Au lendemain des protestations populaires qui ont émaillé la rue en début du mois de janvier 2017 à Bejaïa et à Bouira (à 230 km à l’est d’Alger), les dirigeants algériens ont réagi en criant à «la main étrangère». Une réaction qui montre que le pouvoir ne se remet jamais en cause et s’entête à contourner l’amère réalité de la dégradation de la situation socioéconomique. Mais, pourquoi le pouvoir algérien se complait-il autant dans le déni ?
Un constat sans appel
Bien présente en Algérie depuis longtemps, la précarité sociale s’est exacerbée avec la chute du prix des hydrocarbures. Entre 1,7 et 2 millions de familles vivent dans le dénuement total, selon les chiffres officiels. La situation serait encore plus alarmant selon des associations à caractère social qui estiment à 10 millions le nombre de démunis. Par ailleurs, le taux de chômage est reparti à la hausse avec 10,5% en septembre 2016 contre 9,9% en avril 2016, selon l’Office national des statistiques (ONS). Ces chiffres seraient eux aussi sous-estimés puisque certains observateurs annoncent un taux de plus de 20%.
Dans ce contexte, la loi de finances 2017, pour compenser la chute de 70% des revenus pétroliers en deux ans, prévoit de nouvelles taxes et des hausses de taxes (augmentation de la TVA, impôt sur les revenus, impôts locaux, etc.). Cela se traduira par une augmentation des prix de nombreux produits, ce qui va aggraver l’inflation dont le taux a atteint 6,2% fin novembre 2016, alors que les pouvoirs publics tablaient sur un taux oscillant entre 4 et 5%. Cette inflation se trouve à l’origine des difficultés ressenties par la catégorie la plus vulnérable qui, avec un SMIG mensuel de 18.000 DA (l’équivalent de 154 Euros), voit son pouvoir d’achat, déjà chancelant, s’amenuiser davantage.
Un modèle dirigiste obsolète
Sans parvenir à juguler la précarité sociale, les dirigeants politiques ont déboursé plus de 900 milliards de dollars US depuis 1999, date d’arrivée du président Bouteflika à la tête de l’Etat. Les différents gouvernements (Benbitour, Benflis, Ouyahia, Belkhadem et encore moins Sellal) qui se sont relayés n’ont jamais daigné établir de bilan. Ils n’ont pas encore compris que le modèle dirigiste est voué à l’échec car va à l’encontre de la loi universelle, selon laquelle la source originelle de création de richesse est l’entreprise privée et non l’Etat. Quand la consommation et l’investissement publics se substituent à la consommation et investissement privés, cela signifie que la logique politicienne supplantera la logique économique d’efficacité et de rationalité. Le résultat est inéluctable : une mauvaise gestion des ressources. A titre d’exemple, l’autoroute Est-Ouest dont le montant initial des travaux s’élevait 7 milliards de dollars, a coûté 13 milliards de dollars, et elle n’est pas encore achevée dix ans après le lancement des travaux. Le modèle dirigiste avec ses variantes de nationalisations, de substitutions des importations, a été un fiasco. Hormis les complexes pétrochimiques, quasiment toutes les usines réalisées sous le règne de Boumediene jusqu’aux années 90, ont été mal gérées, précipitant des milliers de travailleurs au chômage. En dépit de ces effets pervers flagrants, les autorités algériennes n’ont pas encore pris conscience des dangers du dirigisme économique car cela exige de leur part de renoncer au contrôle de l’économie. Chose qu’elles rechignent à faire tout en continuant à tergiverser sur l’ouverture du marché et la nécessité d’améliorer la liberté économique.
Le deal paix sociale par la redistribution a atteint ses limites
Aveuglés par le pouvoir et les privilèges, les dirigeants algériens ne perçoivent pas la réalité sociale. Ils préfèrent user d’artifices tels que les subventions, notamment des produits de première nécessité, pour maintenir la paix sociale plutôt que d’aborder les problèmes structurels. L’Etat a également misé sur la fonction publique pour tenter d’absorber les flux des demandeurs d’emploi. Des allocations sont versées à des associations inutiles, sans aucun rôle social ou dans des projets d’emplois jeunes qui ne répondent à aucune logique économique.Au lieu d’agrandir le gâteau (richesse nationale) et permettre à tout le monde d’en profiter, le pouvoir algérien se contente de redistribuer quelques miettes de la manne pétrolière, sans répondre aux véritables attentes de la population. Ce contrat était possible tant que la manne pétrolière coulait à flots, mais avec la chute des cours des hydrocarbures, le pouvoir algérien se trouve incapable de continuer à honorer le deal. Et quand le peuple se soulève, exigeant le maintien de ses acquis, le pouvoir s’étonne, considérant les citoyens comme ses sujets, ses obligés auxquels il fait des faveurs. On retrouve ici le réflexe féodal du seigneur qui ne reconnaît jamais le droit de son vassal.
Des dirigeants au-dessus de la reddition des comptes
Dans une économie rentière comme celle de l’Algérie, les dépenses de l’Etat sont financées essentiellement par les recettes de l’exploitation pétrolière. En conséquence, le budget de l’Etat n’est pas dépendant des impôts payés par les contribuables. Or, le fondement du contrat démocratique est la représentation parlementaire (visant le contrôle du gouvernement) en échange de l’impôt. L’autonomie fiscale du gouvernement fait que ce contrat est rompu dans le cas algérien. En conséquence, les autorités algériennes se sentent dispensées de rendre des comptes ou de répondre aux attentes des populations. Et quand vous avez un parlement fantoche, il est aisé de comprendre que le pouvoir algérien ne puisse reconnaître ses torts et assumer ses responsabilités. Pis, il s’engage même sur le chemin de la répression pour faire taire les voix discordantes ou museler les opposants turbulents. Ainsi, l’Algérie dont la population avoisine les 40 millions d’habitants, compte plus de 209 000 policiers, presque autant qu’en France qui compte plus de 60 millions d’habitants. Dès lors, et face à la faillite de l’économie, la seule réponse du régime rentier reste l’oppression et la violence.
Somme toute, ni le dirigisme, ni la redistribution et encore moins la répression permettront aux autorités algériennes de sortir de l’impasse. Elles pourront peut-être reporter l’échéance fatidique, mais elles ne pourront jamais échapper à la sanction populaire si elles restent dans le déni. Il est plus que jamais urgent qu’elles déverrouillent aussi bien le système politique qu’économique afin de libérer les forces vives des Algériens, condition sine qua non pour construire une Algérie paisible et prospère.
Lahouari Bouhassoune, journaliste algérien.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.
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