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    Chronique du lundi- face à a une urbanisation incontrôlée et a la crise climatique, il est urgent de repenser les villes ivoiriennes

    Chronique du lundi- face à a une urbanisation incontrôlée et a la crise climatique, il est urgent de repenser les villes ivoiriennes
    Publié le
    Par
    Christian Gambotti
    Lecture 7 minutes

    Sur la trajectoire de l’émergence ivoirienne, un impensé radical (1) : l’aménagement des villes et des zones urbaines

    Dans ma Chronique du lundi 2 Août 2021, je posais déjà la question suivante à propos des villes ivoiriennes : le gouvernement est-il prêt à relever le défi du développement et de l’aménagement des zones urbaines ? Aujourd’hui encore, l’aménagement des villes reste l’impensé radical d’une action politique qui a pourtant installé la Côte d’Ivoire sur la trajectoire du développement. 

    Selon les chiffres de la Banque mondiale, l’économie ivoirienne, sous la gouvernance d’Alassane Ouattara, est devenue l’économie la plus  performante et la plus compétitive de l’Afrique de l’Ouest avec, sur une longue période, des taux de croissance très élevés. Les crises successives, – crise sanitaire et guerre en Ukraine -, ont certes ralenti la croissance économique ivoirienne, mais elles ont montré la forte résilience d’une économie qui, par sa diversité et sa solidité, possède tous les atouts pour repartir. 

    Signe de cette résilience, la Côte d’Ivoire bénéficie de la confiance des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale et Banques Multilatérales de Développement), qui ont accordé au pays leur appui financier, alors que l’on assiste à un fort ralentissement du financement de l’Afrique.

    Quelles seront les grandes orientations des politiques publiques en matière de planification urbaine ? Quel sera le niveau des dépenses publiques consacrées à l’aménagement des villes et des zones urbaines ? 

    La Côte d’Ivoire, pour devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici 2030, devra relever le double défi d’une urbanisation contrôlée et de la végétalisation des villes. Or, l’urbanisation, qui s’est accélérée en Côte d’Ivoire comme dans toute l’Afrique (2), reste anarchique à cause d’une absence de planification. Les infrastructures indispensables au développement économique, à la protection de l’environnement et à la qualité de vie des citadins font défaut. 

    Selon ONU-Habitat, l’absence d’une politique d’urbanisation formelle et planifiée doublée d’une offre insuffisante de logements se traduit par le développement des bidonvilles. Dans de nombreux pays africains, qui comptent parmi les plus pauvres et les plus instables, 80 % des citadins vivent dans des habitats précaires ou informels.

    Une urbanisation qui s’est accélérée, vite devenue incontrôlée et incontrôlable

    L’urbanisation incontrôlée, malgré les efforts d’aménagement des pouvoirs publics, se traduit par un désordre urbain de plus en plus marqué. Les communes d’Abidjan sont le symbole de ce désordre urbain persistant qui ralentit la croissance économique et impact négativement le cadre de vie des populations. Le désordre urbain s’explique par des constructions anarchiques, l’invasion de l’espace public et des axes de circulation par les activités économiques due à la transgression du règlement d’installation sur la voirie, les difficultés liées à la gestion des eaux usées et au traitement des déchets solides (3), l’incivisme des populations, les embouteillages qui asphyxient la ville, le délabrement des équipements collectifs et l’insuffisance des infrastructures. Le désordre urbain se traduit par une amplification des nuisances, une forte pollution et une dégradation du cadre de vie.

    J’écrivais, dans ma Chronique du 2 août 2021 : « Ces dernières années, l’urbanisation de la Côte d’Ivoire s’est accélérée. Selon une étude de la Banque Mondiale, il existe trois types de villes ivoiriennes : 1) les grandes villes, qui, pour leur puissance économique et leur attractivité, sont des « connecteurs globaux », comme Abidjan, San Pedro et Yamoussoukro. Le Grand Abidjan concentre 20% de la population du pays, 80% des emplois formels et 90% des entreprises. 2) Les villes régionales, qui, pour leur fort potentiel de développement économique, sont des « connecteurs régionaux », comme Bouaké et Korhogo. Ces « capitales » régionales sont situées sur des corridors de transports routiers et ferroviaires. 3) Les petites villes, qui, pour leur importance dans la production agricole, sont des « connecteurs locaux ». (…) 

    Les enjeux de l’urbanisation sont les mêmes pour les trois types de villes, car l’approche doit être globale. Si elle veut avancer sur les chemins de l’émergence et devenir, en 2030, un pays à revenu intermédiaire, la Côte d’Ivoire, doit bien gérer son urbanisation, ce qui signifie : a) planifier l’urbanisation de chaque ville b) relier les villes ivoiriennes entre elles c) connecter les zones urbaines au reste de l’Afrique, afin de rendre le pays plus dynamique, plus productif et plus compétitif. 

    La Côte d’Ivoire ne peut être ni productive, ni compétitive, si les villes ne disposent pas des infrastructures nécessaires. Il est donc urgent de construire dans les villes qui sont des « connecteurs globaux et régionaux » des infrastructures modernes, de niveau international. Quant aux petites villes, qui sont des « connecteurs locaux » dans le secteur-clef de l’agriculture, la Banque Mondiale note, à juste titre, qu’elles manquent toujours d’infrastructures de base. » S’ajoute aujourd’hui une demande nouvelle portée par la communauté internationale et les populations urbaines : l’exigence de performance environnementale. Suffit-il, pour répondre à cette demande, de planter des arbres en ville, créer des parterres de fleurs et des espaces verts ?

    « Végétaliser la ville ne signifie pas uniquement planter des arbres et créer des espaces verts »

    Pour les dirigeants de la société CERCIS, très présente en Afrique, «  Aménager l’espace urbain pour répondre à l’urgence climatique ne signifie pas uniquement végétaliser la ville, planter des arbres et créer des espaces verts à des fins esthétiques. La « ville verte » ne doit pas être pensée en dehors de sa performance économique et sociale. Le littoral lagunaire ivoirien, qui s’étend sur près de 300 km le long des côtes orientales jusqu’au Ghana, est en passe de devenir un « territoire perdu » alors qu’il a vocation à être une zone d’attractivité économique et touristique, capable d’offrir un cadre de vie agréable. Sa surexploitation, l’insalubrité et le non-respect des normes environnementales font que certaines parties de la lagune sont en train de disparaître. Il n’est pas rare de voir les populations remblayer la lagune avec des ordures ménagères pour installer un habitat insalubre. Au-delà du littoral lagunaire, c’est sur l’ensemble du territoire national que se pose la question de la gestion de l’espace et de l’aménagement urbain. » 

    Cercis a multiplié les réalisations en France, au Maroc et au Sénégal. En Côte d’Ivoire, la société a aménagé le point de débarquement du Grand Lahou (routes, infrastructures, espaces verts) et le « fishing port » de Locodjoro. Le développement et l’aménagement des villes et des zones urbaines restent l’un des grands défis que doit relever la Côte d’Ivoire avec quatre priorités : construire les infrastructures de base, permettre l’accès à un logement décent à l’ensemble de la population, améliorer le cadre de vie et intégrer l’habitat informel à la ville. 

    Est-il possible, pour le gouvernement, mais aussi pour les villes elles-mêmes, de rendre la ville ivoirienne plus vivable et durable, mais aussi plus inclusive ? Cette question se pose aussi pour les bourgs ruraux qui se transforment en zones urbaines plus denses. Il est donc urgent d’aller vers une planification de l’urbanisation sans laquelle rien n’est possible. Leur attractivité fait des zones urbaines des moteurs de croissance qui concentrent toutes les difficultés : financement, aménagements urbains, transport, logement, salubrité, protection de l’environnement, etc.  L’objectif partagé par le pouvoir politique et les habitants est de réduire la conflictualité entre l’urbanisation spontanée, anarchique, incontrôlée, et la nécessité d’encadrer et de planifier la croissance urbaine. La planification urbaine sert toujours un projet politique qui vise à améliorer l’attractivité des villes, afin d’attirer les investisseurs, les activités économiques et culturelles. Cette attractivité ne doit pas se faire au détriment de la performance environnementale.

    __________________________

    (1)    « Impensé radical » : ce qui n’a pas été pensé, ce qui ne peut être saisi par la pensée et qui finit par être occulté entraînant un manque radical. L’impensé radical est ici la planification urbaine que la crise climatique rend encore plus urgente.

    (2)   En 2050, les villes africaines compteront 950 millions d’habitants supplémentaires. L’urbanisation galopante et incontrôlée invite les gouvernements à repenser, dès aujourd’hui, les modèles de développement économique, social et environnemental des villes, ainsi que l’articulation entre les zones urbaines et les zones rurales.

    (3)    A Abidjan, le ramassage des ordures ménagères ne peut être assuré pour 40 % des habitations de la ville. De nombreuses rues trop étroites empêchent le passage des camions benne. De nombreux déchets sont déversés de manière anarchique dans la ville et dans la lagune qui est aujourd’hui extrêmement polluée

    Christian GAMBOTTI –  Agrégé de l’Université – Président du think tank Afrique & Partage –  Président du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches du l’Afrique de Demain) – Directeur général de l’Université de l’Atlantique – Chroniqueur, essayiste, politologue. Contact : cg@afriquepartage.org

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