Avant de passer le relais aux avocats de la défense, Me Eric Mac Donald a procédé lundi 20 février 2017, pour le compte du Bureau du procureur, à son dernier jour d’interrogatoire de l’Administrateur général et ex-Directeur général de la police, Brédou M’bia, actuel témoin dans le procès couplé devant la Cour pénale internationale (Cpi) de l’ancien président Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, le présumé leader de l’ex-galaxie patriotique. Cet interrogatoire a donné lieu à des révélations du témoin sur la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire.
Une réunion entre Gbagbo et les grands commandements de l’armée, au plus fort de la crise postélectorale de 2010-2011 en Côte d’Ivoire, était au cœur des derniers sujets abordés au cours de l’interrogatoire d’Eric Mac Donald à Brédou M’bia. Le premier substitut de Fatou Bensouda, la procureure de la Cpi, évoque alors soudainement le nom de Youssouf Kouyaté, actuel Directeur général de la police, nommé en janvier 2017 en remplacement de Brédou M’bia, au début des mouvements d’humeur au sein de l’armée. La préoccupation de Mac Donald était de savoir s’il avait été question lors de cette réunion de Youssouf Kouyaté, alors adjoint de la section sécurité publique à la préfecture d’Abidjan.
« Je ne sais pas si c’est à cette rencontre. C’est peut-être possible. Mais effectivement, à plusieurs reprises, il m’a été donné instruction de faire partir de son poste le commissaire principal à l’époque, Kouyaté Youssouf. Je ne me rappelle pas si c’était à cette occasion. D’ailleurs, plusieurs personnes m’ont interpellé là-dessus. (…) Je pense que ça ne peut pas être à cette réunion parce que, sous réserve de me tromper, il a quitté son poste le 11 janvier (2011). Or la réunion dont vous parlé a eu lieu le 12 janvier. Alors, Kouyaté Youssouf était le préfet de police adjoint, c’est-à-dire le préfet de police chargé des opérations de la ville d’Abidjan. (…) Plusieurs personnes m’avaient demandé de le faire partir de son poste. Précédemment, le président (Gbagbo, Ndlr) lui-même avait demandé qu’il soit relevé de son poste. Et en présence du ministre de l’Intérieur (de l’époque, feu Désiré Tagro, Ndlr) », a révélé Brédou M’bia.
Il a ajouté qu’avant l’instruction de Gbagbo, feu le colonel Ahouman Nathanaël, le général Dogbo Blé, respectivement responsables du groupe de sécurité présidentielle et commandant de la garde républicaine à cette présence, l’avaient déjà instruit au téléphone de débarquer de son poste l’ex-préfet de police chargé des opérations de la ville d’Abidjan.
Sur les motivations de cette insistance à démettre de ses fonctions Youssouf Kouyaté, l’ancien Directeur général de la police a confié : « La raison que les trois m’ont donnée est la même. Pendant la période de guerre, le commissaire Kouyaté avait perdu son père. Il n’a pas pu se rendre à Bouaké, compte tenu de la situation de guerre. Et il a été représenté aux obsèques de son père par le commandant Chérif Ousmane qui était le chef de guerre de Bouaké. Et donc, tout de suite, ils ont établi une relation entre Kouyaté Youssouf et Chérif Ousmane. Voilà la raison qui m’a été donnée pour qu’il soit démis. »
Brédou M’bia a indiqué avoir refusé d’obéir à Ahouman Nathanaël et Dogbo Blé parce qu’ils ne sont pas « ses chefs hiérarchiques », jusqu’à ce que Gbagbo donne des instructions à Désiré Tagro en vue de la prise d’un « arrêté ministériel » pour « faire partir de son poste » Youssouf Kouyaté.
Les grands commandements avaient demandé à Gbagbo de capituler
Sur l’objet principal de la rencontre entre Gbagbo et les grands commandements, Brédou M’bia a, également, fait d’autres révélations. Selon lui, il était question de convaincre l’ancien président de renoncer à son poste au profit d’Alassane Ouattara déclaré à cette période vainqueur du second tour de la présidentielle 2010 par la Commission électorale indépendante (Cei).
« Nous avons rencontré le président de la République (Gbagbo, Ndlr) et le ministre de la Jeunesse à l’époque, M. Blé Goudé, le ministre des Affaires étrangères (Alcide Djédjé, Ndlr), le ministre de l’Intérieur (Emile Guirielou, Ndlr), le ministre de la Défense (Alain Dogou, Ndlr) et les grands commandements. (…) Nous sommes venus faire une proposition. (…) Notre proposition était, si possible, de se retirer. (…) Ce qui veut dire qu’après les élections, on lui a indiqué qu’il ne les a pas remportées et que nous souhaitons qu’il ne continue pas d’exercer la fonction de chef de l’État , pour éviter les difficultés. (…) Gbagbo ne nous a pas donné de réponse. Il a dit : “J’ai compris’’ », a expliqué l’ex-Directeur général de la police.
Selon lui, il y avait eu une précédente réunion entre Mangou et Gbagbo aux fins de convaincre l’ancien président de renoncer à son poste.
« Nous n’avons pas eu de suite. C’est pourquoi, nous avons-nous-mêmes, l’ensemble des grands commandements, demandé à aller rencontrer le chef de l’Etat. C’était donc une décision unanime. (…) Lorsque nous avions décidé d’aller rencontrer le chef de l’Etat, le commandant supérieur de la gendarmerie ne voulait pas y aller. Mais à la dernière minute, il s’est rallié au groupe et nous sommes partis ensemble », a précisé Brédou M’bia.
Pour plus de précisions, les noms des personnalités à la tête des grands commandements à l’époque ont été cités. Il s’agit de Philippe Mangou, ex-chef d’Etat-major, Edouard Kassaraté, ex-commandant supérieur de la gendarmerie, Guiai-Bi Poin, commandant de l’ex-Cecos et Brédou M’bia, ex-Directeur général de la police.
Par ailleurs, sur une mauvaise formulation d’une question de Mac Donald portant sur la tuerie des « 7 femmes d’Abodo » en mars 2011, comme cela s’est souvent produit depuis le début de son interrogatoire, Cuno Tarfusser, le juge-président dans ce procès a eu cette réaction : « Le mal est fait. Ecoutez, ce n’est pas très clair. Dans ce procès, rien ne semble être clair. Il faut faire très attention. »
En outre, Me Emmanuel Altit, l’avocat principal de Gbagbo, a démarré l’interrogatoire pour le compte de la défense. Au cours de son interrogatoire, Brédou M’bia a fait savoir, entre autres, qu’environ 40 policiers ont été tués par les rebelles des Forces armées des forces nouvelles (Fafn) pendant la crise postélectorale. Abordant le sujet du blocus de l’hôtel du Golf où étaient reclus Ouattara et certains de ses partisans, il a souligné que Mangou a décidé de prendre le relai de la police aux postes d’observations instaurés, après un forcing effectué par ces mêmes rebelles.
« C’est le commandant Morou qui est passé à ce barrage sans s’y être arrêté », a justifié l’ex-Directeur général de la police.
Le bilan de crise postélectorale en Côte d’Ivoire fait état de plus de 3000 morts. C’est dans ce cadre que Laurent Gbagbo et Blé Goudé sont poursuivis par la Cpi pour quatre (4) chefs de crimes contre l’humanité (Meurtres, viols, autres actes inhumains, persécutions).
Alex A