Point d’industrie sans énergie. Cette assertion est d’autant plus vraie qu’au Cameroun, la centrale hydroélectrique d’Edéa 1 avait été construite en 1953 entre autres pour alimenter l’industrie électrochimique de la société ALUCAM. Mais depuis lors, le développement énergétique n’a pas suivi la croissance démographique qui s’est stabilisée autour de 3% depuis les années 1976.
Ainsi depuis une vingtaine d’années, le pays vit au rythme des coupures intempestives d’électricité qui font fonctionner au ralenti les activités économiques. Dans le débat public, la question n’est plus de savoir à qui la faute dans la mesure où le problème de déficit d’investissements (déficit de l’offre) et de gestion patrimoniale depuis la création de la Société Nationale d’Electricité du Cameroun (SONEL) en 1974 est connu. La question qui taraude les esprits est de savoir comment résoudre durablement ce problème.
Politique gouvernementale
En 2014, l’offre en énergie électrique au Cameroun était évaluée à 1337 mégawatts (MW). Le gouvernement comptait porter cette production à 2000 MW entre 2015-2016 et à 6000 MW à l’horizon 2030. Il envisageait de combler progressivement le déficit estimé entre 500 et 650 MW, de relever le défi de la qualité et du coût, et enfin d’exporter l’excédent vers les pays voisins. Quels grands projets ont-ils suivi cette politique ? Le gouvernement a lancé une centrale thermique à gaz naturel à Kribi, un barrage de retenue d’eau à Lom Pangar, un barrage hydroélectrique à Memve’ele, un projet de barrage hydroélectrique à Mekin. Des projets d’études ont été faits pour l’aménagement hydroélectrique de 75MW à Warak sur le fleuve Birni, la centrale hydroélectrique de Menchum d’une capacité de 72 MW, l’aménagement hydroélectrique de 280 mégawatts(MW) sur le fleuve Sanaga à Song Dong, la rénovation du barrage hydroélectrique de Lagdo. Le Fonds d’Energie Rurale (FER) a été mis en place avec l’appui de la Banque Mondiale. Des accords ont été signés avec les Chinois et les Français pour le lancement des parcs solaires dans la partie septentrionale du pays et la banlieue de Yaoundé. La pertinence de ces mesures est remise en question pour plusieurs raisons.
La centralisation inadéquate
Le gouvernement entend encore centraliser la production et la distribution de l’électricité au Cameroun au lieu de passer la main aux communes. Une Société Nationale de transport d’électricité (Sonatrel) devant toiletter les branchements électriques et les câbles de pylônes pour récupérer plus de 40% d’énergies perdues lors du transport vient d’être créée avec pour premier conseil d’administration le 9 février 2016. Autrement dit, le gouvernement voudrait continuer de produire de l’énergie à un bout du pays et la transporter à coût de milliards à l’autre bout alors que des solutions locales existent. Le Cameroun n’est pas une réalité homogène sur le plan agro-écologique. Par conséquent, une approche unique pour l’ensemble du pays est inadéquate. La solution aux problèmes d’électricité au Cameroun doit être locale en fonction des spécificités de chaque région.
L’avantage de la diversification des sources d’énergie
Le Cameroun est une vaste biomasse forestière encore inexploitée qui dispose du 2ème potentiel forestier dans le bassin du Congo avec 17,4 millions d’hectares de forêt dense dans la seule région du Sud sans compter le potentiel des savanes. Mieux, il dispose d’un potentiel solaire estimé à 89,25 Térawatt-heure (TWh), soit 5 fois supérieur au potentiel hydroélectrique qui est de 19,7 TWh. Le pays a 300 sites exploitables d’énergie hydraulique (générée par les petits cours d’eau et ruisseaux) dont le potentiel est de 1,115 TWh. Mieux, tout le long de la faille volcanique qui le traverse, le potentiel de l’énergie géothermique (provenant de l’accroissement de la température dans les couches internes de la terre) est très élevé. Par ailleurs, le potentiel de production du biogaz est quasiment illimité au regard du volume continu de déchets organiques d’origine ménagère ou agricole. Un gisement d’énergie éolienne inexploité se trouve dans les zones de Kaélé, du Lac Tchad ou des monts Bamboutos où la vitesse de l’harmattan atteint 6m/s sans compter la côte atlantique longue de 402 km qui représente un potentiel énorme de production de l’énergie marine (provenant des courants marins).
Au regard de tout ce potentiel, on peut non seulement dire que l’investissement massif dans l’hydroélectricité est moins pertinent, mais également que le déficit d’offre actuellement observé est lié à l’insuffisance des mesures incitatives pour l’investissement privé. La loi n°2013/004 du 18 avril 2013 portant incitations à l’investissement privé qui était déjà jugée peu ambitieuse, attend toujours son décret d’application. Il en est de même des textes et lois sur la décentralisation (transfert des compétences de l´Etat aux Communes) qui traînent depuis 1996 (20 ans). D’autres circulaires, décrets, arrêtés et notes sont dispersés dans divers départements ministériels. Pourquoi pas simplement une loi sur les énergies renouvelables qui organiserait le fonctionnement de ce secteur?
Améliorer la bonne gouvernance et l’entretien de l’existant
Toutes ces stratégies ne servent à rien si les projets permettent d’enrichir les gestionnaires ou si les infrastructures existantes ne sont pas entretenues. Il faudrait améliorer les outils de gestion et éduquer les citoyens à l’utilisation rationnelle de l’énergie. La décentralisation permettra de renforcer la participation, la représentation et la responsabilisation des citoyens dans cette gestion. Pour sa part, l’Etat devra appliquer une fiscalité incitative sur les kits solaires, les lampes et matériaux de construction de basse consommation (LBC), et définir de nouvelles normes de construction favorisant les économies d’énergie. A ce sujet, la circulaire N°001/CF/MINFI/CAB du 09 janvier 2012 prévoyant des exonérations de TVA est insuffisante. Il faudrait carrément améliorer l’environnement des affaires dans les énergies renouvelables. A noter que ce n’est que le 14 décembre 2011 par la loi n°2011/022 régissant le secteur de l’électricité que l’Etat a concrétisé la libéralisation du secteur. Ce monopole qui a longtemps existé n’est pas innocent dans le grand retard accusé par le pays.
En conclusion, nous disons qu’au lieu de vouloir tout faire en privilégiant l’hydroélectricité, l’Etat doit créer des conditions pour que les investisseurs privés et les collectivités locales travaillent pour l’électrification du pays.
Louis-Marie Kakdeu, PhD & MPA
Article publié en collaboration avec Libre Afrique