Le 20 janvier 2017, l’Unicef lançait au Bénin un film sur l’exploitation économique des enfants. Ce fut l’occasion pour le représentant du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) au Bénin, Claudes Kamenga et la Ministre du Travail, de la Fonction Publique et des Affaires Sociale du Bénin de réitérer l’urgence d’agir pour éradiquer ce phénomène. Renforcer la loi, est-ce une solution pertinente ?
Selon une enquête réalisée en 2013 par l’INSAE, 7.882 enfants sont en situation de travail dans les trois grands marchés du Bénin dont 78% de filles et 46% de moins de 14 ans. Ils y sont exploités en moyenne dix heures par jour sans repos, sans rémunération et au détriment de leurs droits les plus élémentaires. Parfois, ces enfants sont exploités par leurs propres parents pour avoir des ressources complémentaires et nécessaires à la survie familiale.
Le Bénin s’est doté de plusieurs textes de lois pour lutter contre le phénomène ; en l’occurrence, le code des personnes et de la famille et, plus récemment, la loi n° 2015-08 portant code de l’enfant en République du Benin. Mais les dispositions de ces outils juridiques ne sont pas appliquées sur le terrain, surtout dans les marchés où travaille la majorité des enfants. Les agents collecteurs en arrivent même à collecter des taxes sur des activités gérées par des mineurs, faute de connaissance des lois.
On remarque donc l’impact peu significatif de ces lois sur le terrain au point que « le taux des enfants travaillant est passé de 34% à 52,5% au Bénin » selon le Comité des organisations sociales de défense des droits de l’enfant (Close) en novembre 2016. Pendant ce temps là, les fonctionnaires en profitent pour extorquer des pots-de-vin aux contrevenants. Si toutes ces lois n’ont pas stoppé le phénomène, c’est qu’elles ne suffisent pas.
En effet, il serait même contreproductif d’interdire directement le travail des enfants sans avoir pris d’autres mesures préalables. Une enquête d’OXFAM a montré que les enfants qui travaillaient dans les usines textiles bangladeshies se sont retrouvés dans des conditions bien pires après l’arrêt de leur exploitation dans les usines par des sanctions judiciaires. Ces mesures ont conduit certains employeurs des enfants, d’une part, à refuser d’employer les enfants, ce qui a jeté bon nombre d’entre eux dans la rue avec les risques de délinquance, de drogue et de prostitution. Et d’autre part, d’autres employeurs ont continué à utiliser les enfants mais en les payant moins car ils intégraient le coût éventuel de la sanction légale. Cela renforçait la paupérisation des enfants et un véritable cercle vicieux.
A l’unanimité, la pauvreté est reconnue comme étant à l’origine du travail des enfants. De ce fait, il s’agit d’un phénomène lié à l’état de développement d’un pays. D’ailleurs, des pays aujourd’hui développés ont déjà souffert de ce fléau. Il s’agit notamment de la Grande-Bretagne où le travail des enfants s’était accentué lors de la révolution industrielle ; la France également dans son évolution a eu recours au travail des enfants pour les récoltes. Bien entendu, le besoin de main d’œuvre ne légitime pas le recours au travail des enfants. Mais cela explique pourquoi le recours au travail des enfants s’est imposé à un moment dans l’évolution de ces nations vers la prospérité.
Au-delà de la contrainte de l’état de développement, un des freins à l’éradication du travail des enfants est le mauvais fonctionnement du système scolaire au Bénin. Car il souffre d’un double déficit à la fois quantitatif et qualitatif. Sur le plan quantitatif, le manque criard d’infrastructures et d’enseignants peut être en partie résorbé par le development de partenariats public-privés susceptibles d’aménager les infrastructures nécessaires, notamment les écoles, les cantines, les internats. Cela permettra aussi la disponibilité de suffisamment de ressources matérielles et humaines. La facilitation des démarches foncières et administratives aux privés boosterait également l’investissement dans ce secteur. Concernant la qualité, « le taux d’abandon se chiffre à près de 13 % lorsque l’école est à plus de 30 minutes de marche de la maison, contre 7 % lorsque l’école est à moins de 30 minutes du domicile. Ces taux peuvent être inversés par des aides ciblées conditionnées à l’assiduité dans les zones rurales. Surtout, pour les filles qui sont le plus souvent dans cette situation, ce qui créé une sorte de reproduction intergénérationnelle de la pauvreté et de l’exploitation des enfants. Parallèlement, il est besoin de réfléchir à une formule d’enseignement qui combine à la fois l’école et le travail dans les champs pour s’adapter aux besoins du monde rural.
Dans la perspective d’une éradication du phénomène, la lutte contre la pauvreté doit s’accentuer et être plus pratique qu’administrative dans un pays où le taux d’extrême pauvreté est évalué à 59,9% en 2015 selon le PNUD. Les exemples de réussite dans cette lutte, au Brésil, en Inde, au Mexique, en Chine et au Viêtnam, nous enseignent qu’il y a une porte de sortie grâce à la mise en place de politiques ciblant la vulnérabilité des plus pauvres. Ces pays y sont arrivés grâce à des programmes de bourses aux familles démunies, les programmes « opportunidades ». Loin d’encourager l’assistanat, c’est un bon système de protection sociale qui peut produire des résultats convaincants. Ces pays ont ainsi réussi à réduire le travail des enfants grâce à des politiques d’ouverture à la mondialisation, ce qui leur a permis d’accroître les opportunités disponibles, et de réduire ainsi le besoin de faire travailler les enfants.
Dans le contexte béninois, l’Etat devrait faciliter l’accès à la propriété, au financement ciblé surtout pour les femmes mais également à une assistance technique pour la mise en place des microprojets et des activités génératrices de revenus, afin de permettre l’émancipation économique des populations les plus vulnérables. Aussi, l’amélioration de la productivité agricole est indispensable, ce qui permettra de libérer les enfants pour les envoyer aux écoles.
En fin de compte, l’équation s’avère simple. Plus les parents auront les moyens de s’occuper de leur progéniture et moins les enfants seront exploités. Plus les parents auront conscience des dangers de l’exploitation économique de leurs enfants, et plus ils seront réticents à les faire travailler.
Mauriac AHOUANGANSI, étudiant-chercheur, Bénin.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.