Dans un article, Marwane Ben Yahmed, directeur de publication de Jeune Afrique, revient sur les mutineries des ex-rebelles.
Son message est simple : ne pas avoir la mémoire courte. Il écrit : « Dans la nuit du mercredi 22 au jeudi 23 décembre 1999, un petit groupe de soldats, dont certains ont le visage grimé ou dissimulé par une cagoule, s’empare sans coup férir de la poudrière du camp d’Akouédo, sur la route de Bingerville, à l’est d’Abidjan. (…) Tout le monde connaît la suite : la chute du président Bédié au profit d’une junte dirigée par le général Robert Gueï. »
Dans l’esprit de Marwane Ben Yamed, « la Côte d’Ivoire de l’époque n’était pas celle d’aujourd’hui, en particulier sur le plan politique. » Il ajoute : « il faut se souvenir de décembre 1999. Il n’est jamais bon, ici comme ailleurs en Afrique – nombre d’ex-chefs d’État peuvent en témoigner –, de laisser des mutins, pour la plupart sans éducation, jouer les pyromanes, menacer l’autorité de leurs supérieurs et du gouvernement, et se convaincre, comme un acquis pavlovien, que tirer en l’air et prendre en otage les populations aboutirait nécessairement à la satisfaction de leurs desiderata».
Or, depuis novembre 2014, les mutineries sont nombreuses. Laissons de côté, pour l’instant, la situation de l’armée ivoirienne. Le sujet ce ma réflexion est celui d’une cache d’armes qui aurait été découverte. Réalité ou « fake news » ? Si cette cache d’armes existe, questions : Où ? Qui ? Quelles armes ? Pour quel objectif ? S’il s’agit d’une « fake news », qu a intérêt à la propager ? À embraser les réseaux sociaux ?
Ne pas réagir de façon irrationnelle : l’irresponsabilité des réseaux sociaux
L’affaire des armes découvertes est une affaire sérieuse, qui mérite d’être traitée avec sérénité, sans accusation gratuite, ni dénégation. Le gouvernement s’est emparé du dossier. Sauf à traiter le gouvernement d’incompétence ou de légèreté, il faut laisser les plus hautes autorités de notre pays travailler sereinement et dans la discrétion. Aux uns et autres , je conseille d’être prudents, et de faire preuve de calme et de responsabilité.
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Il est temps pour nous, les Ivoiriens, de sortir des réflexes « pavloviens » qui consistent à insulter un adversaire ou un contradicteur, l’attaquer sur sa personne, sans aborder les questions de fond. Juger les gens et non leurs idées , s’en prendre à la personne au lieu de s’en prendre à ses ( des ) idées .
L’idée que je défends est la suivante : personne ne doit être accusé à tort, ni insulté. Aujourd’hui, l’opprobre est jeté sur certaines personnes à partir de simples allégations ou de «news» diffusées sur les réseaux sociaux. L’embrasement des réseaux sociaux montre qu’un tweet anonyme est pris plus au sérieux que la parole politique ou une enquête d’un journal.
Les réseaux sociaux sont devenus la forme d’un totalitarisme moderne, le tribunal permanent de la raison, de l’intelligence. Ils peuvent être aussi, dans une logique de propagande, des instances qui portent, de façon anonyme, ou explicite, la parole gouvernementale.
À ma connaissance, aucune accusation officielle et formelle n’avait encore été portée par les autorités ivoiriennes , contre un individu, contre « quiconque », lorsque les dénégations et les démentis sur cette affaire de cache d’armes, se sont entendre ça et là.
Ceux qui ont proféré, sur les réseaux sociaux, des accusations contre des personnes connues n’ont pas été identifiés. Or, ils doivent répondre de leurs allégations, s’ils diffusent des « fake news ».
Ils doivent, à l’inverse, être informés, voire associés à l’enquête en cours, s’il existe des charges tangibles contre les personnes accusées. Jusqu’à ce jour, aucune charge formelle n’a été imputée à quiconque, malgré l’annonce de perquisitions sur le terrain.
Une réalité : l’existence de caches d’armes
L’existence de cette cache d’armes découverte récemment, et de bien d’autres sur l’ensemble du territoire, est bien une réalité. Selon divers témoignages recueillis les armes découvertes ne font pas partie de l’arsenal officiel et régulier de l’État de Côte d’Ivoire. Elles ne sont pas répertoriées par les responsables des armureries ivoiriennes.
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Durant la dernière mutinerie, aucune arme ne serait sortie des armureries et poudrières officielles de l’armée ivoirienne.
Mais, alors, d’où proviennent les lance-roquettes et autres armes de guerre, dont les mutins se sont servis ? La question est importante, car cet armement aurait pesé dans la balance pour la satisfaction des revendications d’ordre financier.
Selon les mêmes témoignages, c’est pour contrer la puissance de feu des forces envoyées à l’entrée de Bouaké pour un assaut, au plus tard le lundi 15 mai en cas de refus de libérer les corridors, que les soldats mutinés auraient bénéficié de complicités pour acquérir ces armes, des armes lourdes qui leur ont permis de maintenir avec fermeté et insistance leurs positions. Quelles sont ces complicités ?
En réalité, selon le proverbe « si tu veux la paix, prépare la guerre », si le gouvernement avait bandé les muscles et ses forces, c’était justement pour ne pas avoir vraiment à les utiliser, mais plutôt pour faire plier les militaires mécontents, à la vue de la force.
La fermeté ne signifiait pas assaut final avec mort d’hommes militaires et civils, mais négociations sérieuses. Ne pas vouloir et ne pas pouvoir payer quoi que ce soit aux mutins, ne signifie pas qu’on veut forcément faire la guerre et traiter en ennemis, les ex-rebelles.
Le problème est que ette posture de fermeté dans le dialogue , ou l’art de brandir sa force sans avoir à l’utiliser, avait fait l’impasse sur l’ampleur de l’existence des armes cachées et non répertoriées, ayant servi à doper et décupler la détermination de quelques centaines de meneurs parmi les 8400.
Ce que je dis sur certaines complicités qui ont permis aux mutins de s’armer lourdement est, bien entendu, récusée aussi bien par les personnes visées par les informations répandues sur les réseaux sociaux, que par leurs soutiens. Les récusations font état de ce qu’il s’agit d’armes prises à la poudrière d’un des camps, ou des armes du Ccdo tombées, par hasard, entre les mains des mutins. Comme le hasard fait bien les choses….
Toujours est-il que ces armes étaient effectivement des armes hostiles aux forces républicaines parties rétablir l’ordre. Les forces armées loyales ignoraient, – comment est-ce possible ? -, que les mutins disposaient d’armes lourdes.
Un défi pour la démocratie ivoirienne et la IIIè République : sortir de la logique des armes
Conscient de la possibilité d’existence d’armes disséminées sur l’ensemble du territoire, parce que, d’une part, la survie de la rébellion en dépendait durant au moins 7 ans ; parce que, d’autre part, y a eu la crise post-électorale, le Chef de l’État et le gouvernement ivoiriens avaient, à plusieurs reprises, invité les différents responsables concernés à déclarer les caches d’armes et à retourner aux râteliers ce qui était dans la nature. Le problème reste posé.
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Il est lié au contexte de crise vécu par le pays, au cours de la décennie. Tout le monde doit collaborer pour la manifestation de la vérité.
L’Assemblée nationale s’étant réunie , les députés à la suite de la requête de Lider, ont proposé sans chercher à entraver l’information judiciaire ouverte, d’aider, à travers une commission d’enquête parlementaire, à établir que les armes découvertes ne font pas effectivement partie de la dotation de l’armée ivoirienne, que les poudrières n’ont pas été dépouillées par les militaires mécontents, et que les armes découvertes proviennent effectivement de commandes faites au profit de la Côte d’Ivoire, via des pays amis vers la fin de la crise post-électorale.
La crise ayant pris fin plus vite que prévu, les différentes forces n’ont pas eu à utiliser les commandes faites. Tout est donc parti de cette période.Le temps de faire la vérité sur les caches d’armes est arrivé.
Lorsque la Côte d’Ivoire avait voulu s’équiper, et équiper ses forces de sécurité et de défense, l’Onu avait indiqué qu’elle n’avait pas besoin des armes commandées, sauf à vouloir un suréquipement parce que des tonnes d’armes commandées à destination de la Côte d’Ivoire étaient censée se trouver dans le pays.
Les Ivoiriennes et les Ivoiriens, premières victimes du déchaînement des armes, veulent la vérité. Cependant, les affaires militaires et de sécurité doivent rester secrètes. Ce qui relève du « Secret Défense » ne doit pas être exposé sur la place publique. C’est aussi une question de sécurité pour le pays et les populations, en particulier avec la menace terroriste.
C’est peut-être cela qu’a compris le Président de l’Assemblée nationale, en parlant de « Secret Défense ».
Certains pourraient y avoir une manière de tuer l’enquête, de l’étouffer, d’empêcher la manifestation de la vérité , ou tout simplement de la reporter (façon solution diplomatique dans l’affaire des écoutes), mais son propos permet de savoir que même si le tribunal populaire n’est pas informé, la vérité ne saurait se soustraire aux yeux du Président de la République, le gouvernement et bien d’autres. Impossible d’invoquer devant eux le « Secret Défense » !
Charles Kouassi