Au lendemain de la découverte, en janvier 1995, du projet Bojinka, un plan d’attentats terroristes sur des avions de lignes américains et à la suite des attentats terroristes du 11 septembre 2001 perpétrés par des membres du réseau djihadiste islamiste Al-Qaïda,, les services de renseignements américains ont pu dire : « le réel revient ».
Ce réel est, à l’évidence, une guerre des civilisations, telle qu’elle a pu être annoncée par l’Américain Samuel Huntington, dans son livre Le Choc des civilisations, paru en 1996. Pour Samuel Huntington, les relations internationales, après l’effondrement du bloc communisme, à la fin des années 1980, ne se construisent plus sur un affrontement idéologique, mais sur une opposition culturelle tout aussi violente, dans laquelle la religion tient une place centrale. Un autre livre paru en 1996, écrit par l’américain Benjamin Barber, Djihad versus McWorld, va dans le même sens. Pour Barber, les oppositions idéologiques qui ont marqué la « Guerre froide » n’ont fait que masquer, tout au long du XXè siècle, un clivage beaucoup plus profond, et qui réapparaît aujourd’hui avec violence sous la forme d’une guerre de civilisations avec, d’un côté, la civilisation matérialiste que propose McWorld, qui prône l’universalisation et l’uniformisation des modes de vie et des valeurs, et la civilisation d’un islam intégriste, qui oppose à McWorld son particularisme.
L’Afrique subsaharienne, qui a été, au moment de la « Guerre froide », le lieu d’un affrontement sanguinaire entre le monde occidental et le bloc communiste, et qui en a subi les excès, risque de devenir le champ d’expérimentation de cette guerre des civilisations qui ne fait que commencer. C’est pour cela qu’il faut interpréter les attentats de Bamako, Ouagadougou et Grand-Bassam comme un retour du réel en Afrique subsaharienne.
Le retour du réel
Au lendemain de la chute du communisme, deux thèses ont prévalu : celle de Francis Fukuyama, qui défend l’idée que la progression de l’histoire humaine, envisagée comme un combat entre des idéologies, s’achève et que toutes les sociétés ont désormais un seul objectif, leur propre perfectionnement démocratique, avec le consensus sur la démocratie et l’économie libérales ; celle de Benjamin Barber, qui affirme que capitalisme global ou mondialisation marchande en train de naître, comme le communisme autrefois, a besoin de façonner un homme nouveau qui n’est plus le travailleur, mais le consommateur devenu le client du grand marché mondial, provoquant en cela la fin des particularismes. « civilisationnels ».
Plus lucide que Fukuyama, Barber annonce l’affrontement inéluctable entre Mc World, une non-civilisation, et Djihad, une civilisation perçue par l’Occident, comme un obscurantisme et un retour à la barbarie. Personne n’avait voulu comprendre que les attentats du 11 Septembre 2001 marquaient un retour au réel, loin de l’optimisme béat d’une mondialisation heureuse, comme les attentats de Bamako, Ouagadougou et Grand-Bassam marquent, pour l’Afrique subsaharienne, un retour au réel qui qui prend la forme d’une guerre de civilisations.
Suffisait-il de tuer Ben Laden ?
On comprend aujourd’hui que la mort, le 2 mai 2011, de Ben Laden, chef du réseau djihadiste Al Qaïda, ne s’est pas traduite par la disparition du terrorisme islamiste. Inconnue à cette époque, se préparait, depuis 2006, l’organisation terroriste Daech, ou « État Islamique en Irak et au Levant », qui contrôle aujourd’hui un territoire grand comme la moitié de la France, à cheval sur deux pays, la Syrie et l’Irak. Il ne suffisait donc pas de tuer Ben Laden pour éradiquer le terrorisme.
Il existe aujourd’hui, dans tous les pays du monde, une armée de l’ombre, composée de milliers de musulmans radicalisés, qui, sous la forme de cellules dormantes ou de réseaux actifs, sont prêts à agir, comme à Paris, Bamako, Ouagadougou ou Grand-Bassam, afin d’internationaliser cette guerre des civilisations. L’Afrique connaît déjà les effets de cette guerre au Nigéria avec Boko Haram, au Mali avec Aqmi, Mujao et Ansar Dine. Quant au Tchad, au Niger et au Cameroun, ils sont aux avant-postes de la menace islamique en Afrique.
Comment répondre à la menace terroriste en Afrique subsaharienne ?
La réponse est évidemment sécuritaire, mais elle ne peut pas être uniquement sécuritaire. L’action et de la coordination des forces de sécurité, de la police, de l’armée et de la justice, les mesures prise comme l’état d’urgence et la coopération entre les États ne constituent qu’une partie de la réponse. Il reste une question qui conditionne l’avenir de l’Afrique : la question sociale.
« Mondialisation heureuse » et « afro-optimisme » sont des mythologies qui veulent ignorer la question sociale. Or, c’est sur le déni du réel, c’est-à-dire les fractures que provoque Mc World (1) que prospèrent les discours de haine comme celui de l’islam radical. La sécurité et la stabilité en Afrique passent par une croissance partagée et un développement inclusif. Avec le « boum » démographique que connaît l’Afrique et qui est sans précédent dans l’histoire de l’humanité, la question sociale va devenir essentielle. Quelles sont alors les réformes qui vont permettre de remplir l’assiette de chaque Africain, de se soigner, d’aller à l’école, de trouver un travail, de conserver sa culture et de ré-enchanter son avenir ? Répondre à ces questions, c’est aussi lutter contre la menace terroriste.
Christian Gambotti
Directeur général de l’Institut Choiseul
Directeur de la rédaction du magazineAfriki Presse
(1) Mc World : terme qui désigne l’économie mondialisée dans laquelle l’homme, devenu client-consommateur, façonné par des forces économiques et technologiques, renonce à ses particularismes. L’islam radical incarne une civilisation dans laquelle les forces de la religion s’opposent à Mc World. Pour les terroristes, les lieux visés par les attentats sont des lieux de perversité. Lire le livre de Benjamin Barber, Djihad versus McWorld.