Le Président français, Emmanuel Macron, a annoncé, jeudi 17 juin 2021, la fin de l’opération « Barkhane ». Depuis 2014, la France est engagée au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. L’idée de mettre fin à l’opération Barkhane, tout au moins dans sa forme actuelle, n’est pas récente. Mais, il semble que les choses se soient accélérées au lendemain du premier coup d’Etat du 18 août 2020, perpétré par les militaires maliens, qui ont mis fin au régime du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Déjà, sous IBK, un dialogue inclusif prévoyait d’ouvrir des négociations avec les groupes djihadistes.
La France s’est inquiétée de la nature de ce dialogue inclusif entre la transition militaire malienne et les djihadistes. Or, après le premier coup d’Etat du 18 août 2020, les militaires, ont organisé un second coup d’Etat à l’issue duquel l’homme fort de la transition militaire, le colonel Assimi Goïta., s’est fait nommer président de la République par la Cour constitutionnelle. Si la question du retour à l’ordre démocratique et constitutionnel se pose, Emmanuel Macron s’interroge aussi sur les véritables intentions du colonel Assimi Goïta, qui serait, semble-t-il, prêt à pactiser avec l’islamisme radical, même si la transition militaire n’a pas encore ouvert officiellement le canal de négociation avec les groupes djihadistes. Après ce deuxième coup d’Etat en neuf mois, Emmanuel Macron a laissé entendre que la France retirerait ses troupes, si le Mali allait « dans le sens » d’un islamisme radical.
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Lors de son voyage au Rwanda, il avait déclaré : « Au président malien Bah N’Daw, qui était très rigoureux sur l’étanchéité entre le pouvoir et les djihadistes, j’avais dit : “ L’islamisme radical au Mali avec nos soldats sur place ? Jamais de la vie ! ” Il y a aujourd’hui cette tentation au Mali. Mais si cela va dans ce sens, je me retirerais ». Ce message a été passé à tous les dirigeants de l’Afrique de l’Ouest, tout en rappelant que, depuis trois ans, « au sein de plusieurs Conseils de défense » la France avait abordé cette question de la « sortie ». L’annonce de la fin de l’opération Barkhane, même si elle apparaît brutale aujourd’hui, n’est donc pas une surprise. S’agit-il d’un moyen de pression sur les militaires maliens qui instrumentalisent le sentiment anti France que répandent certains groupes d’activistes ? L’enjeu de cette instrumentalisation est connu : le départ de la France permettrait aux militaires et à certains hommes politiques maliens d’aller chercher d’autres partenaires comme la Russie ou la Chine, qui sont moins regardant sur les questions de démocratie. Mais, si Macron annonce la fin de l’opération Barkhane, c’est aussi parce que la France mesure le risque d’enlisement que représente cette guerre au Sahel.
Au Sommet du G5 Sahel à Pau, en janvier 2020, Macron avait déclaré : « j’ai préparé un chemin de sortie. Je suis resté à la demande des États (…). Mais la question se pose, et nous n’avons pas vocation à rester éternellement là-bas ». La France entend cependant rester un partenaire majeur de la lutte contre le terrorisme au Sahel, notamment en donnant une dimension européenne à cette lutte, en s’appuyant sur des partenaires comme les Etats-Unis et en renforçant les armées africaines. Quel risque prendrait la France en lâchant le Mali et le Burkina Faso, deux maillons réputés faibles du dispositif de sécurité au Sahel ? Un risque majeur, c’est évident. Pour le Sénégalais Boubacar Bertrand Baldé, spécialiste en sciences politiques, « La France ne va pas lâcher d’un coup de tête le Mali, car la survie du pays, mais aussi des autres pays de la région, en dépend largement ». Ce qui se joue au Mali et au Burkina, c’est la sécurité des pays de la région, comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire.
Redessiner une ligne de sécurité contre le terrorisme
Sur les pays du G5 Sahel, on peut dire que le Tchad est un allié fidèle en capacité de conduire une lutte contre le terroriste, comme la Mauritanie qui semble pouvoir se débrouiller seule. Le Niger, qui mène une lutte résolue contre le terrorisme, indique payer « un lourd tribut de cette guerre asymétrique qui lui est imposée », le gouvernement consacrant aujourd’hui « plus de 17% du budget de l’Etat à la sécurité ». Pour la première fois dans l’histoire politique du Niger, une alternance a eu lieu entre Mahamadou Issoufou, un Président de la République démocratiquement élu, et Mohamed Bazoum, lui aussi élu démocratiquement. Les situations au Mali et au Burkina Faso sont différentes, les armées de ces deux pays n’étant pas en mesure de faire face à l’ennemi djihadiste. Après huit années d’engagement au Sahel, la lutte contre le terrorisme mené par la France n’est pas un échec. Les djihadistes ont été bloqués, mais l’opération Barkhane, avec une France qui est seule, n’est plus adaptée.
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Pour Antoine Glaser, spécialiste des questions africaines, en annonçant la fin de Barkhane, Macron « donne un coup de pied dans la fourmilière pour essayer de reprendre sa stratégie ». Selon Glaser, la stratégie que poursuit Macron est la suivante : « pas d’armée française seule dans le Sahel, mais une coalition internationale avec les Européens en fer de lance ». En ne voulant plus d’une France seule en première ligne sur le continent, Macron souhaite rompre définitivement avec la « Françafrique » et mettre fin aux campagnes de déstabilisation, alimentées par la Russie, qui dénonce le néocolonialisme de la France au Mali. Il en appelle à une « alliance internationale », articulée autour du groupement européen de forces spéciales Takuba. Notons qu’après la très symbolique sortie de la France de la gestion du Franc CFA, Macron annonce la fin de l’opération Barkhane. Cette sortie du tête à tête de la France avec l’Afrique doit permettre à Macron d’avancer plus librement dans le nouveau partenariat qu’il souhaite nouer avec le continent africain, notamment en accélérant les politiques de développement, en investissement massivement au sortir de la pandémie de Covid-19 « avec l’équivalent d’un plan Marshall » et en effaçant « une partie de la dette pour aider les Africains à bâtir leur avenir ».
La fin de l’opération Barkhane, dans sa forme actuelle, ne s’est pas faite sur un coup de tête. Les soubresauts du Mali et les ambiguïtés de la transition militaire ont accéléré une décision en réflexion depuis des mois. La France continue à regarder de près ce qui se passe au Sahel, mais aussi dans des pays amis comme le Sénégal et en Côte d’Ivoire, que l’on croyait épargnés par les attaques des groupes djihadistes. Or, on y découvre chaque jour des attaques et des tentatives d’infiltration. C’est pour cela que la fin de Barkhane fait réagir à Abidjan, Dakar et Ouagadougou.
Christian GAMBOTTI,
Agrégé de l’Université,
Président du think tank Afrique & Partage –
CEO du CERAD (Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique de Demain) –
Directeur des Collections L’Afrique en Marche, Planète francophone –
Directeur de la rédaction du magazine Parlements & Pouvoirs africains.