Après une transition mouvementée et une élection, le pays des hommes intègres est appelé à se doter d’une nouvelle constitution qui devra raffermir ses institutions. Le président Kaboré soulignait d’ailleurs qu’il « faut des institutions fortes, qui survivent à leurs géniteurs ». L’architecture institutionnelle prévue par l’avant-projet de constitution contribue-t-elle à consolider la démocratie ?
Quelques avancées
Si les institutions au Burkina Faso fonctionnaient mal, c’était en partie dû à la prépondérance du pouvoir Exécutif à qui les autres pouvoirs étaient quasiment soumis. L’avant-projet de constitution tente donc de corriger cette hypertrophie de l’Exécutif par le renforcement des prérogatives des deux autres pouvoirs et la consolidation de la séparation de ceux-ci.
D’abord, la justice est raffermie par la consolidation du statut des juges. En effet, l’avant-projet consacre dans ses articles 157 et 158 l’inamovibilité, l’impartialité et la neutralité du juge burkinabè. En ce qui concerne la Cour Constitutionnelle, le politique n’a plus l’exclusivité et l’arbitraire du choix des membres. Ce sont le Conseil Supérieur de la Magistrature, le barreau, les enseignants de droit, les associations de défense de droit de l’Homme qui interviennent désormais dans la désignation des juges. Ce qui donne une Cour multicolore, moins encline aux influences politiques. La dénomination même de l’institution a changé. De « Conseil », l’on est passé à l’appellation « Cour ». Les mécanismes de saisine ont également été élargis à l’article 170, de sorte à permettre non seulement aux citoyens de faire constater les violations de la constitution et des droits humains mais aussi à la Cour de s’autosaisir lorsqu’elle ne l’est pas.
Ensuite, l’Exécutif est limité par l’essor des prérogatives du Parlement. En effet, pour dépasser le traditionnel rôle de « chambre d’enregistrement » des caprices de l’Exécutif, le Parlement burkinabè joue un rôle de contrôle de l’action gouvernementale. Il ressort de l’article 113 que «Le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée Nationale ».
A côté du Gouvernement, l’hypertrophie des pouvoirs du Président de la République est amenuisée afin de garantir l’alternance démocratique. En effet, déjà dans son statut, le Président voit son mandat rigoureusement limité à deux par l’article 59. Mieux, l’article 192 rend irrecevable toute initiative de révision qui « remet en cause (…) le nombre et la durée des mandats présidentiels » de sorte à sonner le glas des « Présidents quasi-éternels ». Les députés également ne peuvent briguer que trois mandats. Ceci est une nette avancée dans le renouvellement de la classe politique.
Il ressort de ce qui précède que l’avant-projet de constitution a fait des pas significatifs dans la séparation des pouvoirs et le renforcement de la démocratie. Seulement, ce nouveau système présente des risques.
Certains risques et carences
Le choix semi-présidentiel, semi-parlementaire est bien souvent semi-efficace. En effet, le Président est choisi directement par le peuple. Le Gouvernement, lui, tire sa légitimité du Parlement. Dans un tel cas de figure, les pouvoirs ne peuvent fonctionner correctement que lorsque le Premier ministre est du même bord que le Président de la République. Or, rien ne garantit que le Président ait la majorité nécessaire au Parlement. Il peut donc arriver que la majorité au Parlement soit hostile au Président et érige à côté de lui, un gouvernement « adversaire ». On parle alors de cohabitation. Dans cette hypothèse, gouverner devient extrêmement complexe puisqu’il faut concilier des intérêts, des méthodes, des idéologies souvent opposées.
En outre, le Gouvernement est responsable devant le Parlement mais pas le Président de la République qui lui l’est plutôt devant le peuple qui l’a élu. Le premier ministre apparait comme une sorte de fusible que l’on peut sauter en cas de mauvaise politique de l’Exécutif sans que le Président lui ne soit inquiété. Le peuple est souverain et le Président de la République est serviteur de celui-ci. Seulement, le peuple ne dispose pas de mécanismes constitutionnels probants et efficaces pour exercer directement son contrôle sur le Président en cours de mandat. Le constituant semble hésiter à basculer dans un régime parlementaire qui rendrait l’ensemble de l’Exécutif responsable devant le Parlement, devant les mandataires du peuple. Il transparait une volonté à peine voilée de conserver une partie du système passé.
Il aurait été plus efficace de faire le choix du régime parlementaire à scrutin majoritaire à un tour qui aurait permis d’éviter ces risques systémiques. Le régime semi-présidentiel n’est pas un régime parlementaire. En effet, dans le second, l’ensemble de l’Exécutif tire sa légitimité de la majorité au pouvoir. Il n’y a guère de risque de cohabitation qui paralyse l’action gouvernementale car le gouvernement n’existe que lorsqu’il a la confiance du Parlement. Du coup, l’Exécutif est réellement responsable devant le parlement et doit lui rendre compte. S’il perd la confiance, l’Exécutif est dissout et un nouveau gouvernement est formé. Il y a donc l’assurance d’un contrôle effectif, efficace qui n’épargne personne mais aussi l’existence d’une cohérence entre l’Exécutif et le Parlement. Ce qui légitime et favorise l’action gouvernementale. Accessoirement, le choix de ce régime aurait permis de réduire les coûts de l’organisation de deux élections distinctes dans un pays qui peine à sortir de la pauvreté.
Enfin, si l’indépendance de la justice semble renforcée, il n’en demeure pas moins que l’ombre du politique notamment celui du Président de la République continue à planer sur les instances judiciaires notamment par la proximité constitutionnellement consacrée du Président et du Conseil Supérieur de la Magistrature.
En définitive, l’avant-projet de nouvelle constitution est incontestablement une avancée démocratique. Toutefois, le constituant doit aller plus loin dans le choix du régime parlementaire pour ne pas noyer les aspirations démocratiques du peuple burkinabè.
Arnaud Gohi, doctorant en droit public au LECAP Abidjan. Le 13 mars 2017.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.