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    Casques bleus : protecteurs ou prédateurs ?

    Casques bleus : protecteurs ou prédateurs ?
    Publié le
    Par
    Charles Kouassi
    Lecture 5 minutes
    Salon des banques de l'UEMOA et des PME

    Depuis les années 1990, les allégations d’abus sexuels contre les casques bleus sont en hausse notamment au Cambodge, Bosnie-Herzégovine, Haïti, Liban, RDC, RCA et Libéria, avec toutefois une concentration aigüe en Afrique. En 2016, par exemple, la MINUSCA et la MONUSCO, respectivement missions de maintien de la paix déployées en RCA et RDC, représentaient plus de la moitié des cas recensés dans le rapport du secrétaire général (soit 38 des 69 allégations). L’ONU tentera tant bien que mal d’instaurer un climat de discipline rigoureuse, pourtant ce phénomène – loin de faiblir – gagnera en ampleur. Comment sortir de l’impasse ?

    Les textes

    Outre certaines mesures énergiques comme les couvre-feux de la tombée de la nuit jusqu’à la levée du jour, l’interdiction de tout contact illicite avec la population civile, ou encore les réformes ayant eu lieu au siège de l’ONU à New York avec la création d’une antenne permanente chargée d’enquêter sur la violence et l’exploitation sexuelles, on retrouve une foultitude de codes de conduite voulant que les soldats opérant sous la bannière bleue se comportent de la façon la plus professionnelle et la plus disciplinée possible. On en cite notamment la fameuse politique “tolérance-zéro” aux abus sexuels (interdisant, entre autres, les relations avec les prostituées ou encore avec les membres de la même troupe), laquelle s’est visiblement soldée par un échec, vu que le nombre de crimes sexuels est resté en nette augmentation.

    Une “application zéro” de la politique “tolérance zéro” comme le fait observer avec ironie l’un des enquêteurs, sera le résultat de l’attitude de l’ONU qui se décharge complètement sur les Etats contributeurs de contingents pour donner effet à ses règles, en formant notamment leur soldats. Cet aspect de “décharge” est encore plus scandaleux quand on relève que l’ONU attend aussi que ces mêmes Etats poursuivent les coupables comme le prévoit la procédure en vertu de l’accord initialement conclu entre l’ONU et les Etats en question. Même si l’ONU peut ouvrir une enquête de son propre chef suite à l’inertie du pays concerné, 10 jours après sa réception de l’information sur l’allégation de crime sexuel, le déclenchement de poursuites à proprement parler reste l’apanage des seules Etats qui ont tout au moins l’obligation de respecter la date butoir de 6 mois pour conclure une enquête ou engager des poursuites. Mais cette prescription n’est malheureusement pas assortie de sanction. La seule sanction pouvant être appliquée directement par l’ONU est l’expulsion des soldats impliqués.

    Autant dire que l’ONU est dans une relation de dépendance totale vis-à-vis des Etats participant aux missions de maintien de la paix, et que les choses n’évolueront donc qu’au gré de leur bon vouloir. Or, ces derniers donnent rarement suite aux allégations d’abus sexuels en diligentant des poursuites. De même qu’il y a une absence flagrante de programmes de formation aux règles et éthiques de l’ONU dispensés aux soldats avant d’être envoyés vers les pays où ils doivent opérer. Devant toutes ces inadéquations, des pistes d’action peuvent être suggérées pour l’amélioration du dispositif en place, sinon son remplacement par d’autres alternatives.

    La formation des troupes

    D’abord, s’assurer – avant de déployer les troupes – qu’elles sont formées aux diverses règles de conduite de l’ONU. Si les Etats manquaient d’incitation pour le faire, l’ONU pourrait alors réaliser un test et écarter les soldats qui y échouent. Des enquêtes de moralité approfondies permettraient de disqualifier les soldats ayant des antécédents judiciaires.

    La restructuration de la chaine de commandement

    Ensuite, renforcer la chaîne de commandement, en exigeant désormais des comptes aux chefs des troupes qui seront tenus responsables en cas d’inconduite de leurs subalternes. Ceci permettrait d’améliorer le niveau de discipline si les soldats étaient soumis à un contrôle rigoureux de leurs supérieurs.

    La refonte des règles disciplinaires

    Puis, pourquoi ne pas reconsidérer certaines règles disciplinaires elles-mêmes, à l’instar de celle interdisant la fréquentation des prostituées ? Face au scandale, on peut comprendre cette tendance de l’ONU à la radicalité en cherchant à trop moraliser la vie des soldats, mais n’imposons pas de diktats ! Est-il plus choquant de voir les soldats recourir à des prostituées ou de les contraindre au point de les pousser à des dérives criminelles ?

    La création de juridictions spéciales

    Enfin, deux mesures nous semblent pouvoir en finir avec le cercle vicieux des sensibilités politiques empêchant de contraindre les Etats à honorer leurs obligations. D’abord, la mise sur pied de cours martiales in situ, comme alternative à la carence des autorités nationales à déclencher des poursuites. Ainsi, chaque mission de maintien de la paix sera dotée de son propre tribunal pour juger les auteurs des crimes sur place. Ceci aura pour vertu de permettre que justice soit rendue immédiatement et devant les yeux des victimes, comme un écho au célèbre adage anglais : « Justice must not only be done; it must also be seen to be done ».

    Une base militaire indépendante

    Ensuite, n’est-il pas temps pour l’ONU de disposer de sa propre base militaire indépendante ? Ceci lui permettrait plus d’autonomie tant pour encadrer ses soldats que pour les châtier.

    Une aide aux victimes

    Parallèlement à cela, l’ONU doit également venir en aide aux victimes et ériger cela en axe prioritaire de son action (pas moins prioritaire que la sanction des coupables). A ce propos, l’initiative de création d’un Fonds indemnitaire mérite d’être félicitée, mais des difficultés persistent encore quand à son alimentation en fonds ainsi que la détermination des types de réparation appropriés aux victimes, souvent orientées vers des ONG locales manquant de moyens pour les accompagner. Un quota du budget de l’ONU devrait être alloué à ce Fonds qui ne doit plus dépendre de la solidarité des Etats. De même qu’un personnel qualifié doit y siéger pour donner suite aux ordonnances de réparations octroyées. `

    Asmaa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc).
    Article publié en collaboration avec Libre Afrique.

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