Au premier jour du contre-interrogatoire du général de division à la retraite Georges Guiai Bi Poin, le jeudi 30 mars 2017, par Me Emmanuel Altit, l’avocat principal de l’ancien président Laurent Gbagbo, une évocation de la rébellion de 2002 a irrité Me Melissa Park, substitut de la procureure de la Cour pénale internationale (Cpi). Ce qui a suscité un clash entre l’accusation et la défense, ainsi que la réaction du juge-président, dans ce procès conjoint de l’ancien président ivoirien et Charles Blé Goudé, le présumé leader de l’ex-galaxie patriotique, relatif à la crise postélectorale de 2010-2011.
« Je ne vous ai pas interrompu. Je l’aurai sans doute fait quelques minutes après que le Bureau du procureur ne l’ait fait. Je ne voudrais pas que vous perdiez l’équilibre. Mais j’ai le sentiment que vous penchez délicatement vers ce côté-là. Vous faites votre travail, sans aucun doute. Mais nous devons nous concentrer sur les événements de la période 2010-2011. Evidemment, vous avez une certaine marge de manœuvre, mais je crois que vous l’avez épuisée, en ce qui concerne le passé », a tranché Cuno Tarfusser, le juge-président, en s’adressant à Me Altit, suite au clash provoqué par l’objection de Me Park.
Juste avant cette intervention du juge-président, l’avocat principal de Gbagbo avait axé sa question autour des gendarmes tués à Bouaké par les rebelles en septembre 2002. Il avait ainsi rebondi sur l’une des réponses du général de division à la retraite Guiai Bi Poin, par ailleurs ancien commandant de l’école de gendarmerie d’Abidjan et de l’ex-Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos), qui avait brièvement fait allusion au même sujet.
« S’il vous plaît M. le président, je ne veux pas interrompre mon éminent contradicteur. Mais ça fait un bon moment qu’il pose des questions sur ce qu’il s’est passé avant 2010. Je sais que récemment, le 6 février (2017, Ndlr), vous avez rendu des directives. Et il est fort clair que l’on doit demander la permission pour poser des questions sur ces sujets là. Je l’ai fait d’ailleurs. Donc, moi, je trouve que ça suffit. C’est assez. Et j’aimerais savoir quelle est la pertinence de cette série de questions. S’il n’y a pas de pertinence, je pense qu’il faut y mettre un terme », avait aussitôt objecté Me Park.
Mais, Me Altit qui n’avait pas la même approche que sa contradictrice sur ce sujet, avait ainsi réagi : « Tout d’abord, je fais en sorte d’aller le plus vite possible. Et j’ai bon espoir d’y arriver. Je ne voudrais pas mettre la charrue avant les bœufs, mais j’ai bon espoir d’y arriver, en moins de temps que l’accusation. Ça, c’est la première chose. Donc, il n’est pas question ici de retard, bien au contraire. Deuxièmement, vous imaginez bien que les attaques contre la Rti (Radiodiffusion télévision ivoirienne, Ndlr) nous concernent de près, surtout si elles ont été menées par les mêmes personnes. Je n’insiste pas. Mais je peux élaborer, si vous le souhaitez. Troisièmement, nous sommes dans le cadre des charges et il faut être clair. Ce n’est pas nous qui avons conçu les charges. Ce n’est pas nous qui avons imaginé un narratif, une structure temporelle. Le plan commun, d’après l’accusation, remonte à 2000. Alors, soit on peut interroger sur ceci, en ce qui concerne les charges, le cadre temporel en ce qui concerne les charges, le plan commun. Soit, on ne peut pas. Mais il faut le dire clairement. Ou bien il faut dire que le plan commun remonte à 2010. Ça nous va aussi. On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Il faut être conséquent. (…) Les choses sont bien claires. Il y a un cadre. Nous tenons au cadre. Dans ce cadre, tout s’explique par les tenants et les aboutissants, c’est-à-dire qu’une attaque explique une autre attaque. Il y a une logique. Ce sont les mêmes protagonistes, avec le même objectif. Mêmes causes, mêmes effets. (…) En plus, c’est notre cas. C’est le cas de la défense. Il s’agit de présenter ce que nous pensons être la vérité, la réalité. Et personne ne peut nous dire de ne pas poser des questions dans un cadre qui a été dressé, dessiné, conçu par l’accusation. Si l’accusation veut changer de cadre, qu’on nous le dise tout de suite. Si ça commence en 2010, très bien. Nous, ça nous va. »
Mais, pour trancher le débat en faveur de l’accusation, le juge-président avait ajouté à ses arguments qu’il y a une « certaine logique à remonter dans le temps », sans toutefois « passer en revue les dix premières années » avant 2010 de l’histoire de la Côte d’Ivoire.
Pour lui, il est important dans les questions « d’aller le plus rapidement possible aux charges » qui intéressent la Chambre préliminaire I de la Cpi dans ce procès, en se focalisant sur la période qui commence « juste avant les élections » de 2010 « jusqu’au mois d’avril 2011 ».
Guiai Bi Poin cache-t-il des documents importants ?
En fin d’audience, un débat s’est ouvert sur l’utilisation comme pièces à conviction de documents qui seraient en la possession de Guiai Bi Poin à la Cpi.
Me Eric Mac Donald, premier substitut de la procureure de la Cpi, a proposé que ces documents soient consultés par la Chambre pour savoir si les parties devraient y avoir accès.
« Pourquoi ne pas faire les choses simplement ? On s’aperçoit au cours des débats que le témoin dispose d’un élément utile à la manifestation de la vérité. On lui demande d’apporter cet élément sur lequel nous discuterons en toute transparence et contradictoirement entre parties et participants, sous le contrôle de la Chambre », a suggéré, pour sa part, Me Altit.
Sur ce sujet, Cuno Tarfusser, le juge-président, a fait savoir que la Chambre prendra sa « position orale probablement » dans la matinée d’aujourd’hui vendredi 31 mars 2017.
L’avocat-Conseil de Guiai Bi Poin se retire
Le juge-président a, par ailleurs, dû trouver la solution à une indisponibilité à partir du lundi 3 avril 2017 du Conseil de permanence de Guiai Bi Poin.
« Nous avons, en fait, tant le témoin que moi-même, une difficulté. J’ai une autre mission. Je prends un avion samedi matin (samedi 1er avril 2017, Ndlr). Et je serai indisponible pour 10 jours. Mais le témoin m’a informé qu’il avait lui-même arrangé avec la section des victimes et des témoins, des rendez-vous médicaux le lundi après-midi (3 avril 2017, Ndlr) en France. Voilà la situation, M. le président. Nous en sommes réellement confus », a exposé l’avocat-Conseil du témoin.
Pour rendre compte de la décision de la Chambre sur cette question, Cuno Tarfusser a indiqué que le témoin sera présent à la barre le lundi 3 avril 2017 et sera entendu le temps qu’il faudra.
« Le témoin a accepté de recevoir l’aide d’un autre Conseil. Et la Chambre a donné pour instruction au Greffe d’envoyer quelqu’un de l’Opcd lundi et qui agira en tant que Conseil de permanence. (…) Il n’y aura pas d’interruption », a ajouté le juge-président.
Une décision qui signifie que Guiai Bi Poin ne pourra pas honorer ses rendez-vous médicaux du lundi 3 avril 2017 sur lesquels Cuno Tarfusser n’a dit aucun mot.
L’ex-commandant du Cecos est le 36e témoin dans le procès couplé des deux Ivoiriens poursuivis par la Cpi dans le cadre de la crise postélectorale de 2010-2011 dont le bilan fait état de plus de 3000 morts.
Alex A