La Côte d’Ivoire se transforme et le premier signe de cette transformation est l’essor des constructions : urbanisation, unités industrielles, travaux publics, infrastructures économiques, routes, et autoroutes, échangeurs et ponts, extension des ports et des aéroports, etc. Lors de son adresse à la Nation, le 31 décembre 2020, le chef de l’Etat, Alassane Ouattara, a annoncé la construction de 33 ponts et échangeurs afin de soutenir la croissance ivoirienne et améliorer la mobilité et les conditions de vie des populations.
Devenue un immense chantier, la Côte d’Ivoire est désormais confrontée au phénomène de l’« artificialisation des sols ». Par « artificialisation des sols », il faut comprendre la transformation du sol, – naturel, agricole ou forestier -, qui résulte des opérations d’aménagement afin d’affecter les terres à des fonctions urbaines (habitat, commerces, équipements publics…), industrielles ou de transport.
En Côte d’Ivoire, des milliers d’hectares sont ainsi artificialisés chaque année. Quelles sont les conséquences de l’artificialisation des sols ? L’objectif « zéro artificialisation des terres », très à la mode dans les pays riches sous la pression des écologistes, est-il envisageable dans un pays émergent comme la Côte d’Ivoire?
Les conséquences de l’artificialisation des terres
En Côte d’Ivoire, comme partout sur la planète, l’artificialisation des sols est l’une des causes de l’accélération de la crise climatique, la dégradation des terres et la disparition de la biodiversité. Pour Justin Koffi N’Goran, président du Comité scientifique de la COP 15 (1), « l’expansion urbaine a pour conséquence directe l’artificialisation des sols. Il nous faut construire, en périphérie des grandes villes et sur tout le territoire, des logements, des infrastructures économiques, des équipements collectifs, des bâtiments industriels. Repenser l’aménagement urbain et industriel, afin de réduire l’impact négatif de l’artificialisation des sols, relève d’une urgence absolue. Ce n’est pas l’écologie contre l’industrie du ciment, mais des politiques publiques et des acteurs privés (promoteurs, industriels) qui relèvent les défis de l’urbanisation et préservent les espaces naturels, agricoles et forestiers de nos territoires. Il s’agit là d’un véritable enjeu de développement et de lutte contre les inégalités sociales et les fractures territoriales. Il ne faut pas ajouter aux inégalités sociales les inégalités environnementales. »
L’affectation des terres à des fonctions urbaines, industrielles et de transport doit s’inscrire dans une stratégie de protection des espaces naturels et de forte réduction des conséquences négatives de l’artificialisation qui s’accélère du fait de l’étalement de l’urbanisation et des infrastructures. La première conséquence de l’artificialisation est entraîne une imperméabilisation partielle ou totale des sols. Or, un sol imperméabilisé n’absorbe pas l’eau de pluie. En cas de fortes intempéries, les phénomènes de ruissellement et d’inondation sont donc amplifiés. C’est ce que l’on constate à Abidjan, qui connaît des inondations meurtrières dont les causes sont documentées : développement anarchique des constructions, extension des quartiers précaires, manque d’entretien des ouvrages d’assainissement et de drainage, etc.
Autre conséquence : un sol artificialisé, parce qu’il n’absorbe plus le CO2, participe à la hausse du réchauffement climatique et accélère la disparition de la biodiversité, du fait de la disparition de l’habitat naturel des espèces animales et/ou végétales. Facteur de hausse des températures et de pollution, le phénomène d’artificialisation contribue aussi à la dégradation des sols et à une baisse de productivité des terres agricoles. Il est donc urgent de repenser l’aménagement urbain dans quatre directions : 1) définir de nouveaux modes d’urbanisation 2) limiter la transformation des espaces naturels en zones artificialisées 3) rendre à la nature des superficies autrefois artificialisées, notamment les friches industrielles ou commerciales, les habitats délabrés 4) prévoir l’intégration d’espaces verts.
Artificialisation des sols versus respect de l’environnement?
Peut-on demander à l’Afrique de moins construire ? Evidemment, non. Sous-industrialisée, en manque de logements décents et d’infrastructures, l’Afrique doit construire beaucoup, « artificialiser » de plus en plus d’espaces naturels et de terres agricoles. Le plan stratégique pour 2024-2027 d’ONU-Habitat vise à répondre au défi d’une urbanisation respectueuse de l’environnement, sachant que les zones urbaines sont responsables de 70 % des émissions de CO2. Lors de la deuxième session de l’Assemblée d’ONU-Habitat, le programme des Nations unies pour les établissements humains, qui s’est tenue à Nairobi en juin 2023, la directrice exécutive de l’organisation onusienne, Maimunah Mohd Sharif, a insisté sur l’urgence de la situation dans une Afrique subsaharienne où 56 % des habitants vivent dans des bidonvilles. William Ruto, le président kényan, appelant à une coordination multilatérale, a rappelé que « plus de la moitié de la population kényane vivra dans des villes d’ici à 2050. »
Les dirigeants africains ont parfaitement conscience qu’il est urgent d’aller vers une urbanisation responsable, ce qui nécessite, pour respecter l’environnement, plus de financements. William Ruto a tenu a rappelé que l’« un des obstacles majeurs dans notre volonté d’aller vers une urbanisation durable est le même que celui auquel nous faisons face en Afrique dans notre mise en place d’une action climatique efficace. Cet obstacle, c’est le manque d’accès à des ressources financières suffisantes et abordables. »
L’Afrique d’aujourd’hui, qui prépare l’Afrique du futur, est obligée de bâtir, mais pour être durables, au sens écologiques du terme, les villes africaines et les infrastructures devront être construites différemment à partir d’un objectif de développement vertueux et de décarbonisation. Face à l’explosion démographique et à la demande de logements et d’industrialisation, pour Abidjan et les villes de sa périphérie, le défi est énorme, alors que la gouvernance de l’espace public, des zones naturelles ou agricoles et des forêts reste inadaptée.
Le Président de la COP 15, Alain-Richard Donwahi, résume ainsi les enjeux : « bâtir, construire, ce n’est pas simplement modifier un sol pour le rendre artificiel, c’est relever un ensemble de défis politiques, – notamment la gestion du foncier -, techniques, économiques, sociologiques, culturels, environnementaux, mais aussi esthétiques. Sur la trajectoire du développement, les élus ne peuvent pas renoncer à un changement d’occupation ou d’usage des sols. La préservation des zones naturelles, des terres agricoles, des forêts et de leurs fonctions écologiques représente alors un défi complexe où se jouent des questions d’activités économiques, de logement, de transport et de performance environnementale. » À quel moment la lutte contre l’artificialisation des sols, qui commence à s’imposer en Afrique, constitue-t-elle une menace pour le développement du continent et l’attractivité des territoires (2)?
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(1) COP 15 : Conférence des parties onusiennes, la COP 15, que préside l’Ivoirien Alain-Richard Donwahi, a pour objet la lutte contre la désertification, la dégradation des terres et la sécheresse.
(2) Nous sommes entrés dans une période de réflexion sur l’utilisation des sols avec un alignement nécessaire des programmes d’utilisation des sols sur les programmes de lutte contre le réchauffement climatique, la désertification et la dégradation des terre.
Christian GAMBOTTI – Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage – Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique (Abidjan) – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@agriquepartage.org