réveil tardif et naissant à l’opposition pouvait faire changer de stratégie à ces radicaux du Front populaire ivoirien.
Ceux-là doivent à présent constater leur échec et avouer qu’ils ne connaissent vraiment pas le Fpi. Mais dans l’affaire, Kkb peut tirer son épingle du jeu, puisque lui il est plus pro-Blé Goudé que “Gbagbo ou rien”.
Or, il se trouve que dans la crise au Fpi et dans l’option actuelle des radicaux pro-Gbagbo, Blé Goudé, tout co-détenu de Laurent Gbagbo qu’il est, refuse les postures extrémistes qui ont conduit à la crise , sans nullement remettre en cause ses convictions et son engagement.
C’est justement pour éviter de subir le maximalisme de ce Fpi radical, et illégal selon la justice ivoirienne, ainsi que le reniement du soutien du Pdci-Rda à Alassane Ouattara, qu’Henri Konan Bédié a lancé l’appel de Daoukro.
L’appel de Daoukro, ou le refus de flirter avec les thèses ivoiritaires
Sans cet Appel, le Pdci-Rda n’aurait pas eu d’autre choix en s’opposant à Ouattara, que de flirter avec les thèses ivoiritaires et avec l’idéologie légitimiste et souverainistes des “Gbagbo ou rien”.
Comment pouvait-on encore rêver de voir Bédié et le Pdci en entier refaire en 2015 ce même combat mené de 1993 au coup d’État de 1999 contre Ouattara, alors qu’il y a eu 2010 et alors que le prix pour une alliance avec le Fpi est celui du reniement et de la remise en cause des récents engagements pour la reconstruction du pays?
Les irréductibles du Pdci passés à la Refondation en l’absence du “Commandante” en prison, devaient pourtant comprendre que si ces hommes se sont séparés de Mamadou Koulibaly et d’Affi N’Guessan, s’ils les ont brûlés et les ont voués aux gémonies, alors qu’ils ont subi comme eux la prison ou les conséquences de la défaite d’Avril 2011, ce n’était point pour se livrer presque cadeau à Banny, ou à Kkb.
L’enjeu était clair dès le départ : que le Fpi illégal change Banny et le convertisse à sa vision , ou plutôt que Banny calme les ardeurs de ce Fpi et illégal radical pour l’amener à prendre sa part dans le processus de sortie de crise pour obtenir l’alternance malgré les réserves légitimes et les positions de principes qu’il peut y avoir.
On peut vouloir positiver comme Laurent Akoun l’avait fait, estimer qu’il n’y a pas de cacophonie et que tout va bien entre les membres de la Coalition nationale pour le changement!
On peut aussi croire qu’il s’agit d’une stratégie concertée bénéficiant du soutien bienveillant mais silencieux de Charles Konan Banny dans son combat pour obtenir une discussion directe avec le Président Ouattara, sans pouvoir lui-même endosser et assumer ce discours de rupture du Fpi.
Banny n’a jamais été un homme de la rupture
Mais le mal est fait : le profil d’homme de consensus et de rassemblement, de celui qui avait été chargé de réconcilier par deux fois les Ivoiriens ( sous Gbagbo et sous Ouattara) est brisé sans qu’il soit encore clair que sa peine sera récompensée par une troisième opportunité de réconcilier le peuple, à travers l’accession au pouvoir suprême ivoirien.
En vérité Charles Konan Banny n’a jamais été un homme de la rupture, un homme des excès et de la radicalité.
Né dans la maison Houphouët et ayant grandi dans le Pdci-Rda, l’homme a pourtant fini par prendre des accents presque guerriers, et par tenir des discours virulents en vue de donner des gages au Fpi illégal.
Il avait certes prévenu qu’il n’est pas un imbécile et qu’il peut avoir changé aujourd’hui même s’il fut un soutien actif pour Alassane Ouattara lors du deuxième tour de la présidentielle de 2010.
Toutefois l’idée que Charles Konan Banny puisse être en phase avec une logique et une stratégie pouvant déboucher sur l’affrontement et la violence en l’absence de sage et d’homme de conciliation dans le pays, n’est pas faite pour rassurer au Pdci-Rda, au Rdr encore moins dans le rang des indécis, et même des frustrés du camp Ouattara qui voulaient un combat loyal et franc entre lui et le Chef de l’Etat sortant.
La logique de rupture des radicaux du Fpi est un échec pour Charles Konan Banny dont des partisans sont prêts à oublier, au-delà de l’alliance circonstancielle avec les pro-Gbagbo, qu’ils sont des enfants d’Houphouët-Boigny, des enfants du Pdci-Rda avec des obligations et des devoirs.
Ils oublient également que le révisionnisme et le reniement au sujet de leur engagement de 2010 en faveur du candidat Ouattara, est bien ce qui fournit le levain de la contestation : en laissant entendre que le vote ne fut pas équitable et que le Rhdp n’a pas battu à la régulière Laurent Gbagbo, des soutiens de Banny ont participé avec une «insoutenable légèreté» à la radicalisation des « Gbagbo ou rien », à qui ils n’ont pas pu dire le même discours de vérité tenté en vain par Mamadou Koulibaly et Affi N’Guessan.
C’est bien le refus par Mamadou Koulibaly et Affi N’Guessan de tenir cette posture radicale et maximaliste permanente de refus, et du NON à tout, aussi bien maintenant que lors de la crise postélectorale , qui est à la base de la rupture.
À présent la question qui va se poser est : le fait de vouloir s’opposer à la tenue du scrutin présidentiel du 25 octobre 2015 (un rendez-vous légal et constitutionnel) peut-il être considéré comme une action légale et constitutionnelle pouvant se réaliser dans un cadre légal, par « tous les moyens légaux», selon l’appel des pro-Gbagbo radicaux.
Les partisans de l’aile dure du Fpi ne laissent pas la place au compromis.
Quel est le compromis possible : la libération de Gbagbo pour qu’il soit candidat? Une transition d’un an ou deux ans ? Une élection sans Ouattara, ni Gbagbo, ni Bédié, ni même Banny et tous les acteurs de la crise? Un soulèvement populaire? Un coup d’État ?…. Bien malin qui saurait dire…..
Il est clair et si évident qu’Alassane Ouattara n’a pas assez fait , ni tout fait pour la réconciliation, mais en la matière tout observateur ayant suivi le Fpi de près , ainsi que les ravages au sein de la famille politique de Laurent Gbagbo de cette posture de « Gbagbo ou rien» , ne peut que déplorer que les ex-dignitaires du pays n’aient jamais voulu jouer franchement, loyalement et pleinement leur partition.
Ils n’ont laissé aucun état de grâce à Alassane Ouattara, tentant au cours des 5 dernières années de perturber par les moyens légaux et même illégaux, le processus de reconstruction du pays, ainsi que le processus de réconciliation nationale.
Que n’ont-ils pas dit par exemple de la Cdvr, et de Banny lui-même hier ; de l’entrée de Séry Bailly et de Didier Drogba dans les instances de la réconciliation ? Ne se réjouissaient-ils pas des défaites des Éléphants ?
L’appel au boycott de la présidentielle du 25 octobre 2015 est la conséquence logique de toute cette posture de radicalité et de refus de coopérer, de ce chantage permanent…
Maintenant, deux Côte d’Ivoire vont s’affronter clairement : la Côte d’Ivoire qui veut les élections à la date requise et la Côte d’Ivoire qui milite pour le report avec en filigrane le rejet absolu et radical de Ouattara, soupçonné toujours d’illégitimité, victime du procès en d’extranéïté et en inéligibilité, que continue de lui faire les adhérents du FPI illégal.
En clair, malgré l’élection de 2010, malgré les acquis de sa gouvernance, Alassane Ouattara reste pour les radicaux du camp Gbagbo l’incarnation d’une sorte d’imposture.
Ils n’ont pas changé, ils ne changeront pas !
Mais alors pourquoi les autres doivent-ils changer pour eux, pour leur faire plaisir ? Car, il est désormais clair que même si Laurent Gbagbo était libéré demain (ce que nous souhaitons du fond du cœur), ils ne changeraient pas et ne voudraient toujours participer à rien avec Alassane Ouattara, qui fut pourtant leur allié hier contre ce même Pdci-Rda d’Houphouët, de Bédié et de Banny!
Pour, sûr dans la bataille qui se déroule sous nos yeux entre ces deux Côte d’Ivoire (l’une tournée vers l’émergence, et l’autre encore dans la nostalgie et dans la quête d’une nouvelle refondation), chacun voudra aller au bout de sa logique avec sans doute encore des violences et des morts.
D’ici le 25 octobre 2015 et même au-delà, tout peut arriver : le meilleur comme le pire.
Mais cette fois, il y a quelque chose de fort qui nous rassure : qu’on soit pour la transition ou pour l’élection le 25 octobre, il y a la Cpi.
Gbagbo est à La Haye. Et comme nos prisons ne suffisent plus à nous faire peur, à nous rendre sages, et comme nos juges ne font plus peur à personne, il ne reste qu’à espérer que la perspective d’une longue prison à La Haye, loin du pays et des leurs, rendra plus sages les acteurs et les protagonistes ivoiriens.
Que les populations apprêtent leurs provisions et prennent leurs dispositions pour bien suivre et observer cette grande bataille entre les deux visions, pour ne pas dire clairement entre les deux Côte d’Ivoire si étrangement différentes et si inquiétantes ! Seul Allah sait ! Alors prions, prions et prions!
Charles Kouassi