Après avoir décidé de ne plus rien dire au sujet de la date de son retour au pays ( car un combattant ne dit pas sa date de retour , estime-t-il ) , Tiburce Koffi a accepté de répondre aux questions du quotidien l’Intelligent d’Abidjan , relativement à l’actualité ivoirienne , notamment le limogeage des ministres Mabri Toikeuse et Gnamien Konan , les élections législatives et l’arrêt de la Cour Africaine des droits de l’homme et du peuple ( Cadhp ) sur la Cei.
Quelle est votre réaction au sujet du limogeage de Gnamien Konan et Mabri Toikeuse ?
C’est l’actu politique en ce moment au pays. Une amie m’a réveillé pour me l’annoncer comme s’il s’agissait d’un séisme. À mon avis, c’est un non événement. D’abord parce que ces deux ministres ne sont pas, à vrai dire, de fortes personnalités politiques. Quels discours d’orientation politique en matière de projection et de lecture du terrain national et mondial ont-ils produit, ou sont-ils capables de produire ? Aucun. Leurs scores respectifs à la présidentielle de 2010 indiquent parfaitement leur spectre de rayonnement et d’influence. Nul. Ils ne pèsent rien au sein de la machine Rhdp, ni dans la psyché des Ivoiriens. C’est Mabri et Gnamien qui ont besoin du Rhdp et non l’inverse. Ces considérations sont très importantes pour une meilleure lecture de ma position par rapport à la question que vous me posez : Mabri Toikeuse et Gnamien Konan doivent leurs statuts de ministres à la seule volonté du Président Alassane Ouattara et non à leurs propres mérites de politiciens ou de producteurs d’idées. Ce ne sont pas des leaders d’opinion , et ils ne produisent politiquement et intellectuellement rien. Ils ne sont pas plus méritants ni plus aptes que d’autres ivoiriens à être à ces postes politiques. J’insiste sur le groupe de mots « postes politiques ».
Mabri et Gnamien sont membres ou supposés membres d’une alliance. En politique, ce sont des notions qui ont leur sens. Ça signifie, dans le cas d’espèce, que Mabri et Gnamien ont librement accepté de se défaire de leur liberté citoyenne et politique avec tout ce que cela renferme de contenu idéologique et de choix stratégiques, afin de pouvoir figurer au sein d’un Gouvernement d’Alliance. Cela signifie ceci : le Président de la République leur donne ces postes en échange de leur consentement à ses choix et orientations politiques. Mabri et Gnamien ont accepté cela ; ils ont joui des avantages à être ministre. Et à présent que le chef a besoin de leur caution entière et sincère pour sa politique, ils le taclent ! Pourquoi se permettent-ils d’adopter des comportements qui jurent avec l’Alliance ? La sanction est juste. Et il faut que le Président soit ferme et l’applique à tout irréductible — le mot cher à Bédié ! La qualité d’une alliance repose sur la fidélité et la sincérité de ses signataires. Que vaut une alliance que le premier fantaisiste et libertin venu peut remettre impunément en cause ?
Est-ce dire que vous donnez raison au ministre Bandaman pour votre propre limogeage ?
Je vous vois venir. Évitons les amalgames, cher ami. Je ne suis pas un politicien. Je ne suis militant d’aucun parti politique. Je n’étais et ne suis en alliance avec personne. Je suis un intellectuel libre penseur, un technocrate de la Culture et des Arts. Je n’ai signé d’alliance et allégeance à qui que ce soit, même si j’ai des préférences parmi le personnel politique ivoirien. Je n’ai pas demandé à aller diriger l’Insaac ; et jamais je n’aurais sollicité un tel poste qui, sur le plan administratif, était, pour ce qui me concerne, une rétrogradation. Le dernier poste administratif que j’ai occupé était celui de « Conseiller spécial », un poste qui me rapprochait du statut de ministre. J’ai accepté d’aller travailler à l’Insaac parce que selon le ministre qui m’a appelé à cet effet, et vous savez qui c’est, ce n’est pas Bandaman, c’est le chef de l’État qui demandait que j’aille accomplir cette mission. Maurice Bandaman m’avait déjà proposé un poste de conseiller à son cabinet. Demandez-lui quelle fut ma réponse : « Je ne peux pas accepter un poste de conseiller d’un ministre après avoir été Conseiller d’un chef d’État et Conseiller spécial ! » Tout de même ! Qu’on me respecte un peu ! En revanche, je lui ai demandé de nommer l’actuel Dg de l’Institut, le Pr Armand Goran Koffi à ce poste ; Armand fait partie des jeunes que je peux appeler « mes protégés » Je l’ai accompagne moi-même au cabinet du ministre, et l’ai confié à ce dernier qui avait donc pris les dispositions pour le nommer Dg de l’Insaac, en respect des liens d’amitié forte qu’il y avait entre lui et moi. Malheureusement pour Armand, le chef de l’État a préféré que ce soit moi qui aille diriger l’Insaac. Franchement, ce poste ne m’arrangeait pas du tout. Mais contre mes désirs, je suis allé servir à l’Insaac. Par respect pour le Chef de l’État . Et toute la Côte d’Ivoire a pu apprécier la qualité du travail abattu.
Mais ca ne vous permet pas de remettre en cause des arrangements politiques…
Je vous le répète : « L’Accord de Daoukro », c’est pour les partis politiques et leurs militants. Et celui qui l’a émis n’est pas le Président de la république de Côte d’Ivoire, ni le chef de l’administration ivoirienne, ni même mon supérieur hiérarchique. Il a écrit clairement, lui-même, qu’il a proposé ce texte à titre personnel et en tant que fils de la région de l’Iffou ; pas même au nom du Pdci-rda dont je ne suis pas militant, de toute façon. Et il a ajouté que celui qui n’est pas d’accord peut manifester son désaccord, et ce sera « Sans conséquences pour les irréductibles » Alors d’où vient qu’on me sanctionne pour avoir dit « NON ?
Je n’ai reçu aucune consigne administrative m’imposant de respecter les termes d’un document qui s’appelle « Appel de Daoukro ». Si cela avait été fait, et que j’avais désobéi aux consignes comme viennent de le faire Mabriet Gnamien, alors, la sanction serait justifiée. À la limite, rien n’empêchait le Président de me convoquer et de me faire des remontrances en privée comme cela se fait dans les régimes sages. Combien de ministres les chefs d’État ne sermonnent-ils pas, dans les bureaux insonorisés du pouvoir ? Ce ne sont pas tous les problèmes, ni tous les mécontentements que le chef doit étaler sur la place publique. J’ai dit « NON » à M. Henri Konan Bédié, je n’ai pas dit « NON » à des consignes administratives données par le Président Ouattara, la seule autorité que je reconnais dans mon pays. Donc je ne reconnais pas la légitimité de la sanction qui m’a frappé même si au demeurant, cette sanction m’a fait grand bien, plus tard.
Ah bon ?
Jamais je ne me suis senti aussi bien dans ma peau. Trois années de travail ardu et passionné à l’Insaac m’avaient vraiment épuisé. J’ai même frôlé un infarctus un jour du 14 mai 2014 que je n’oublierai jamais ! Aujourd’hui, en moins de deux années d’exil en France, j’ai bouclé cinq livres ! Cinq livres, ce n’est pas peu. Peut-être qu’un jour, je dirai merci à Bandaman de m’avoir limogé car ça m’a permis de retrouver ma plénitude intellectuelle et artistique. Jamais je n’ai été aussi fécond. Ca, c’est pour plaisanter, car je ne laisserai pas tomber cette affaire. Vous savez, un jour, ce pouvoir prendra fin. Et, si je suis vivant, je déposerai une plainte contre l’État de Côte d’Ivoire pour limogeage abusif ; le régime qui sera là me paiera mes droits. Moi ou un de mes enfants déposera cette plainte et assignera un jour l’État de Côte d’Ivoire devant des tribunaux libres. Je ne démords pas. Cette affaire finira devant la Justice. Rien qu’à titre d’exemple.
La situation que viennent de vivre Mabri et Gnamienn’est-elle pas un avant-goût de la crise à venir au sujet de l’alternance ?
Ce n’est pas le limogeage, justifié, je le répète, de deux ministres qui va compromettre l’équilibre du Rhdp. Mais il est presque certain que la crise éclatera. Oh que le Président sois rassuré, ce sera juste quelques notes discordantes au sein de l’appareil Rhdp. Car le Pdci-rda n’ira jamais à la fronde. Ce n’est pas dans son style. Le président Ouattara les connaît : à l’image de la plupart des Ivoiriens, les cadres du Pdci n’aiment que l’argent. Chez eux, l’idéologie, les choix stratégiques et éthiques n’ont pas d’importance. Le moment venu, le Président Ouattara mettra en circulation l’argent qu’il faut. Il sait ce que pèse en argent chaque cadre surtout ‘‘bédiéiste’’, du Pdci. Et il peut être assuré que même si l’envie venait à l’habiter de briguer un 3ème mandat, l’élite corrompue du Pdci tendance Bédié dira « Oui » ; et la masse suivra. Et même si la masse ne suit pas, on dira qu’elle a suivi. Le Pdci a ses griots classiques pour chanter cette mauvaise ritournelle ! On les connaît. Vous savez, quand on est ministre pendant 10 ou 15 ans, on ne peut que devenir un renard prêt à louer le ramage et le plumage de tout corbeau-roi qui est au faîte de l’arbre ! C’est tout simplement triste pour mon pays.
Quel est votre avis sur la configuration possible des législatives à venir par rapport à la participation de l’opposition ?
L’opposition ivoirienne traîne les tares de la plupart,sinon de toutes les oppositions en Afrique : manque de moyens matériels et financiers, manque de leaders d’opinion de poids, manque de lecture opérante de la réalité du terrain et, surtout, manque de figure de proue. De ce point de vue, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara sont les deux opposants de poids que la Côte d’Ivoire ait produits. À défaut d’avoir une figure de proue historique, l’opposition, incarnée surtout par le Fpi, aurait pu et dû s’unir derrière une personnalité politique de son cercle ; une personnalité qu’elle se chargera de propulser à l’avant-scène du combat. Affi N’guessan, à mon avis, aurait pu faire l’affaire. Il a été quand même Premier ministre, donc plus proche de l’Exécutif, que les autres. Ce n’est pas rien. Affi n’est peut-être pas l’idéal, mais pour le moment, il est « la solution la moins mauvaise », pour employer cette expression chère au camarade Laurent Akoun, une figure forte du Fpi. L’élite du Fpi ne devra pas perdre de vue la différence conceptuelle entre « le leader historique », et le « leader circonstanciel ». C’est cette lecture à la fois tactique et stratégique qui, à mon sens, donnerait du poids aux candidats de l’opposition dans les différentes régions où ils solliciteront les voix des électeurs. Bien évidemment, la voie du boycott sera mauvaise conseillère.
Que pensez-vous de l’Arrêt de la Cite africaine des droits de l’Homme et des Peuples, relatif à la Céi ?
C’est un arrêt tardif, cher ami. Aucune structure de cette nature, pas même l’Onu ne peut faire barrage à l’application de la loi fondamentale d’un pays, dès qu’elle a été votée par le peuple de ce pays. C’est avant le vote qu’il fallait dire cela. La Cei ivoirienne n’est pas indépendante, tout le monde le sait ; ce n’est pas un fait nouveau. Seul Laurent Gbagbo a accepté l’indépendance de la Cei. Le Fpi était minoritaire au sein de la Cei. Mais même là, ce n’était qu’une indépendance relative. Car pour que la Cei soit indépendante, il eût fallu qu’aucun de ses membres ne fût nommé par le Chef de l’Exécutif en plein mandat et lui-même candidat à sa propre succession. Et la dépendance de la Cei n’était pas un mystère. Je suis étonné qu’après un vox populi, des juristes sortis de je ne sais où, s’amusent à nous brandir un papier juridique qui déclare de façon péremptoirequ’ils ne reconnaissent pas notre Constitution , ou une institution. Autant dire qu’ils ne reconnaissent même pas l’existence du peuple ivoirien, ni celle de la République indépendante de Côte d’Ivoire. Les combats d’arrière-garde ne m’intéressent pas. Je ne suis plus au stade de l’exaltation militante.
Charles Kouassi