Au Bénin, depuis la Conférence nationale qui a ouvert la voie au multipartisme, on assiste à un émiettement continu du champ politique. Largement tributaire du nomadisme politique, la création de partis politiques est devenue une activité rentable. Le Bénin compte aujourd’hui plus de 300 partis politiques dont à peine 10% ont exercé un mandat électif depuis 10 ans. Pire, depuis la fin du Marxisme-léninisme marqué par des années d’autoritarisme, aucun membre du sérail politique n’a été élu Président de la République jusqu’à ce jour. Mais comment rationaliser le champ politique, sans porter atteinte au droit d’association, et à la liberté d’expression?
Réformer sans brider
Au-delà de toute réforme réglementaire, il y a lieu de réorganiser les partis autour d’une idéologie politique car au Bénin, après 26 années de multipartisme, cette donne semble totalement absente de l’échiquier politique. Cette absence d’idéologie politique favorise les micro-partis à caractère régional ou ethnique dont le seul dessein est le marchandage et le business des déclarations de soutien. En réalité, on peut réformer sans abimer la liberté d’association, moderniser le champ politique béninois sans détruire la liberté d’expression. En ce sens des corrections peuvent être apportées à ces déficiences à travers un renforcement des conditions de création des partis. Par exemple, opérer un relèvement du nombre minimum des membres fondateurs par département tout en veillant, selon un mécanisme de fichier unique au Ministère de l’Intérieur, à ce que lesdits délégués ne soient pas des « déjà membres » ou militants d’autres partis ou tout au moins que leur démission au sein du premier parti soit établie et prouvée par un acte officiel. Présentement fixé à 10 personnes par département, ce nombre peut être porté à 200 voire même 300 si l’on veut simplement suivre la croissance démographique et l’évolution du fichier électoral durant ces 20 dernières années. On peut aussi prévoir, un mécanisme démocratique favorisant ceux qui ont le soutien populaire à travers l’obligation de recueillir préalablement un certain nombre de parrainages. Toutefois, pour qui observe bien les vices de la classe politique béninoise, une question demeure : ce parrainage n’ouvrira t-il pas la voie à une nouvelle forme de mercantilisme ? Pour endiguer la « poussée du régionalisme » et pour se conformer au nouveau découpage territorial, il peut-être exigé que chaque parti dispose, en dehors du siège national, de bureaux dans les 12 chefs-lieux de département. Dans ce Bénin, où l’interdit devient très souvent relativement admis, une disposition pourrait préciser que la déclaration d’un siège ou bureau fictif est sanctionnée de la suspension des activités du parti ou d’une amende élevée à la charge du parti.
Parallèlement, il faut approcher la question de la transhumance qui alimente l’émiettement des partis de façon réaliste et pragmatique. La rationalisation du champ politique ne saurait être opérante sans une législation anti-transhumance. Pour prévenir ce genre de pratique, le Bénin pourrait s’inspirer de l’exemple du Niger qui, mieux que le Sénégal et le Burkina-Faso, a constitutionalisé la lutte contre la transhumance (Art 69 al 5 et 6) en prévoyant les cas de déchéance ; les organes compétents pour constater la déchéance ; et ceux devant pourvoir au remplacement des déchus. Si la persistance de la multiplication des partis reste liée à la transhumance et aux infidélités politiques de tout genre, la non application des sanctions prévues dans la charte par le Ministère de l’Intérieur, est un terreau dont se nourrit l’émiettement.
Sortir la charte des placards
En effet, l’article 7 de la Charte des partis politiques dispose que le Ministre de l’Intérieur peut ordonner la dissolution d’un parti politique si ce dernier ne se présente pas deux fois de suite aux élections législatives. Plus de 250 partis n’ont plus jamais été aux législatives depuis trois mandatures. Et pourtant, les Ministres de l’Intérieur qui se sont succédés depuis 15 ans n’ont pas daigné faire le ménage. Pour contourner l’inefficacité historique du Ministère de l’Intérieur, la Cour constitutionnelle qui juge la recevabilité des candidatures et proclame les résultats des législatives est indiquée pour constater la non participation aux élections nationales et locales. Ainsi, la cour constitutionnelle, dont la neutralité est moyennement acquise, pourra rendre une décision exécutoire. Le Ministère de l’Intérieur n’aura plus qu’à acter le retrait d’agrément prévu par la Charte en son article7.
De même, la charte impose aux partis politiques de tenir leur convention, leurs congrès et de mobiliser le financement interne grâce à la cotisation des membres dans les proportions fixées par les textes. Ces obligations ont rarement été respectées par les partis mais les sanctions prévues à cet effet, n’ont jamais été prononcées. Le financement des partis politiques par les militants, doit être rendu effectif en leur sein. Plus qu’une nécessité, les cotisations des militants à la base est un impératif car elles constituent le cœur du fonctionnement normal des partis politiques. Il s’agit de faire cotiser les militants pour qu’ils aient leur mot à dire lors des grands débats et décisions au sein de ces partis. L’une des causes de la transhumance est le manque de démocratie et les frustrations liées à la non prise en compte des opinions des militants lambda, et celles générées par la possibilité pour les chefs de partis, bailleurs exclusifs, d’être les décideurs exclusifs aussi. En effet, ils sont nombreux ces chefs de partis qui prônent un discours démocratique mais qui au sein de leur formation politique pratiquent l’exact contraire. Ce financement interne doit être un préalable à celui attendu de l’Etat. A cet effet, le projet de loi sur le financement des partis politiques existe mais peine à être voté. Il faudra franchir ce pas. Ce faisant, le mécanisme de financement peut atténuer l’emprise des leaders détenteurs du cordon financier dans les choix politiques.
Enfin, il serait intéressant d’engager dès à présent des réflexions sur le passage du scrutin proportionnel de liste avec plus fort reste à un scrutin majoritaire à un tour. Il appelle à plus de responsabilisation de la classe politique, un mode de scrutin tranché qui contraint à s’unir en grande formation politique pour subsister. Pour y parvenir, il est impérieux de bousculer les certitudes et sortir les hommes politiques de leur zone de confort. On pourrait adjoindre à cette réforme un seuil de représentativité d’un pourcentage de voix nationales pour avoir accès au partage des sièges. En juillet 2015, un groupe d’experts a recommandé au moins 10% du suffrage national. Quoi qu’il en soit, il faut aller au dialogue avec tous les acteurs et rechercher le point d’équilibre de façon réaliste.
Kassim HASSANI, journaliste béninois.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.