Face à une insolente croissance de 6,5% en zone UEMOA, la CEMAC n’a enregistré qu’une modeste croissance de 2,8 % en 2015, après 4,8% en 2014. Les projections pour 2016 sont aussi moroses à 2%, soit un différentiel de 5 points avec l’UEMOA. Comment expliquer ce différentiel de croissance entre la CEMAC et l’UEMOA qui, pourtant, font partie de la même zone CFA ?
Officiellement on blâme la conjoncture, en l’occurrence la baisse du cours du pétrole. Mais au-delà de la conjoncture, il est besoin de se pencher sur des causes structurelles.
Une première explication dans ce sens tient dans la nature du climat des affaires dans les pays de la zone. Le climat des affaires constitue le terreau de l’entrepreneuriat, lui-même source de croissance économique solide et durable. Lorsque la réglementation des affaires est essentiellement constituée de règles iniques qui allongent inutilement les délais, alourdissent les coûts administratifs pour les entrepreneurs, cela est catastrophique pour les incitations de ces derniers à lancer, pérenniser ou faire grandir des entreprises. C’est un frein gigantesque à l’investissement, à l’embauche et donc à la croissance et au développement. Qu’on en juge. L’index de liberté économique de l’Institut Fraser, qui synthétise des indicateurs facilitant l’entrepreneuriat dans le monde, nous donne une idée assez claire de la situation: sur 157 pays classés, on trouve la République du Congo à la…156ème place, le Tchad à la 154ème, la République Centrafricaine à la 150me, le Gabon à la 141ème et le Cameroun à la 118ème place. La Guinée équatoriale n’est même pas classée. Des classements aussi désastreux reflètent le fait que ces pays ne favorisent pas l’entrepreneuriat. Il n’est donc pas étonnant que la croissance s’en ressente.
Cependant on objectera que le dernier indicateur de liberté économique porte sur des données de 2013, à une époque où le différentiel de croissance entre les deux zones n’était pas aussi important. Cela signifie-t-il que le climat des affaires n’est pas si important pour la croissance ? Dans des pays dépendant essentiellement de la rente des ressources naturelles et notamment du pétrole, la « croissance » s’explique surtout par le secteur rentier. Cela a pour première conséquence une croissance en trompe-l’œil, qui disparaît quand les revenus de la rente s’effritent, comme avec la baisse récente des cours du pétrole. La deuxième conséquence est que cette « croissance » n’est pas fondée sur une économie diversifiée. Or, seule une économie diversifiée peut fournir une croissance pérenne.
Afin d’obtenir une croissance diversifiée, il faut un tissu économique entrepreneurial dense, et donc un climat des affaires sain. L’indicateur n’est pas exactement plus reluisant pour la majorité des pays de l’UEMOA mais ses pays sont tout de même globalement un peu mieux placés dans le classement (Sénégal 122ème, Mali, 123ème, Burkina 131ème, Côte d’Ivoire 134ème…). Ici, cependant, une deuxième explication, plus spécifique, et qui se retrouve dans une des composantes de l’indicateur de liberté économique, permet de mieux saisir la différence de trajectoire de croissance. Cette explication est en lien avec la liberté du commerce. La différence entre l’UEMOA et la CEMAC est que cette dernière peine réellement à mettre en place une zone d’intégration économique. Le projet traine depuis 1994 mais il est par exemple toujours quasiment impossible pour les ressortissants de voyager sans visa entre les pays de la zone.
Résultat : quand, en 2014, les échanges intra-communautaires constituent 10% des échanges dans l’espace UEMOA, la CEMAC plafonne à 3%… Pourtant l’intégration économique, avec abaissement des frontières et liberté des hommes et des marchandises de circuler, constitue un atout essentiel pour la croissance (notamment dans un premier temps) et du développement à long terme. Un grand marché intégré est bien supérieur à plusieurs petits marchés morcelés et fermés. Pourquoi ? On sait que la spécialisation et la division du travail au sein d’une économie permettent d’augmenter la productivité et donc les revenus. Or, depuis l’économiste classique Adam Smith, il est connu que « la division du travail est limitée par l’étendue du marché ».
En effet, lorsqu’une entreprise équato-guinéenne, par exemple, fait face à un marché de 44 millions de personnes (CEMAC) et non pas un marché de moins d’un million de personnes (760 000 habitants en Guinée équatoriale), on comprend immédiatement que son potentiel de développement n’est pas exactement le même… Elle pourra utiliser davantage de machines spécialisées, de travailleurs spécialistes, mais aussi plus de sous-traitants, dont elle pourra rentabiliser le coût du fait de cet immense marché sur lequel elle pourra vendre bien plus. Un marché plus large permet aux entreprises de faire tomber leur coût unitaire de production, en amortissant les coûts fixes sur un plus grand nombre de clients, et donc d’être plus compétitives dans la mondialisation. Ce processus donne lieu à un « épaississement » de la branche en question en termes de nombre d’entreprises, générant au passage une plus grande diversification (se « déversant » dans d’autres branches et se répandant ainsi peu à peu à toute l’économie). Tout cela se traduit par davantage d’emploi et d’investissement, un hausse des revenus etc. Le processus prend du temps, mais c’est l’essence même du développement économique.
Comme les autres réformes d’assainissement du climat des affaires, l’ouverture des frontières est donc au centre d’une économie diversifiée permettant une croissance durable. Il est donc peu étonnant que les économies de la CEMAC soient moins diversifiées que celles de l’UEMOA.
Pourquoi alors trainer des pieds ? Il est difficile de ne pas voir une explication politique. La rente des ressources naturelles permet en effet à une « élite » de se maintenir au pouvoir, et ce, sans avoir à rendre de compte à la population (à titre d’illustration, 85 % du budget équato-guinéen provient du pétrole). Dans ces conditions, quel intérêt pour cette élite à réformer ? L’ouverture et la diversification de l’économie pourraient même constituer un risque de déstabilisation politique et remettre en cause sa mainmise sur les ressources du pays. Autant préserver son pré carré, fermé, tout en parlant d’ouverture lors de grandes conférences internationales. Pour peu que certaines grandes puissances aient aussi un intérêt au statu quo, on pourra parler encore longtemps de l’intégration économique de la CEMAC.
Emmanuel Martin, économiste.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique