Le 15 mars 2017, le Gouvernement béninois a transmis à l’Assemblée nationale un projet de révision de la constitution datant du 11 décembre 1990 pour un examen en procédure d’urgence. Malgré la mise en place, il y a quelques mois, d’une commission qui a donné son avis sur les différentes réformes envisagées, ce projet a été rejeté le 5 avril 2017 par les députés. Alors que le candidat Patrice Talon avait annoncé cette révision et avait été élu sur cette base, pourquoi son projet a finalement été rejeté?
La constitution béninoise de 1990 a donné un certain nombre de prérogatives au chef de l’Etat comme par exemple la nomination des présidents des institutions républicaines et bien d’autres pouvoirs jugés unanimement peu démocratiques aujourd’hui. C’est d’ailleurs de l’abus de ces prérogatives que sont nés certains conflits interpersonnels sous les précédents régimes. Malgré les critiques du candidat Talon pendant la campagne électorale à ce sujet, les pouvoirs du Chef de l’Etat se sont vus renforcés dans la proposition de réforme constitutionnelle. Ainsi, l’alinéa 2 de l’article 145 du projet de révision énonce par exemple « … Les conventions de financements soumises à ratification, sont ratifiées par le Président de la République qui en rend compte à l’Assemblée Nationale dans un délai de quatre-vingt-dix jours». Autrement dit, le président ne sera plus dans l’obligation de passer par le Parlement pour les ratifications d’accords de prêt. Il devient donc juge et partie. Aussi, le mandat des députés a été prolongé de deux ans donc amené de quatre à six ans et celui des élus locaux de cinq à six ans. Cela permettrait, selon les rédacteurs du projet, de faire coïncider la fin de ces différents mandats avec celle du mandat présidentiel. Mais cette mesure envisagée pour réduire les coûts d’organisation des élections par couplage des trois échéances pose néanmoins le problème de la répartition des pouvoirs. Dans cette optique, le couplage des élections pourrait avoir comme conséquence, la concentration de tous les mandats électifs dans les mains d’un seul camp.
En matière d’état de droit, ce projet de révision place les dirigeants au-dessus de la loi commune, ce qui supprime l’égalité des citoyens face à la justice comme explicité dans l’article 137-4 du projet qui énonce : « La détention provisoire et la garde à vue sont interdites à l’égard des membres du Gouvernement en fonction ainsi qu’à l’égard du Président de la République en fonction ou non. Lorsqu’ils ne sont pas en fonction, la garde à vue et la détention provisoire sont interdites à l’égard des membres du Gouvernement pour des faits commis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions». Il s’agit clairement d’une prime à l’impunité et une atteinte à l’indépendance des juges qui n’auraient a priori aucun moyen d’obliger les dirigeants mis en cause à se présenter pour être jugés. En réalité, les mesures d’interdiction de garde-à-vue pour les membres du gouvernement et le transfert du pouvoir de ratification au gouvernement sont des propositions qui renforcent les appréhensions populaires concernant l’avènement d’une gouvernance patrimoniale et sans possibilité de reddition des comptes.
La procédure d’urgence enclenchée par le gouvernement, si les députés ne l’avaient pas rejetée pour une étude approfondie, aurait aboutie à l’ouverture d’une session extraordinaire qui ne pouvait dépasser quinze jours. Un délai trop court pour débattre des modifications d’une loi fondamentale et qui manifeste par la même occasion l’intention de court-circuiter la volonté populaire. Aussi, y avait-il une possibilité que la nouvelle constitution soit votée par les députés sans même que les populations n’ait émis un quelconque avis. Pour cela l’article 155 de la constitution en vigueur prévoit : « la révision n’est acquise qu’après avoir été approuvée par référendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la majorité des quatre cinquièmes (4/5) des membres composant l’Assemblée nationale ». Il aurait donc suffit d’une poignée d’élus représentant les 4/5 pour faire passer le projet. Mêmes les membres de la commission d’étude des réformes constitutionnelles ont affiché une opposition assez ouverte à la procédure utilisée et à certains passages qui ne reflètent en rien le travail consultatif de la commission. Différents mouvements de grèves et de protestations ont ponctué les semaines précédentes pour appeler à un débat démocratique et au consensus mettant en relief la désapprobation des différentes couches de la société vis-à-vis de la méthode utilisée.
De surcroît, si ce projet de révision était passé, il aurait été la troisième opération de vote de loi en deux mois après la loi sur le recueil de renseignements et celle sur le recrutement des collaborateurs extérieurs de l’Etat. Cependant, l’absence de dialogue social et de communication autour de ces différentes lois votées ne laissent pas les populations présager de leur incidence sur la situation socio-économique critique du pays. La priorité des réformes constitutionnelles sur les autres problèmes n’est pas acceptée par la population qui réclame des mesures économiques et sociales permettant de répondre à leurs attentes en matière d’emploi et d’accès aux services de base. Comme pour dire, ventre affamée n’a point d’oreilles.
Somme toute, le peuple béninois a adhéré à la révision constitutionnelle à travers le projet de société de Patrice Talon qui l’a fait élire. Mais, le contexte défavorable, l’opacité de certains textes et la méthode utilisée ne vont pas dans le sens de la consolidation démocratique. Il est tout à fait prévisible que ce projet n’obtienne pas l’adhésion populaire. Le gouvernement gagnerait donc à envisager une approche plus inclusive et des mesures plus intelligentes afin de préserver la paix sociale déjà menacée par la situation socio-économique peu reluisante du pays.
AHOUANGANSI Mauriac, doctorant-chercheur béninois.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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